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La violence, intraitable ?

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Il est com­mun de pen­ser que la vio­lence est un abus, voire un phé­no­mène patho­lo­gique, au niveau indi­vi­duel comme sur le plan social. Freud pro­pose d’inverser cette pro­po­si­tion, en par­ti­cu­lier dans son Malaise dans la civi­li­sa­tion en sou­li­gnant que la vio­lence est notre lot depuis la plus tendre enfance et tout au long de notre exis­tence. Et il constate que la vie civi­li­sée ne se main­tient qu’au prix d’efforts constants mal­gré les­quels la vio­lence peut sur­gir brus­que­ment, sau­va­ge­ment, sans qu’on puisse la contrer.

Et cela dès l’origine : « Plaçons-nous, écrit Freud à pro­pos du nouveau-né, dans la situa­tion d’un être vivant qui se trouve dans une situa­tion de détresse presque totale, qui n’est pas encore orien­té dans le monde et qui reçoit des exci­ta­tions »[1]Freud S., « Pulsions et des­tin des pul­sions », Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1978, p. 15.. Des exci­ta­tions externes qu’il ne peut fuir, et des exci­ta­tions internes qui ont un « carac­tère de pous­sée constante : ces exci­ta­tions sont le signe dis­tinc­tif d’un monde inté­rieur, la preuve des besoins pul­sion­nels »[2]Ibid.. Le bébé est sou­mis à des pul­sions par­tielles en conflit, il est sou­mis à un orga­nisme sans uni­té, dys­har­mo­nique, et il est sans moyens pour réagir à la vio­lence de cette situa­tion où « l’impuissance motrice » et « la dépen­dance du nour­ris­sage »[3]Lacan J., « Le stade du miroir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 94. dominent.

Quelles sont les expé­riences sub­jec­tives per­met­tant à l’enfant de faire face à la vio­lence qui se déchaîne en lui ?

La vio­lence du cri de l’enfant ne s’estompe que s’il devient appel à l’Autre. Les cris de détresse, la vio­lence que cela sus­cite en lui, sans moyens pour l’apaiser, ne peuvent se tem­pé­rer que dans la ren­contre avec le désir de l’Autre qui donne exis­tence au sujet. Si l’Autre ne répond pas, la vio­lence peut atteindre des paroxysmes qui entravent l’entrée dans l’imaginaire et dans le symbolique.

L’apparition du babil chez le nouveau-né est la pre­mière forme d’expression qui huma­nise la vio­lence de ses sen­sa­tions et de son sen­ti­ment de soli­tude. Qu’il s’agisse d’une mani­fes­ta­tion de plai­sir ou de déplai­sir, le babil ne se déve­loppe que s’il est enten­du comme expres­sion lan­ga­gière par l’Autre, sinon il risque de se tarir. Comment pas­ser d’un « vou­loir jouir » à un « vou­loir dire » si ce n’est « grâce au fait que le vou­loir jouir soit déjà enten­du comme un vou­loir dire » ?[4]Miller J.-A., « L’Orientation laca­nienne. La fuite du sens », ensei­gne­ment pro­non­cé dans le cadre du dépar­te­ment de psy­cha­na­lyse de l’université Paris VIII, leçon du 31 jan­vier 1996, … Continue rea­ding Des signi­fiants de l’Autre tam­ponnent la vio­lence des tem­pêtes d’excitations qui tra­versent le petit enfant, don­nant une pre­mière uni­té au corps mor­ce­lé par la modu­la­tion de la voix qui apaise et invite à la ren­contre, et par la recherche de sens.

Cet équi­libre fra­gile se voit ren­for­cé par la consti­tu­tion d’une uni­té ima­gi­naire pro­duite chez l’enfant par la ren­contre de son image au miroir. Il passe « d’une image mor­ce­lée du corps à une forme que nous appel­le­rons ortho­pé­dique de sa tota­li­té »[5]Lacan J., « Le stade du miroir », op. cit., p. 97..

Mais cette « assomp­tion jubi­la­toire de son image spé­cu­laire »[6]Ibid., p. 94. est à l’origine d’un nou­veau type de vio­lence, car « c’est ce moment qui déci­si­ve­ment fait bas­cu­ler tout le savoir humain par le désir de l’autre, dans une équi­va­lence abs­traite par la concur­rence d’au­trui »[7]Ibid., p. 98.. Cela fonde la « struc­ture para­noïaque du moi »[8]Lacan J., « L’agressivité en psy­cha­na­lyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 114..

L’impact inévi­table de trau­ma­tismes et la pous­sée constante de la pul­sion relancent des mani­fes­ta­tions de vio­lence qui ne pour­ront être réel­le­ment réduites que par l’entrée du sujet dans un pro­ces­sus de sym­bo­li­sa­tion. Pour que l’expérience de la psy­cha­na­lyse apporte son concours déci­sif à l’efficace du signi­fiant, par la ten­ta­tive de tra­duc­tion de la vio­lence par des dires et des réponses, il peut être néces­saire aus­si de « faire sa place à une vio­lence infan­tile comme mode de jouir, même quand c’est un mes­sage », et, « pro­cé­der avec l’enfant violent de pré­fé­rence par la dou­ceur, sans renon­cer à manier, s’il faut le faire, une contre-violence sym­bo­lique »[9]Miller J.-A., « Enfants vio­lents », Après l’enfance, Paris, Navarin, coll. La petite Girafe, 2017, p. 207..

Hélène Deltombe

Notes

Notes
1 Freud S., « Pulsions et des­tin des pul­sions », Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1978, p. 15.
2 Ibid.
3 Lacan J., « Le stade du miroir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 94.
4 Miller J.-A., « L’Orientation laca­nienne. La fuite du sens », ensei­gne­ment pro­non­cé dans le cadre du dépar­te­ment de psy­cha­na­lyse de l’université Paris VIII, leçon du 31 jan­vier 1996, inédit.
5 Lacan J., « Le stade du miroir », op. cit., p. 97.
6 Ibid., p. 94.
7 Ibid., p. 98.
8 Lacan J., « L’agressivité en psy­cha­na­lyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 114.
9 Miller J.-A., « Enfants vio­lents », Après l’enfance, Paris, Navarin, coll. La petite Girafe, 2017, p. 207.

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