Menu

Violence et dialogue

image_pdfimage_print

L’institution aujourd’hui n’est plus en dehors de la socié­té ; elle ne se pré­sente plus comme un lieu pro­té­gé à l’abri des mou­ve­ments qui tra­versent nos socié­tés. Elle est si peu en dehors de la socié­té que le pou­voir sou­haite la dis­soudre dans la socié­té, dans une socié­té où cha­cun se trouve désor­mais res­pon­sable, comp­table plu­tôt, du moindre de ses gestes, de ses com­por­te­ments, de ses actes.

Partout et nulle part

La ques­tion de la vio­lence est au pre­mier plan des pro­blèmes que ren­contre la socié­té aujourd’hui. Alors que les médias ne cessent de la mon­trer, de la dis­sé­quer, d’en débattre, elle devrait être absente, par un curieux tour de passe-passe, des ins­ti­tu­tions qui accueillent des enfants et des adultes pré­sen­tant des troubles de la per­son­na­li­té. Toute une série de pro­to­coles visent à la réduire, à l’éliminer, à la conte­nir. Les soi­gnants doivent en être pro­té­gés, ain­si que les pairs des enfants ou des adultes vio­lents. Ce que l’on appelle la vio­lence, qui ne se réduit pas aux agres­sions, aux pas­sages à l’acte, mais qui peut gagner la sphère de la parole, infec­ter les conver­sa­tions, conta­mi­ner les méthodes de mana­ge­ment, est de plus en plus insup­por­table pour le par­lêtre que nous sommes. Lorsqu’elle sur­git, appa­rem­ment sans crier gare, elle peut nous figer dans la posi­tion de vic­time, posi­tion qui délaisse la mise en jeu de l’acte pour s’évanouir dans les mirages de l’être.

Accueillir et répondre au-delà du symbolique

Au centre de Nonette, nous devons accep­ter ce fait qui relève de l’ordre du réel, d’un réel que l’on tente de cer­ner : pour celui qui n’a le « secours d’aucun dis­cours éta­bli »[1]Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 474., la vio­lence, sous toutes ses formes, est pre­mière. Elle ne sur­vient pas par acci­dent, par erreur, elle n’est pas la mani­fes­ta­tion d’une crise. Elle est pre­mière, c’est d’abord à elle que se confronte celui que nous accueillons et que nous accom­pa­gnons. Dans la plu­part des lieux qui accueillent aujourd’hui ces enfants, ces ado­les­cents et ces adultes, on y répond par une contre-violence, c’est-à-dire par une vio­lence légi­time, celle que nous tenons de la loi, une vio­lence qui contient, qui sépare, qui isole, qui endort. La loi ne s’y pré­sente plus comme un cadre se fon­dant sur la paix, sur l’apaisement. Elle recourt au droit, à la jus­tice, aux forces de l’ordre. Elle se fonde donc sur la vio­lence légi­time qui consti­tue l’État de droit. Ce nou­veau para­digme vient signer l’échec des ins­ti­tu­tions se fon­dant sur le seul sym­bo­lique, sur la croyance à l’efficacité sym­bo­lique, sur le don du sens.

Au contraire de ces ins­ti­tu­tions se fon­dant sur la loi sym­bo­lique, Nonette met la jouis­sance au fon­de­ment de l’institution. Le par­lêtre se défend contre le réel ; il s’en défend, y com­pris en pre­nant la vio­lence comme moyen. La des­truc­tion peut, par moment, être la seule défense pos­sible contre le réel et le par­lêtre peut même s’en satis­faire. Consentir à cela, ce n’est pas figer dans l’être, dans l’être violent, celui qui s’y trouve pris, ce n’est pas l’affronter en face à face, c’est consi­dé­rer avant tout qu’il est par­lêtre et que ce choix d’un moment, d’un temps, d’une séquence, n’est pas le choix d’une vie, d’une exis­tence, mais une réponse ten­tant de bri­ser le mur de la soli­tude lorsque celle-ci s’égale à la détresse abso­lue. Nous répon­dons alors, comme Jacques-Alain Miller l’indique dans son texte « Enfants vio­lents », par la dou­ceur. Il ne s’agit pas d’une dou­ceur triom­phante, la dou­ceur de celui qui, dis­po­sant de la force, peut faire une fleur à son enne­mi. Il s’agit de la dou­ceur de celui qui a erré sur les rivages de la soli­tude, de la dou­ceur humble de celui qui peut, par sa pré­sence, témoi­gner du trau­ma­tisme de la ren­contre avec la langue.

Dans ce moment où le dia­logue semble rom­pu avant même d’avoir exis­té, il s’agit de tis­ser les fils d’un dia­logue se tres­sant dans la matière même des équi­voques dont l’existence du par­lêtre garde la trace. Il ne s’agit plus de faire réson­ner la vio­lence comme des­tin, de l’arraisonner à par­tir d’une vio­lence légi­time, mais de lui oppo­ser la « réson de lalangue »[2]Lacan J., Je parle aux murs, Paris, Seuil, 2011, p. 94. au lieu même du « trou­ma­tisme »[3]Lacan J., Le Séminaire, livre xxi, « Les non-dupes errent », leçon du 19 février 1974, inédit. qui en recèle l’origine.

Jean-Pierre Rouillon

Notes

Notes
1 Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 474.
2 Lacan J., Je parle aux murs, Paris, Seuil, 2011, p. 94.
3 Lacan J., Le Séminaire, livre xxi, « Les non-dupes errent », leçon du 19 février 1974, inédit.

Inscrivez-vous pour recevoir le Zapresse (les informations) et le Zappeur (la newsletter)

Le bulletin d’information qui vous renseigne sur les événements de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant et des réseaux « Enfance » du Champ freudien, en France et en Belgique et Suisse francophone

La newsletter

Votre adresse email est utilisée uniquement pour vous envoyer nos newsletters et informations concernant les activités de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant et du Champ freudien.