Menu

Un signal de sécurité

image_pdfimage_print

« Chacun prend son sta­tut des injures qu’il reçoit. »
Jacques Lacan, « Lacan in Italia 1953–1978 »

 

Léo a 13 ans lorsque je le reçois en consul­ta­tion à l’hôpital de jour. La vio­lence de ses pas­sages à l’acte l’a récem­ment conduit au conseil de dis­ci­pline de son col­lège : il risque d’en être exclu et orien­té vers une classe spéciale.

Ses dif­fi­cul­tés remontent à son entrée au col­lège, il y a deux ans. Un com­por­te­ment agres­sif est alors signa­lé : il devient per­tur­ba­teur, pro­vo­ca­teur, bagar­reur. L’année qui s’ensuit est mar­quée par une aggra­va­tion de ses troubles. L’adresse à un psy­chiatre vient ain­si s’inscrire comme ultime ten­ta­tive pour « réta­blir le lien avec le milieu sco­laire ordinaire ».

« C’est à cause du bonhomme »

Par cette affir­ma­tion sin­gu­lière, Léo tente de m’expliquer les rai­sons de son mal­heur actuel : il voit, depuis son entrée au col­lège, un petit bon­homme aux oreilles poin­tues, qui lui dit de faire des choses – « Casse tout ! », ou bien « Fais le bazar ! » –, des mots d’ordre qu’il entend dans des situa­tions où, selon lui, le stress monte. Un lâchage du corps accom­pagne cette acti­vi­té hal­lu­ci­na­toire : « Je tombe et après j’oublie tout. »

Ce qu’il appelle son stress sur­git dans des situa­tions où il se trouve confron­té à la demande de ses ensei­gnants ou à la moque­rie de ses cama­rades – les mots lui fai­sant insulte. Ces mots sont, par homo­pho­nie, très proches de son nom propre. Il s’agite, frappe, casse, pour ensuite s’effacer dans une sorte d’oubli profond.

Le trouble des conduites (TC) est un des motifs de consul­ta­tion les plus cou­rants chez l’enfant et l’adolescent. Ce diag­nos­tic s’inscrit dans un registre plus large des clas­si­fi­ca­tions inter­na­tio­nales, dit des troubles exter­na­li­sés, avec le trouble hyper­ki­né­tique et le trouble oppo­si­tion­nel avec pro­vo­ca­tion. Léo pré­sente un TC. Mais ce diag­nos­tic ne dit rien de ce dont il s’agit pour ce jeune au niveau de son expérience.

Nous avons là un gar­çon occu­pé, siège d’un auto­ma­tisme men­tal. Derrière le « on se met en colère, on tape sur le voi­sin », der­rière son pas­sage à l’acte, se situe une hal­lu­ci­na­tion visuelle cor­ré­lée à la phrase : « Casse tout, fais le bazar ! » Léo répond ain­si à une injonc­tion. Le stress sur­git lorsque l’Autre se mani­feste, quand l’ambiance prend l’allure d’un Autre consis­tant. Son mode de réponse est l’apparition de la figure qui l’invite à faire dis­pa­raître l’Autre.

Nous avons donc un sché­ma : l’Autre fai­sant pres­sion pour lui, il y a appa­ri­tion du phé­no­mène, pas­sage à l’acte, puis éva­nouis­se­ment. Même si l’Autre se fait pré­sent pour Léo, s’il est ques­tion pour lui d’un Autre qui prend consis­tance, mena­çant son être de sujet, l’en-trop de jouis­sance auquel il a affaire fait retour, non pas sur la figure de l’Autre, mais en se conden­sant au niveau de son corps. Il s’extrait alors de la scène, s’évanouit, dis­pa­rais­sant à son tour.

Rougeur

Léo était très atta­ché à un de ses aïeux, ancien agent de sécu­ri­té, mort il y a deux ans et dont il peut dire qu’il est celui qui a le plus comp­té pour lui. Sa dis­pa­ri­tion coïn­cide avec le début de ses troubles.

Lors d’une séance, Léo rap­porte un fait nou­veau : à l’issue d’un match de foot, ses cama­rades le traitent de « blai­reau » en lui attri­buant la res­pon­sa­bi­li­té de leur défaite. Il sent la ten­sion mon­ter, sa tête com­mence à tour­ner. Cette fois-ci, au lieu de « péter un câble » ou de s’évanouir, il a affaire à un déran­ge­ment pré­cis : une rou­geur au visage. Ce petit phé­no­mène vient loca­li­ser la jouis­sance qui l’envahit et lui per­met d’éviter le pas­sage à l’acte. « C’est un signal, un signal de sécu­ri­té », lui dis-je en essayant d’élever ce phé­no­mène à la digni­té d’un nouage, venant se sub­sti­tuer à l’identification ima­gi­naire à l’agent de sécurité.

Cette sécu­ri­té nou­velle, décli­née dans dif­fé­rents registres, va bali­ser l’existence de ce gar­çon, dans ses sou­ve­nirs et ses jeux, et pro­duire un net allè­ge­ment de la ten­sion autour de lui.

Ligia Gorini

Inscrivez-vous pour recevoir le Zapresse (les informations) et le Zappeur (la newsletter)

Le bulletin d’information qui vous renseigne sur les événements de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant et des réseaux « Enfance » du Champ freudien, en France et en Belgique et Suisse francophone

La newsletter

Votre adresse email est utilisée uniquement pour vous envoyer nos newsletters et informations concernant les activités de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant et du Champ freudien.