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« Peut-Être ? »

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Esteban a 7 ans quand il est admis dans un lieu de soins. Très vite, on se plaint de sa vio­lence. Il dérange. C’est un petit gar­çon qui n’est jamais à la place pré­vue par l’institution : il a du mal à res­ter sur son groupe de réfé­rence, il ne par­ti­cipe pas aux ate­liers où il est ins­crit, il sort dans la cour quand c’est l’heure du repas…

Quand quelqu’un tente de le rame­ner là où il doit être, il montre à quel point la volon­té de l’Autre est insup­por­table et mena­çante : il tape, il mord, son corps se débat et se défend. De cette vio­lence, il ne peut rien dire.

Un an plus tard, je l’accueille avec deux de mes col­lègues sur notre groupe de réfé­rence. Nous ten­tons de ne pas trop lui vou­loir quelque chose. Nous le lais­sons cir­cu­ler entre la salle et le cou­loir, nous l’invitons à nous accom­pa­gner quand nous nous ren­dons à l’administration, mul­ti­pliant les occa­sions de cir­cu­ler avec lui … bref, nous bri­co­lons et ten­tons de nous faire les par­te­naires de ce gar­çon, hors des sen­tiers pré­vus par l’organisation ins­ti­tu­tion­nelle dont la fonc­tion sym­bo­lique n’opère pas pour lui.

Il pose sans cesse les mêmes ques­tions : « Il est quelle heure ? », « Théâtre moi ? », « Maman-taxi ? ». Elles concernent toutes où et quand il est atten­du dans l’institution. Elles ne portent pas la marque de son énon­cia­tion, il s’agit du dis­cours de l’Autre qui semble le sub­mer­ger. Il y a du trop. Ce trop le pousse par­fois à se jeter lui-même hors de la scène : il quitte sou­dai­ne­ment le groupe et arrive en trombe dans le groupe voi­sin où il tape et mord d’autres enfants.

Un jour, alors que Esteban débarque sur le groupe « Mésanges », un col­lègue le sur­prend : plu­tôt que de lui signi­fier qu’il n’est pas à sa « place » et qu’il doit retour­ner sur son groupe – ce qui lui est dit habi­tuel­le­ment – il l’ac­cueille en le remer­ciant de sa visite et l’in­vite à pas­ser du temps avec eux. Il décale Esteban de sa posi­tion « d’enfant pas à sa place », Esteban, sur­pris, accepte.

Quelque chose opère : Esteban nous dit : « Groupe Mésanges, peut-être ? ». Nous lui pro­po­sons d’or­ga­ni­ser ses visites en télé­pho­nant au groupe Mésanges. Il apprend le numé­ro et accepte les condi­tions des visites : il peut venir quand l’é­du­ca­teur n’est pas en ate­lier et qu’il est dis­po­nible pour l’ac­cueillir. Ce nou­veau par­te­naire se pré­sente lui-même « réglé », pour reprendre la for­mule de Virginio Baio[1]Baio V., s./dir. B. de Hallleux, « Quelque chose à dire » à l’enfant autiste, Pratiques à plu­sieurs à l’Antenne 110, Editions Michèle, Paris, 2010, p. 118.. Alors, Esteban peut cir­cu­ler dans l’ins­ti­tu­tion d’une manière plus fluide selon des horaires qui font bord : le trop peut être bor­dé et n’envahit plus son corps.

Désormais, quand Esteban est atten­du en ate­lier, au repas, etc., il répond : « dans cinq minutes, peut-être ». Les ques­tions en boucle dis­pa­raissent et laissent place à une marque de vacilla­tion, « peut-être », qui fait signe de son énon­cia­tion. Sa posi­tion sub­jec­tive se décale : il ne se voue plus à la volon­té de l’Autre. Il prend le temps d’un pas de côté, un temps où en tant que sujet, il peut « Être ».

Camille Schuffenecker

Notes

Notes
1 Baio V., s./dir. B. de Hallleux, « Quelque chose à dire » à l’enfant autiste, Pratiques à plu­sieurs à l’Antenne 110, Editions Michèle, Paris, 2010, p. 118.

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