Une réponse politique

En 2005, les rapports du député Jacques-Alain Bénisti sur « La prévention de la délinquance »((Cf. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/064000294.pdf)) et celui de l’Inserm « Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent »((Cf. Expertise collective de l’Inserm, « Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent », www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/140/expcol_2005_trouble.pdf?sequence=1)) mobilisèrent l’opinion et les professionnels concernés pour rejeter massivement cette tentative de prédire une détermination de la violence chez le jeune enfant supposée se retrouver à l’adolescence puis à l’âge vie adulte. Cette visée prédictive au service d’une politique sécuritaire était une réelle menace et a mobilisé plus de 180000 signataires dans une pétition, Le gouvernement a retiré l’article sur le dépistage précoce du projet de loi « Prévention de la délinquance » et a renoncé à l’idée d’un carnet de comportement dès la maternelle.

Dans l’ouvrage collectif Pas de O de conduite pour les enfants de 3 ans !((Collectif, Pas de O de conduite pour les enfants de 3 ans, éditions Eres, 2006.))  des pédopsychiatres, pédiatres, des professionnels de la petite enfance exprimaient leur volonté de défendre leurs pratiques et leur expérience. Il s’agissait de s’opposer à la poussée cognitivo-comportementaliste et à l’immixtion de politiques sécuritaires dans les pratiques soignantes, éducatives et d’actions sociales. Cet ouvrage montre que la violence est fondamentalement conçue comme un message, comme l’expression d’une souffrance à prendre en compte dans un environnement et une évolution en devenir.

Le signifiant « trouble » est devenu un signifiant maître de notre époque. Il ne faisait pas de doute pour le législateur et ses experts que « l’enfant violent » était une entité qui existait pour affirmer leur conception scientiste du « trouble des conduites ». On peut voir, à la lecture du rapport de l’Inserm, que les experts supposaient dans un trouble des conduites, un désordre, un comportement asocial où prédominait une dimension ségrégative, déficitaire.

Plus de dix ans après, Internet fourmille de sites où l’on nous indique comment faire pour contenir le comportement violent des enfants.((Quelques exemples : www.soinsdenosenfants.cps.ca/handouts/tips_for_positive_discipline ; www.magicmaman.com/,video-coaching-parental-3-outils-pour-se-faire-obeir-de-son-enfant,2006339,2170946.asp, www.troubledecomportement.com)) Les méthodes comportementales y ont une grande place, la « discipline positive » avec ses tableaux de comportements semble avoir du succès ! Les enfants rentrent de l’école en disant « aujourd’hui, j’ai eu un « rouge » ou un « vert ». Plus rien à voir avec les « bons points » d’avant qui venaient gratifier l’enfant pour son travail. C’est le comportement de l’enfant qui est constamment sous surveillance. Des vidéos de séances de coaching nous montrent l’efficacité des conseils prodigués aux parents désemparés. Elles mettent au premier plan l’agressivité plutôt que la violence. L’instrumentalisation que ce plan annonçait est devenue effective.

Au regard de cela, le texte de J.-A. Miller « Enfants violents » apporte une réponse politique, dé-ségrégative. Il peut être entendu comme une interprétation adressée à ceux qui ont combattu le projet du législateur mais plus fondamentalement comme une réponse aux experts de l’Inserm, aux comportementalistes.

Il remet en question sans la rejeter l’idée selon laquelle la violence est un symptôme. J.-A. Miller reprend l’enseignement de Freud dans Inhibition, symptôme et angoisse : « Le symptôme serait le signe et le substitut d’une satisfaction pulsionnelle qui n’a pas eu lieu »((Freud S., Inhibition symptôme et angoisse, Paris, PUF, 1978, p. 7.)). Il en déduit que la violence est une satisfaction qui advient, non refoulée. Le sujet apparaît pris dans une satisfaction pulsionnelle qui n’est pas bordée par la voie symptomatique. La formation du symptôme est la conséquence d’un refoulement. « La rançon de ce processus, le résultat du processus de refoulement, comme s’exprime Freud, est précisément le symptôme […] comme signe et substitut d’une jouissance non advenue. Autrement dit, la légalisation de la jouissance se paye de la symptomatisation. L’être humain comme parlêtre est voué à être symptomatique. »((Miller J.-A., « Enfants violents », Après l’enfance, Paris, Navarin, coll. La petite Girafe, 201, p. 198.)) Cette solution du refoulement permet de tenir à distance la satisfaction directe mais elle ne rend pas compte de la violence qui habite l’être humain.

Un des apports majeurs du texte J.-A. Miller est de mettre en évidence la source pulsionnelle de la violence. Il nous donne un repère permettant de nous orienter : « la violence n’est pas un substitut de la pulsion, elle est la pulsion. Elle n’est pas le substitut d’une satisfaction pulsionnelle. La violence est la satisfaction de la pulsion de mort. »((Ibid, p. 200.)) Pour la psychanalyse d’orientation lacanienne, l’enfant freudien, comme tout sujet, est confronté aux effets de la pulsion de mort et cherche à y parer. Il n’est pas pour autant un être asocial, déviant dont il faudrait se méfier à tout instant !

Michel Héraud