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Usages d’internet en institution

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Interview de Dominique Holvoet par Catherine Heule

Le Courtil accueille des enfants et ado­les­cents dont les dif­fi­cul­tés se situent au croi­se­ment du psy­chique et du social. L’ensemble du dis­po­si­tif d’ac­com­pa­gne­ment est orien­té par une éthique conver­tie en une pra­tique ori­gi­nale qui implique cha­cun des inter­ve­nants. Attentifs à la souf­france psy­chique et à la sin­gu­la­ri­té de l’ac­cueil de chaque jeune accueilli, les inter­ve­nants sont ani­més du désir d’é­clai­rer et d’é­la­bo­rer leur pra­tique au « cas par cas », sou­te­nus par l’é­tude des grandes réfé­rences psy­cha­na­ly­tiques et par une for­ma­tion per­ma­nente. L’accompagnement cli­nique au Courtil se veut prag­ma­tique : il met entre paren­thèses les savoirs éta­blis et le sens com­mun pour lais­ser place à la sur­prise et au bri­co­lage que l’en­fant ou le jeune invente afin d’a­jus­ter style de vie et lien social. Le Courtil publie une revue (Courtilenlignes​.be) et par­ti­cipe aux tra­vaux de l’Institut de l’Enfant. 

 

Catherine Heule : Pourriez-vous nous par­ler de l’usage d’internet que vous consta­tez chez les enfants et ado­les­cents que vous accueillez au Courtil ? En déduisez-vous quelque chose à pro­pos de l’u­sage de l’in­ter­net par les jeunes aujourd’hui ?

Dominique Holvoet[1] : Les digi­tal natives ont aujourd’­hui entre vingt et qua­rante ans, ils sont nés dans ce moment de l’in­tro­duc­tion mas­sive de l’in­for­ma­tique dans nos vies, mais sans l’in­ter­net. L’objet tech­no­lo­gique, le gad­get comme disait Lacan, s’est intro­duit comme organe com­plé­men­taire avec le rêve qu’il anime nos vies. Les enfants et ado­les­cents d’au­jourd’­hui, eux sont nés avec inter­net ! Autrement dit leur monde est celui de la digi­ta­li­sa­tion du savoir et par là de la vir­tua­li­sa­tion du gad­get. Le gad­get est éle­vé à la puis­sance de l’u­bi­qui­té, il est pré­sent par­tout. Lacan n’a pas connu cette vir­tua­li­sa­tion du gad­get par l’in­ter­net, pour­tant il don­nait déjà une indi­ca­tion pré­cieuse sur laquelle nous nous sommes appuyés pour orien­ter l’u­sage de l’in­ter­net au Courtil. Il fai­sait valoir que les gad­gets n’ar­ri­ve­ront pas vrai­ment à nous ani­mer, plu­tôt deviendront-ils des symptômes !

C’est ain­si que, sans lais­ser une ouver­ture sans frein à l’ac­cès à l’in­ter­net, nous avons opté pour une approche orien­tée par l’u­sage symp­to­ma­tique que chaque rési­dant pou­vait en faire. Ainsi nous nous sommes lais­sés sur­prendre par l’ex­trême dex­té­ri­té que les jeunes accueillis au Courtil pou­vait avoir de son usage. Un exemple : un enfant que je reçois en admis­sion m’ex­plique qu’il ne par­vient pas à acqué­rir la lec­ture et l’é­cri­ture : « Même écrire mon pré­nom c’est dif­fi­cile », me dit-il. Plus loin dans l’en­tre­tien il témoigne de sa pas­sion pour les pois­sons et me donne des expli­ca­tions d’une hau­teur scien­ti­fique éton­nante avec des termes choi­sis. Je lui demande com­ment il connaît ces choses si pré­ci­sé­ment alors qu’il a tant de dif­fi­cul­tés à l’é­cole et qu’il me disait ne savoir ni lire ni écrire !« Oui, mais je sais taper : P- o- i- s ‑s ‑o- n et j’ap­prends avec les tuto­riels que Youtube me pro­pose ! » C’est ce fil rouge que nous allons tis­ser avec cet enfant pour l’ac­com­pa­gner dans son par­cours au Courtil.

C. H. Que vous semble-t-il néces­saire de favo­ri­ser ou de limi­ter et comment ? 

D. H. : Je ne crois abso­lu­ment pas au « contrôle paren­tal digi­ta­li­sé » implé­men­té dans l’or­di­na­teur. Il s’est démon­tré au Courtil que les rési­dants (voir plus haut) pou­vaient, plus faci­le­ment par­fois que notre propre infor­ma­ti­cien, déjouer les codes d’ac­cès du « contrôle paren­tal Digitalis ». Nous croyons au contrôle paren­tal incar­né,autre­ment dit à la pré­sence in situ de l’in­ter­ve­nant, avec son corps et sa parole pour accom­pa­gner l’en­fant dans sa recherche, sans pour autant que ce contrôle soit l’exer­cice d’une sur­veillance. Le contrôle le plus effi­cace est l’auto-contrôle et l’on sait les ravages de celui-ci lorsque le sur­moi se déchaîne. Nous res­tons donc pru­dents quant à inter­dire, car nous savons la valeur de jouis­sance de l’in­ter­dit chez l’in­ter­dic­teur lui-même. On pose des balises. À par­tir d’une cer­taine heure le soir, la connexion inter­net coupe car il convient de pou­voir dor­mir quand il fait nuit. Si un jeune a un usage inten­sif des sites por­no­gra­phiques, on l’in­vite à se mon­trer moins osten­ta­toire, plus dis­cret, on en parle avec lui, on prend la mesure du trai­te­ment qu’il peut en faire ou pas, etc.

C. H. : Comment parvenez-vous à limi­ter l’usage d’internet dans des lieux de vie ? Et à par­tir de quoi ?

D. H. : La ques­tion implique qu’à prio­ri inter­net doit être limi­té. Pourquoi ? Sans doute parce qu’il est un vec­teur de jouis­sance qui noue objet voix et objet regard dans le même objet tech­no­lo­gique avec lequel le sujet entre en inter­ac­tion. En tant que vec­teur de jouis­sance, il pro­duit à l’oc­ca­sion une conduite addic­tive. Mais il y a sans aucun doute bien plus dans ce qu’on nomme inter­net. Est-ce une for­ma­tion humaine au sens où Lacan for­mu­lait que « toute for­ma­tion humaine a pour essence et non pour acci­dent de refré­ner la jouis­sance »[2]? Internet est une for­ma­tion tech­no­lo­gique huma­noïde. On cherche à croire qu’elle est humaine, mais ce n’est pas don­né par avance. Il y faut la pré­sence de l’in­ter­ve­nant pour huma­ni­ser la chose, autre­ment dit pour la rendre à sa digni­té de symp­tôme. Comment en jouit-on ? Comment ça fait lien social ? Comment on s’en sert ? Avec ces ques­tions d’o­rien­ta­tion nous par­vien­drons à en limi­ter l’u­sage au sens de refré­ner la jouis­sance, c’est-à-dire trou­ver une cer­taine régu­la­tion par le prin­cipe de plaisir.

S’il y a tant à dire à pro­pos de l’in­ter­net, c’est qu’il s’a­git de l’en­trée des savoirs, des contem­pla­tions et des points de fuite dans nos vies. Parler de l’in­ter­net aujourd’­hui, c’est par­ler du rap­port au monde de chacun.

[1] Dominique Holvoet est psy­cha­na­lyste, membre de l’ECFet de la NLS, direc­teur du Courtil.

[2] Lacan J., « Allocution sur les psy­choses de l’enfant », Autres Écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 364.

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