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Édito n°3 : Abriter la violence

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Que devient la vio­lence de l’enfant lorsqu’elle se mani­feste en ins­ti­tu­tion ? Telle est la ques­tion qui tra­verse ce numé­ro spé­cial du Zappeur sur fond de cette fameuse cita­tion de Lacan : « Toute for­ma­tion humaine a pour essence, et non pour acci­dent, de refré­ner la jouis­sance. »[1]Lacan J., « Allocution sur les psy­choses de l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 364.

L’institution fait abri à l’enfant ou l’adolescent violent. Ça chauffe ! Tous voient rouge quand la vio­lence dis­loque l’ordre éta­bli. Ça pulse ! Car la « vio­lence n’est pas le sub­sti­tut d’une satis­fac­tion pul­sion­nelle, elle est la pul­sion. »[2]Miller J.-A., « Enfants vio­lents », Après l’enfance, Paris, Navarin, coll. La petite Girafe, 2017, p. 200., comme l’indique Jacques-Alain Miller. Elle « n’est pas un symp­tôme »[3]Ibid, p. 199. mais le signe de l’échec du refou­le­ment. Elle est sans issue de jouis­sance, sans recours. Ça s’impose ! « La puis­sance de déliai­son propre à la vio­lence en fait une cli­nique dif­fi­cile. »[4]Leduc C., « Anti-social, tu perds ton sang froid ! », argu­ment pour la 5e Journée de l’IE : https://​ins​ti​tut​-enfant​.fr/​2​0​1​8​/​0​6​/​0​6​/​a​r​g​u​m​e​nt/ S’y mêlent détresse et vio­lence, sorte de nasse qui pousse au pire, dans le corps, vers la casse, le sui­cide ou le meurtre. « La perte sans média­tion est alors au rendez-vous. »[5]Ibid. Cette dimen­sion tra­verse l’entretien inédit que nous ont accor­dé des pro­fes­sion­nels d’un des pre­miers E.P.M (Etablissement péni­ten­tiaires pour mineurs) ouvert en 2007 sous la loi Perben.

« “Enfant violent” est ain­si un signi­fiant de l’Autre social, syn­tagme qui appa­raît quand celui-ci est déran­gé, dans l’impasse, dému­ni, impuis­sant. »[6]Ibid. Il appa­rait et s’auto-alimente sous l’effet de l’injonction contem­po­raine à l’évaluation des phé­no­mènes sociaux (fiches d’incidents ou d’événements indé­si­rables), dans un contexte de crise de la cli­nique (nou­velle clas­si­fi­ca­tion du DSM en troubles, pro­mo­tion des sta­tis­tiques comme outil diag­nos­tic), et crise de l’autorité et de l’éducation. Ligia Gorini nous pré­sente le cas de Léo, accueilli en ins­ti­tu­tion de soin. Elle décrit com­bien s’en tenir au phé­no­mène « TC » (trouble du com­por­te­ment) « ne dit rien de ce dont il s’agit pour ce jeune au niveau de son expé­rience », mais convoque l’acte du praticien.

Nombreux furent d’ailleurs les édu­ca­teurs, ins­ti­tu­teurs, psy­cho­logues et pédo­psy­chiatres à l’instar d’un August Aichhorn[7]Cf. Aichhorn A., « Les agres­sifs », Jeunes en souf­france, Montpellier, Champ social édi­tions, 1951, p. 147–164., d’un Henri Wallon[8]Cf. thèse de psy­cho­lo­gie de H. Wallon inti­tu­lée « L’enfant tur­bu­lent »., d’un Donald W. Winnicott[9]Winnicott D.W. « La ten­dance anti­so­ciale », Déprivation et délin­quance, Paris, Payot, 1994, p. 149. ou d’un Fernand Deligny[10]Cf. Deligny F., Graines de Crapule, Dunod, 2004., aux prises avec la ques­tion de la vio­lence de l’enfant, qui firent acte de fon­da­tion d’institutions. L’expérience unique de l’un d’entre eux, Janusz Korczak – rela­tée dans ce numé­ro par Guillaume Libert –, nous enseigne que la vio­lence néces­site qu’un autre lieu incar­né, « un chœur social », soit une ins­ti­tu­tion, accueille le sujet « qui ne peut sou­te­nir un dire qui s’ouvre à l’espace du récit. »[11]Roy D., « Pif Paf », « Edito », Le Zappeur, n°1, https://​ins​ti​tut​-enfant​.fr/​2​0​1​8​/​0​6​/​0​7​/​e​d​i​t​o​-​p​i​f​-​p​af/

Ce numé­ro vise à don­ner un pre­mier aper­çu « des finesses de la prag­ma­tique de l’abord de l’enfant violent »[12]Leduc C., ibid. selon l’orientation laca­nienne en ins­ti­tu­tion. À l’heure où plus que jamais les ins­ti­tu­tions du champ dit médico-social sont mises à mal, où leur exis­tence même est remise en cause par le dis­cours de la ren­ta­bi­li­té à tout crin, il paraît cru­cial de réaf­fir­mer l’urgence de leur exis­tence pour l’accueil de la vio­lence sous toutes ses formes, afin qu’elle puisse débou­cher, comme en témoignent ici Jean-Pierre Rouillon et Thomas Roïc, sur la créa­tion d’un lien social nou­veau. Et que cha­cun puisse s’en ensei­gner pour faire œuvre de civi­li­sa­tion pour le monde de demain.

Marie-Cécile Marty et Hervé Damase

Notes

Notes
1 Lacan J., « Allocution sur les psy­choses de l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 364.
2 Miller J.-A., « Enfants vio­lents », Après l’enfance, Paris, Navarin, coll. La petite Girafe, 2017, p. 200.
3 Ibid, p. 199.
4 Leduc C., « Anti-social, tu perds ton sang froid ! », argu­ment pour la 5e Journée de l’IE : https://​ins​ti​tut​-enfant​.fr/​2​0​1​8​/​0​6​/​0​6​/​a​r​g​u​m​e​nt/
5, 6 Ibid.
7 Cf. Aichhorn A., « Les agres­sifs », Jeunes en souf­france, Montpellier, Champ social édi­tions, 1951, p. 147–164.
8 Cf. thèse de psy­cho­lo­gie de H. Wallon inti­tu­lée « L’enfant turbulent ».
9 Winnicott D.W. « La ten­dance anti­so­ciale », Déprivation et délin­quance, Paris, Payot, 1994, p. 149.
10 Cf. Deligny F., Graines de Crapule, Dunod, 2004.
11 Roy D., « Pif Paf », « Edito », Le Zappeur, n°1, https://​ins​ti​tut​-enfant​.fr/​2​0​1​8​/​0​6​/​0​7​/​e​d​i​t​o​-​p​i​f​-​p​af/
12 Leduc C., ibid.

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