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Evil children

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L’enfant malé­fique (evil child) est un élé­ment récur­rent des films d’horreur, silen­cieux mais pos­sé­dé par les ténèbres, irré­pro­chable en appa­rence mais enclin à nous déchi­que­ter dès que nous avons le dos tourné.

Nous avons, pour la plu­part, le sou­ve­nir des jumelles de Shining[1]Kubrick S., Shining, 1980, USA., d’après Stephen King., des enfants du Village des dam­nés[2]Carpenter J., Le vil­lage des dam­nés, 1995, USA. ou de La Malédiction[3]Donner R., La malé­dic­tion, 1976, USA., du fils mort-vivant de Simetierre[4]Lambert M., Simetierre, 1989, USA, d’après Stephen King., du bébé de Rosemary[5]Polanski R., Rosemary’s baby, 1968, USA., ou encore des rires d’enfants qui s’égrènent dans le Projet Blair Witch[6]Sanchez E., Mynck D., Projet Blair Witch, 1999, USA.. Citons aus­si Esther[7]Collet-Serra J., Esther, 2009, USA., les enfants monstres de Chromosome 3[8]Cronenberg D., Chromosome 3, 1979, Canada., etc.

Il y a l’enfant qui est le Mal et celui qui est pos­sé­dé par le Mal. Il y a celui qu’il faut fuir abso­lu­ment et celui qu’on exor­cise, mais c’est le ric­tus démo­niaque de ces enfants qui nous retient, qui nous fascine.

Nous pou­vons lire à leur pro­pos qu’il s’agit d’un détour­ne­ment de l’innocence, qu’ils « viennent ravi­ver nos peurs les plus enfouies, celles par exemple de voir nos des­cen­dants se retour­ner contre nous, qu’ils sont le sym­bole d’un futur incer­tain, d’un monde où nous n’aurons plus notre place »[9]Moser L., « Pourquoi les enfants sont-ils autant uti­li­sés dans les films d’hor­reur », Les Inrocks, 2 novembre 2015..

L’innocence et le confort sont troués par un réel qui sur­git, et c’est là que la vio­lence de ces enfants, vio­lence « sans pour­quoi »[10]Miller J.-A., « Enfants vio­lents », Après l’enfance, Paris, Navarin édi­tions, 2017, p. 202., vient rejoindre la cli­nique laca­nienne de la jouis­sance : « son mode d’entrée [celui de la jouis­sance] est tou­jours l’effraction, […] la rup­ture, la dis­rup­tion par rap­port à un ordre préa­lable fait de la rou­tine du dis­cours par lequel tiennent les signi­fi­ca­tions »[11]Laurent E., « Disruption de la jouis­sance dans les folies sous trans­fert », Hebdo-Blog, n°133, http://​www​.heb​do​-blog​.fr/​d​i​s​r​u​p​t​i​o​n​-​d​e​-​j​o​u​i​s​s​a​n​c​e​-​f​o​l​i​e​s​-​t​r​a​n​s​f​e​rt/.

Or ces monstres en culotte courte et petits nœuds, parce qu’ils ne sont en fait que les per­son­nages des films d’horreur, parce qu’ils ne se détachent que sur fond d’écran, peuvent être vus comme révé­la­teurs de cette jouis­sance : ils ne sont au fond que les ombres de ce qui nous anime. Ils sont le type même de ce que Lacan défi­nis­sait comme jouis­sance : « Ça com­mence à la cha­touille et ça finit par la flam­bée à l’es­sence. »[12]Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psy­cha­na­lyse, Paris, Seuil, 1991, p. 83. Le réel ain­si enca­dré par ima­gi­naire et sym­bo­lique nous per­met de nous en effrayer… avec délice.

Visionner plu­sieurs fois la fin de Rosemary’s baby pour ten­ter de voir la face du diable ! Revoir d’innombrables fois les tours et les détours que fait Dany avec sa voi­ture à pédales dans les cou­loirs de l’hôtel Overlook, pour cher­cher le moment dis­rup­tif de l’apparition des jumelles dans un angle de cou­loir ! Ces répé­ti­tions ne seraient-elles pas des ten­ta­tives pour ren­con­trer encore et encore ce qui nous effraie au tour­nant ? Mais ici l’étonnant c’est d’aller à cette ren­contre par le biais de l’enfant, de l’image de l’enfant, d’une image d’enfant violent. David Cronenberg ne s’y est pas trom­pé dans son film Chromosome 3, qu’il avait inti­tu­lé ini­tia­le­ment L’horreur inté­rieure : une jeune femme donne bes­tia­le­ment nais­sance à des enfants monstres qui tuent en fonc­tion des colères de leur mère. Ce film s’intitule aus­si The brood : la cou­vée, ce qui couve et qui n’attend qu’un tout petit déclic (dans le silence de la nuit) pour tout enflammer.

L’enfant est un Autre abso­lu en soi, un Autre fami­liè­re­ment étran­ger – Das Unheimliche – loin de l’innocence et de la dimen­sion mélo­dra­ma­tique que son image sug­gère habituellement.

Cet enfant violent est une construc­tion, ciné­ma­to­gra­phique plus ou moins géniale qui, pour quelques cinéastes (Kubrick, Carpenter, Cronenberg, Polanski…) est en fait une forme de trai­te­ment d’un réel qui est notre lot à tous. Loin de l’imagerie des enfants bar­bares, il est à suivre à la lettre : ça bouge… ça hurle… ça déchire !

Martine Revel

Notes

Notes
1 Kubrick S., Shining, 1980, USA., d’après Stephen King.
2 Carpenter J., Le vil­lage des dam­nés, 1995, USA.
3 Donner R., La malé­dic­tion, 1976, USA.
4 Lambert M., Simetierre, 1989, USA, d’après Stephen King.
5 Polanski R., Rosemary’s baby, 1968, USA.
6 Sanchez E., Mynck D., Projet Blair Witch, 1999, USA.
7 Collet-Serra J., Esther, 2009, USA.
8 Cronenberg D., Chromosome 3, 1979, Canada.
9 Moser L., « Pourquoi les enfants sont-ils autant uti­li­sés dans les films d’hor­reur », Les Inrocks, 2 novembre 2015.
10 Miller J.-A., « Enfants vio­lents », Après l’enfance, Paris, Navarin édi­tions, 2017, p. 202.
11 Laurent E., « Disruption de la jouis­sance dans les folies sous trans­fert », Hebdo-Blog, n°133, http://​www​.heb​do​-blog​.fr/​d​i​s​r​u​p​t​i​o​n​-​d​e​-​j​o​u​i​s​s​a​n​c​e​-​f​o​l​i​e​s​-​t​r​a​n​s​f​e​rt/
12 Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psy­cha­na­lyse, Paris, Seuil, 1991, p. 83.

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