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Violences ex-topiques sous les tropiques

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Mayotte et ses coco­tiers, ses hibis­cus roses aux cœurs rouges, ses fran­gi­pa­niers aux fleurs blanches, les man­guiers aux fruits sucrés, le par­fum d’ylang-ylang à la tom­bée du jour… Cette île fran­çaise située dans le canal du Mozambique nous donne un avant-goût des vacances. Mais Nathacha Appanah, dans son roman, Tropique de la vio­lence[1]Appanah N., Tropique de la vio­lence, Paris, Gallimard, 2016., joue avec les contrastes et nous fait décou­vrir une autre ver­sion, celle d’une jeu­nesse sou­vent livrée à elle-même, cou­pée de l’Autre dans un pays magni­fique. Un pays qui « res­semble à une pous­sière incan­des­cente […] où il suf­fi­rait d’un rien pour qu’il s’embrase »[2]Ibid., p. 11..

Ce roman qui alterne entre voix inté­rieures et fic­tions des pro­ta­go­nistes nous invite à « ne pas s’hypnotiser sur la cause. Il y a une vio­lence sans pour­quoi qui est à elle-même sa propre rai­son, qui est en elle-même une jouis­sance. C’est seule­ment en un second temps que l’on cher­che­ra le déter­mi­nisme, la cause, le-plus-de-jouir »[3]Miller, J.-A., « Enfants vio­lents », Après l’enfance, coll. La petite Girafe, n° 4, Paris, Navarin, 2017, p. 202–203..

Nous décou­vrons plu­sieurs per­son­nages dont l’existence va bas­cu­ler. Une nuit de pluie tor­ren­tielle, Marie, infir­mière, voit arri­ver à l’hôpital, une très belle jeune fille avec un bébé dans les bras. Il a un œil noir et un œil vert et regarde Marie avec ce regard bico­lore. Elle lui parle. Le vert de son œil lui fait pen­ser au vert incroyable qu’ont par­fois les arbres de ce pays pen­dant l’hiver aus­tral alors que, pour sa mère, il s’agit d’un bébé du djinn qui porte mal­heur. Alors que Marie s’absente, elle l’entend dire juste avant : « Toi l’aimer, toi le prendre ». Á son retour, l’adolescente a dis­pa­ru. Alors, Marie, qui essaye depuis tant d’années d’être mère, va faire les démarches pour éle­ver cet enfant qu’elle nomme Moïse.

Á la puber­té, Moïse fait des cau­che­mars, est colé­rique. Marie se décide à lui racon­ter son his­toire. Moïse se révolte. Désormais il appel­le­ra sa mère non plus Mam mais Marie. Il lui en veut, sèche les cours, traîne avec un gar­çon nom­mé La Teigne qui zone près du col­lège. Alors que Marie décède subi­te­ment, Moïse, qua­torze ans, rejoint le quar­tier de Kaweni. Baptisé Gaza et non Tahiti qui sent les fleurs ou la Californie avec les filles et le soleil. Nous plon­geons bru­ta­le­ment dans « un no man’s land violent où les bandes de gamins shoo­tés au chi­mique font la loi »[4]Appanah N., Tropique de la vio­lence, op. cit., p. 51..

Bruce est le roi de Gaza. Enfant, il allait à l’école fran­çaise et était le seul enfant de son père à être sco­la­ri­sé. Il est tout d’un coup lui aus­si éjec­té d’une place pri­vi­lé­giée. Lui qui n’est plus rien choi­sit alors le nom d’un super héros pour se repré­sen­ter : Bruce Wayne (Batman). Il indique très bien qu’il n’est pas né comme cela, « avec l’envie de taper, de mordre, de ren­trer dedans »[5]Ibid., p. 45., indice de la pul­sion. N. Appanah met en évi­dence que le Bruce des Tropiques n’est pas celui du Bruce de Batman qui a per­du ses parents et devient un super héros à l’époque du Nom-du-Père. Á Mayotte, Bruce ne peut se repré­sen­ter désor­mais que d’un point d’où il peut voir la peur et l’admiration dans les yeux de tous. Le Nom-du-Père est en vacances !

Moïse deve­nu quant à lui Mo La Cicatrice, conti­nue de lire et relire L’enfant et la rivière. Il se demande pour­quoi une par­tie de lui refuse d’accepter que c’est fini, l’école, les jeux, les douches au Petit Marseillais, les che­mises blanches en coton. Il connaît désor­mais les nuits dehors, les Mourengué (com­bats à mains nues), le feu d’un cou­teau sur son visage, la faim, la soli­tude, la peur.

Appanah traite la ques­tion de la vio­lence en mon­trant qu’il n’y a pas la vio­lence mais une vio­lence dont l’o­ri­gine échappe à toute cau­sa­li­té sociale et ne peut pas s’expliquer par la seule bio­gra­phie : elle s’illustre au cas par cas.

Notes

Notes
1 Appanah N., Tropique de la vio­lence, Paris, Gallimard, 2016.
2 Ibid., p. 11.
3 Miller, J.-A., « Enfants vio­lents », Après l’enfance, coll. La petite Girafe, n° 4, Paris, Navarin, 2017, p. 202–203.
4 Appanah N., Tropique de la vio­lence, op. cit., p. 51.
5 Ibid., p. 45.

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