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« Corps et discord »

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Ma pra­tique de psy­cho­logue cli­ni­cienne au sein d’un DITEP (Dispositif d’instituts thé­ra­peu­tiques édu­ca­tifs péda­go­giques) m’amène à ques­tion­ner constam­ment la fonc­tion sin­gu­lière que prennent la vio­lence et le pas­sage à l’acte chez ces jeunes âgés de sept à qua­torze ans qui nous sont orien­tés. Tous ont une noti­fi­ca­tion de la Maison dépar­te­men­tale des per­sonnes han­di­ca­pées, recon­nais­sant que leurs dif­fi­cul­tés dans le lien entravent gra­ve­ment leur inté­gra­tion sco­laire en milieu ordinaire.

Cette recon­nais­sance du han­di­cap voile une mul­ti­pli­ci­té des pro­ces­sus psy­chiques. Tous éti­que­tés « enfants vio­lents », avec comme point com­mun : en pré­sence des corps, ça déborde. La réfé­rence à la loi ne fait pas limite et bien sou­vent le manque et la frus­tra­tion ont pour consé­quences agres­si­vi­té et pas­sages à l’acte.

« De toute façon je ne sens rien, mon corps il est détruit ! », phrase sai­sis­sante que me lâche Willy neuf ans, en s’enfonçant une aiguille de bou­gain­vil­lier dans le doigt. Il est hors de lui depuis plu­sieurs jours : il insulte, défie, casse, brise, tape les adultes, ses pairs et les objets envi­ron­nant au fur et à mesure de sa déam­bu­la­tion dans l’établissement. À ma ques­tion : « Comment ça, ton corps il est détruit ? », il me répond en dési­gnant ses légères cica­trices au visage : « Ben oui c’est le doc­teur qui me l’a dit ! Quand j’étais bébé, un chien m’a atta­qué et m’a détruit ! Regarde ! » Ses cica­trices comme témoins et traces trau­ma­tiques indé­lé­biles, rédui­sant son corps à un objet détruit. Et l’impact des mots du doc­teur dans tout ça ?

Willy ne sup­porte pas que les adultes qui l’accompagnent l’aiment trop et se prennent pour son père. « Mes parents leurs corps est pour­ri à l’intérieur par l’alcool ! Dans leurs veines, plus rien ne marche, c’est pour ça qu’ils ne peuvent pas s’occuper de moi. Je me demande bien qui a inven­té l’alcool ! » « Le corps […], c’est le lan­gage qui le lui décerne »[1], phrase pré­cieuse de Lacan, indi­quant ain­si que c’est le lan­gage et seule­ment le lan­gage qui attri­bue le corps.

Une fabu­leuse trou­vaille contourne les dif­fi­cul­tés que cela peut impli­quer : cer­tains jeunes du DITEP ont trou­vé une manière d’être en lien avec leurs cama­rades sans impli­quer le corps. De retour chez eux, ils se retrouvent sur le site Discord pour jouer en ligne. Sur cette pla­te­forme acces­sible en quelques secondes, vous pou­vez com­men­cer à dis­cu­ter avec quelqu’un sans même avoir à pas­ser par une ins­crip­tion sur le site. Vous cli­quez pour rejoindre un canal et com­men­cez à dis­cu­ter avec les gens qui se trouvent des­sus. Se retrou­ver sur cette pla­te­forme per­met à ces jeunes d’avoir des échanges vocaux ins­tan­ta­nés lorsqu’ils jouent ensemble, mais à dis­tance. Pas besoin de pas­ser par les codes de l’écrit : la voix fait lien. Ils col­la­borent, se trans­mettent des astuces de jeux, forment des groupes. Via Discord, Willy semble un peu plus en accord avec son corps, les échanges sont paci­fiés. Il est connec­té via l’écran, il a trou­vé ain­si, une manière de faire avec un autre poten­tiel­le­ment mena­çant. N’est-ce pas là pour lui une forme de faire lien ?

[1] Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, p. 409.

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