Trois points sur la violence

Je vous propose trois points((Extrait de l’intervention de V. Vicente, à la Journée de la Diagonale hispanophone du N.R. CEREDA, février 2019, publié avec l’accord de l’auteur. Traduction : Silvana Belmudes.)) qui découlent du travail réalisé tout au long de cette année au sein de la Diagonale hispanophone du Nouveau Réseau CEREDA.

1- La violence, un nouveau signifiant-maître ?

La violence attachée à l’enfance et à l’adolescence est devenue un signifiant-maître. Nous le constatons dans notre clinique, dans les conversations avec les professeurs des écoles, dans les entretiens avec les parents. La violence teinte de manière significative le lien social des enfants et des jeunes : harcèlement, bullying, violence parents-enfants. Assisterions-nous au passage de l’enfant hyperactif à l’enfant violent ? Ces nouvelles nominations qui surgissent dans le champ de l’enfance nous obligent à être attentifs. Nous sommes avertis des vertus identificatoires du signifiant : il crée des nouveaux pôles identificatoires et avec eux des nouvelles politiques sociales pour faire avec.

En novembre 2018, selon un dossier de l’unicef,« Violence dans les écoles : une leçon quotidienne »((Violence mesurée par le nombre d’enfants qui se plaignent d’avoir souffert de harcèlement ou d’avoir participé à une bagarre au cours de l’année.)), le harcèlement et les altercations physiques seraient responsables de l’interruption du parcours éducatif de 150 millions de jeunes entre 13 et 15 ans – soit la moitié de la population des enfants de ces âges– des pays riches comme des pays pauvres. Si les cultures produisent des malaises, des symptômes qui répondent à des changements relatifs aux problèmes de l’époque, dans la clinique, ces symptômes se construisent sur un mode singulier chez chaque sujet.

Violence, rage, colère, haine, amour, cruauté, agressivité, sont des passions, des affects qui concernent le sujet et le corps. Notre travail est d’en dénouer les termes et d’en préciser la place et la fonction pour chaque enfant que nous accueillons.

2- L’agressivité constitutive du sujet

Dans Trois essais sur la théorie sexuelle((Freud S., Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, PUF, 2010.)) Freud s’emploie à différencier la cruauté, l’agressivité et la violence pour comprendre l’origine du sadisme et du masochisme. L’utilisation précise qu’il en fait rend compte de son effort pour éclaircir la logique de la rencontre du sujet avec l’objet : le détruire, lui causer du tort, le maltraiter, le soumettre. Bien plus tard, dans Malaise dans la civilisation((Freud S., Le malaise dans la civilisation, Paris, Payot, 2010.)), Freud souligne le paradoxe de l’autre comme semblable, pour le sujet tantôt un auxiliaire, un objet sexuel (l’autre se trouve du côté de l’amour, d’Eros), tantôt tentation pour satisfaire l’agressivité.

L’agressivité se loge dans un moment évolutif de l’enfant que Lacan appelle stade du miroir((Lacan J., « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je », Écrits, Paris, Seuil, 1966.)). La dialectique imaginaire du toi ou moi constitutive de l’enfant fait partie de l’image, de l’identité et du lien social. Dans le Séminaire I((Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les écrits techniques de Freud, Paris, Seuil, 1975.)), Lacan signale comment le sujet veut être aimé pour la couleur de ses cheveux, pour ses manies, ses faiblesses, pour tout. Mais, face à l’impossibilité de faire de l’autre un semblable, l’amour vire vite à la haine et l’autre devient alors une menace. C’est en cela que la haine, en plus d’être articulée au registre imaginaire, l’est aussi à la jouissance.

Dans le processus analytique, le sujet reproduit sous transfert ces questions passionnelles. Le thème de la Journée nous invite à analyser la jouissance en jeu, le désir de destruction et la satisfaction trouvée dans l’acte de casser ou de détruire. Ainsi, la violence chez l’enfant n’est pas un problème de mauvais comportement inadapté, mais un phénomène à situer dans un éventail clinique ayant plusieurs liens avec le sujet.

L’agressivité, la colère sont parfois une tentative pour l’enfant de faire entendre sa singularité face à la volonté normalisatrice des adultes. Elles peuvent être aussi signe et demande d’amour. Dans d’autres occasions, les violences échappent au dire.

La violence, comme l’indique J.-A. Miller dans son texte « Enfants Violents »((Miller J.-A., « Enfants violents », Après l’enfance, Paris, Navarin, coll. La petite Girafe, 2017.)), peut être le produit d’un échec du refoulement ou de la défense. Il s’agit également de différencier le fantasme agressif de l’adresse à autrui d’un acte qui pourrait drainer la tension, ou d’un passage à l’acte. La violence de l’enfant autiste comme défense face au réel, n’est pas la même que la violence de l’adolescent qui traverse la fenêtre de son fantasme par le biais du passage à l’acte.

3- La violence de l’enfant concerne la clinique lacanienne de la jouissance

Ainsi pour lire les phénomènes de violence il convient d’analyser le lien du sujet à la jouissance. Qu’est-ce qui déclenche la violence ? Sa source n’est pas seulement un moins, une frustration, mais plutôt du côté d’un excès.

Où situer une limite à la violence ? Dans la loi, l’interdiction, l’autorité ? Qu’est-ce qui fait point d’arrêt ? Le seul recours aux normes, règles ou punitions pour réduire la violence, fige l’Autre dans une posture éducative et normative d’où le désir est absent. De quel Autre a-t-on alors besoin comme partenaire pour ces enfants et adolescents ?

Victoria Vicente