Édito n°8 : Sans l’usage de semblants, l’enfant violent se bat

En 1919, Freud écrit « Un enfant est battu », texte incontournable à relire dans le laps de temps qui nous sépare de la 5ème Journée de l’Institut psychanalytique de l’Enfant, le 16 mars. Pour J.-A. Miller, l’un des apports essentiels de ce texte se situe dans le « corrélatif du fantasme » ((J.-A. Miller, « L’orientation lacanienne. La clinique lacanienne», enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université́ Paris VIII, cours du 15 décembre 1982, inédit.)). L’usage du Nom-du-Père, lors de l’opération de la castration, offre au sujet la possibilité du refoulement de la pulsion, mais il y a un reste : le symptôme. Le fantasme viendra alors mettre le sujet à l’abri du désir de l’Autre et traiter le rapport à l’Autre en jetant un voile sur la castration. Le fantasme « un enfant est battu », – et particulièrement la phase reconstruite lors d’une cure, « je suis battue par le père »((Freud S., « Un enfant est battu », Névrose, psychose et perversion, Paris, P.U.F., 1978, p. 225.)) – est le traitement de la culpabilité de s’être éprouvée comme celui ou celle qui est le plus aimée par le père : face à ce triomphe imaginaire, le sujet plonge dans la culpabilité de cet amour incestueux et élabore cette fiction d’être battu par le père. On peut alors avancer que la violence infligée à l’autre n’est pas autre chose que de s’infliger à soi-même son propre châtiment. Il y a alors à trouver la bonne manière de « cogner sur l’Autre » − pour reprendre un des enseignements de la passe de Laurent Dupont − en sortant de l’axe imaginaire et en usant des semblants, ou, comme Alexandre Stevens le propose dans son texte « Un cadre ou un bord »((Stevens A., « Devant l’enfant violent : un cadre ou un bord », Le Zappeur, n°6, institut-enfant.fr/2018/12/03/devant-lenfant-violent-un-cadre-ou-un-bord.)), border la jouissance plutôt que de la cadrer en sachant dire que non sans le proférer.

Quand le refoulement n’a pas eu lieu, reste alors le sans parole de la pulsion, son exigence de satisfaction qui prend le corps et conduit vers l’acte violent. C’est ce que l’on pourra lire dans les textes de Normand Chabot et Ligia Gorini, qui s’appuient sur les romans : Il faut qu’on parle de Kevin (We need to talk about Kevin) et  Pastorale américaine et montrent comment, sans l’usage d’un nom-du-père, ni celui des semblants, le sujet erre jusqu’à un carnage de masse pour Kévin et un engagement terroriste pour Merry.

Comme le relate Jean-Robert Rabanel à propos d'un fameux buffet de Noël, il reste au sujet à trouver une sortie, un usage de cette pulsion en appui sur un autre du transfert  qui saura jouer des semblants pour ne pas tout satisfaire de la pulsion.

Lorsque la violence déferle, il y a recours à la parole qui n’est qu’injure, calomnie, et dont l’envers serait l’aventure amoureuse comme l’indique Éric Zuliani, repérant ainsi que par la relation amoureuse, un autre discours peut prendre forme, usant des semblants pour enserrer le réel du non rapport entre les sexes. Il peut y avoir aussi un traitement de la langue qui, si elle est trop longue et prend corps, peut être le départ d’un travail d’écriture comme le relate Marie-Cécile Marty.

Bonne lecture !

Christine Maugin