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Extrême ou violence ?

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Nous connais­sons l’appétence des jeunes pour les sports dits « extrêmes ». Ces sports sont-ils vio­lents ? La défi­ni­tion que donne Wikipédia laisse sur sa faim : « Un “sport extrême” est un terme popu­laire dési­gnant une acti­vi­té spor­tive par­ti­cu­liè­re­ment dan­ge­reuse pou­vant expo­ser à des bles­sures graves ou à la mort en cas d’er­reurs dans son exer­cice. Ces sports peuvent se pra­ti­quer sur mer, dans le ciel ou sur terre. Ils impliquent sou­vent vitesse, hau­teur, enga­ge­ment phy­sique, ain­si qu’un maté­riel spé­ci­fique »[1]https://fr.wikipedia.org/wiki/Sport_extr%C3%AAme. Est-ce que prendre le risque de s’exposer à de bles­sures graves ou à la mort, rend bien compte de ce que sont les « sports extrêmes » ? Si oui, alors nous pra­ti­quons un sport extrême tous les jours en pre­nant notre voi­ture, en sor­tant de chez nous ou en des­cen­dant un escalier.

Est-ce que prendre le risque de s’exposer à « des bles­sures graves » ou « à la mort » est violent ? Cela fait-il « déchi­rure dans la trame sym­bo­lique »[2]Miller J.-A., « Enfants Violents », Après l’enfance, Paris, Navarin édi­tions, coll. La petite Girafe, 2017, p. 203. ? Est-ce la « pure irrup­tion de la pul­sion de mort »[3]Ibid. ? Pure en tant que non prise dans un rap­port à l’Autre et ses embrouilles de la langue et du corps. Prenons la chose du côté de l’escabeau, trou­vaille de J. Lacan redé­fi­nie ain­si par J.-A. Miller : « ce sur quoi le par­lêtre se hisse, monte pour se faire beau »[4]Miller J. A., « L’inconscient et le corps par­lant », La Cause du désir, n°88, novembre 2015, p. 110., croi­se­ment du nar­cis­sisme et de la subli­ma­tion freu­dienne. Narcissisme, oui[5]Cf le beau texte d’Y. Vandervecken trai­tant des sports extrêmes, comme le base-jump, « Le sta­tut Autre du corps, et le sen­ti­ment de la vie », Quarto, n°112/113, mai 2016.. Mais quid de la subli­ma­tion ? À l’heure du déclin du Nom-du-Père, qu’est ce qui vient faire corps au sujet ? Cela peut être une image. La mode street wear du skate, conçue large et bag­gy pour ne pas gêner les mou­ve­ments du ska­teur est deve­nue signe de recon­nais­sance d’une jeu­nesse bien au-delà du skate. Cela peut être un code, une langue faite d’expressions, de signes et de gestes, comme le salut des sur­feurs, qui dépassent ce cercle.

Mais aus­si le souffle du vent, l’odeur d’une vague, le bruit de la neige… Très peu d’adeptes des sports dits extrêmes évoquent le dan­ger, la mort, la blessure.

Il est sur­tout ques­tion de trace. Les eth­no­logues Claire Calogirou et Marc Touché rendent compte de cela : « figu­rer avant de créer du sens »[6]Ibid. p.40. Traces, courbes, marques, glisse sont les mots qui reviennent pour dire la chose. Sensation, hors-sens. Ici on est loin du nar­cis­sisme, de la fixa­tion au stade du miroir, sans cesse à rejouer. On a plu­tôt affaire à une autre forme de nomi­na­tion qui en passe par un nouage symbolique-imaginaire, par le savoir et le sens, pro­duits de l’expérience et de l’apprentissage : « Il s’agit donc là d’une pra­tique de la dis­tinc­tion, d’une affir­ma­tion de la dis­tance maxi­male aux autres par le recours à l’espace public et, par là même, un usage nou­veau de la ville »[7]Calogirou C., Touché M., « Sport-passion dans la ville : le ska­te­board », Terrain, n° 25, Carnets du patri­moine eth­no­lo­gique, p. 39, 1995.. La maî­trise de ces sports implique un long appren­tis­sage, un savoir qui se crée et se trans­met : « On est capable de par­ler de revê­te­ments pen­dant des heures »[8]Ibid., p.43.. Puis il y a aus­si l’élévation du corps dans l’espace. Le mobi­lier urbain garde la trace du ska­teur, la pou­dreuse celle du skieur ou du snow­boar­deur. La sen­sa­tion de la courbe, du vent, de l’eau, accom­pagne le sur­feur, le bruit, le vent, le rocher, le base-jum­per, le vété­tiste, l’escaladeur.

Il y a la livre de chair, celle que l’on laisse sur le bitume, contre le rocher, la bles­sure, les os bri­sés, autant de marques témoi­gnant d’une pra­tique d’où le corps fait expérience.

Extrême et vio­lence impliquent une norme qui ne rend pas compte de ce qui se joue pour le sujet. Les sports extrêmes ne disent rien à prio­ri d’une vio­lence chez l’enfant. Il peut arri­ver qu’un enfant épris de vio­lence trouve là un débouché-escabeau qui n’est pas déchi­rure dans la trame sym­bo­lique mais bien sou­tien par le sym­bo­lique, non pas pur déchaî­ne­ment de la pul­sion de mort, mais expé­rience de vie d’un corps qui s’éprouve dans un savoir et une esthé­tique qui fait la part à l’Autre : pho­tos, vidéos, par­tage du moment. C’est aus­si une soli­tude radi­cale de celui qui se lance, pas sans savoir qu’il y met son corps.

Notes

Notes
1 https://fr.wikipedia.org/wiki/Sport_extr%C3%AAme
2 Miller J.-A., « Enfants Violents », Après l’enfance, Paris, Navarin édi­tions, coll. La petite Girafe, 2017, p. 203.
3 Ibid.
4 Miller J. A., « L’inconscient et le corps par­lant », La Cause du désir, n°88, novembre 2015, p. 110.
5 Cf le beau texte d’Y. Vandervecken trai­tant des sports extrêmes, comme le base-jump, « Le sta­tut Autre du corps, et le sen­ti­ment de la vie », Quarto, n°112/113, mai 2016.
6 Ibid. p.40
7 Calogirou C., Touché M., « Sport-passion dans la ville : le ska­te­board », Terrain, n° 25, Carnets du patri­moine eth­no­lo­gique, p. 39, 1995.
8 Ibid., p.43.

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