Violences ordinaires dans la cour de récréation, À propos du film Récréations de Claire Simon

Ce film((Récréations, film documentaire de Claire Simon, 1998.)) fait l’effet d’une claque à ceux qui auraient oublié que la violence existe dès le plus jeune âge. Sorti en 1998, ce documentaire conserve toute son actualité et livre un précieux témoignage sur les petites et grandes tragédies qui se jouent dans la cour de récréation en maternelle. La cinéaste s’appuie sur un dispositif assez inédit. En prenant le parti de filmer les enfants au plus près de leurs jeux, sans jamais intervenir, Claire Simon met l’objectif sur la « tendance native de l’homme à “la méchanceté”, à l’agression »((Freud S., Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1971, p. 75.)) dont Freud parlait déjà dans Malaise dans la civilisation. Le propos est subversif. En effet, comment imaginer que nos jolies têtes blondes puissent vouloir faire mal, puissent être habitées d’agressivité et de violence envers les autres autant qu’envers elles-mêmes ? C’est là que réside sans doute la réussite de ce documentaire qui attrape, tout en finesse, la violence ordinaire de l’enfance, en témoignant de ce qui est à traverser pour grandir et vivre avec les autres.

Claire Simon a indiqué qu’elle avait filmé comment « ils jouent la vie avant de la vivre ». Nous saisissons alors comment « la violence est un ressort commun de la pulsion de mort pour chaque parlêtre »((Introduction à la bibliographie de la 5èmeJournée d’étude de l’Institut psychanalytique de l’Enfant,  institut-enfant.fr/bibliographie/)) et qu’il s’agit de trouver comment « la dompter », pour qu’elle puisse prendre une nouvelle forme, plus vivable, c’est-à-dire border la jouissance, enserrer le réel par l’usage des semblants.

Malmener l’autre, être malmené, se malmener, dans le fond la violence n’est jamais que de soi. C’est effectivement ce que, face aux injonctions de ses copines – « allez saute ! je vais te montrer, c’est pourtant fastoche, tout le monde sait le faire, à ton âge, Myriam, elle est plus petite que toi et elle y arrive ! » – Nathalie essaye inlassablement de faire comme les autres petites filles et s’inflige une violence qui n’a d’égale que ses conversions somatiques – « ça me brûle, il me faut un mouchoir » – ses appels vains – « je veux ma maman » – et ses dépréciations – « j’ai peur, je suis trop petite ». Ce n’est que lorsqu’elle peut dire : « Je crois que c’est dans ma tête » – nous enseignant qu’effectivement la violence est d’abord le traitement de la pulsion dans son rapport à son corps propre – qu’elle pourra s’ouvrir à une solution pas comme les autres, sa propre tentative, une construction singulière à partir de ses possibles, pour franchir la difficulté qu’elle rencontrait et ainsi prendre sa petite revanche : « Elle a un peu raté Adela. » En effet, sa camarade de jeu ne réussit pas le saut elle-même !

On apprend aussi combien certains objets produisent des jouissances particulières qui peuvent, tel que Lacan nous l’enseigne dans son texte sur L’agressivité en psychanalyse((Lacan J., « L’agressivité en psychanalyse », Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 114.)), déclencher la jalousie. Ce n’est pas tant celle ou celui qui a les bâtons qui est jalousé, mais la jouissance que cela lui procure. Ainsi cette jeune fille qui demande à ses copines de ramasser tous les bâtons et les lance ensuite en disant :« Je voulais faire ça ». Alexandre, lui, construit sa maison et fait de l’électricité. Quiconque viendra le contrer dans son projet se fera expulser violemment de la scène. La petite fille qui se propose de l’accompagner, et ainsi border sa jouissance en l’introduisant au jeu du partage, obtiendra un : « On dirait qu’on s’est mariés. ».

Pourquoi attaque-t-on l’autre ? Thomas nous l’enseigne. Il maintient ses copains en prison, mais lorsque ceux-ci s’enfuient, c’est un déferlement de coups qu’il encaisse : « Il voulait nous mettre en prison, alors on l’a attaqué ». Si le jeu de la prison permet aux garçons, par le biais du semblant, de border le réel auquel ils ont affaire, on voit comment, une fois le jeu fini, le réel se déchaîne et la violence surgit. Thomas devenant réellement celui qui a voulu les mettre en prison est roué de coups. Heureusement, Thomas garde une petite récompense : trois filles lui prennent la main et le raccompagnent dans la classe.

Hélène Girard et Christine Maugin((Hélène Girard est responsable du cycle Cinéma et Psychanalyse à Châteauroux, qui propose cette année quatre films sur le thème « Enfants violents », en lien avec la journée de l’Institut psychanalytique de l’Enfant. Christine Maugin, psychanalyste, membre de l’ECF et coordinatrice de la Diagonale francophone du Nouveau Réseau CEREDA, a été accueillie pour converser autour du film Récréations de Claire Simon.))