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Questions à Pierre Pulliat

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Adela Alcantud : Nous aime­rions savoir ce que le man­ga apporte à la repré­sen­ta­tion, à l’i­ma­gi­naire de la vio­lence. Mais d’abord, d’où vient le man­ga, quelles sont ses origines ? 

Pierre Pulliat * : Le man­ga désigne l’ensemble de la bande des­si­née japo­naise. Son éty­mo­lo­gie pro­vient du peintre Hokusai qui sur­nom­mait ain­si ses cro­quis. Depuis l’ouverture du Japon à l’Occident, les Japonais découvrent les cari­ca­tures des jour­naux euro­péens et s’approprient à leur tour ce lan­gage des­si­né. Mais le man­ga moderne, tel qu’on le lit aujourd’hui – sous forme d’un long récit feuille­to­nesque – doit son ori­gine aux artistes d’après la seconde guerre mon­diale, notam­ment Osamu Tezuka qui insuffle énor­mé­ment de lan­gage ciné­ma­to­gra­phique dans ses propres man­gas (par­mi les plus célèbres, Astro Boy, Black Jack, Ayako…). Depuis trente ans, la culture man­ga qui com­prend la vision d’anime[1], la pra­tique du jeu vidéo et l’intérêt pour la culture japo­naise plus lar­ge­ment, est inté­grée dans le pay­sage popu­laire des ado­les­cents qui font vivre le genre avec pas­sion géné­ra­tion après génération.

Morgane Léger : Pouvez-vous nous par­ler du style par­ti­cu­lier et très recon­nais­sable du man­ga concer­nant le des­sin des visages ?

P. P. : Chaque auteur a son style par­ti­cu­lier, mais beau­coup s’inspirent des canons gra­phiques exis­tant chez les auteurs qui les ont influen­cés. Ces canons gra­phiques sont sou­vent des pré­ro­ga­tives qui appar­tiennent à chaque lec­to­rat (kodo­mo[2], sho­nen[3], sho­jo[4], sei­nen[5], geki­ga[6] etc.) Par exemple, une majo­ri­té des titres sho­jo – jeune fille en japo­nais – ren­ferment des per­son­nages fémi­nins aux grands yeux légè­re­ment dis­pro­por­tion­nés et sur-expressifs afin de sur­li­gner les codes d’expressions dra­ma­tiques. Les gar­çons dans les titres d’aventures sont très sou­vent ath­lé­tiques et mus­cu­leux et reflètent les mondes dan­ge­reux dans les­quels ils évo­luent. Chez les per­son­nages de man­gas, les corps peuvent se trans­for­mer lit­té­ra­le­ment au gré de leurs émo­tions : un per­son­nage expri­mant la honte sera repré­sen­té comme minus­cule et plus sim­ple­ment pro­por­tion­né afin de sou­li­gner la sin­cé­ri­té de son sen­ti­ment. Il existe des dizaines de codes d’expression sym­bo­li­sant les dif­fé­rentes humeurs des per­son­nages. Ces mimiques gra­phiques sont désor­mais par­fai­te­ment inté­grées par les lec­teurs, et se retrouvent même dans de nom­breuses bandes des­si­nées franco-belges modernes.

M. L. : Pourriez-vous par­ler de l’o­ri­gine du gra­phisme des yeux dans le man­ga ? Peut-on dire que le man­ga­ka des­sine des yeux dif­fé­rents selon l’af­fect éprou­vé par le personnage ?

P. P. : On attri­bue les yeux des man­gas à Osamu Tezuka qui était pas­sion­né par Bambi, le per­son­nage de Walt Disney avec ses grands yeux qui trans­mettent énor­mé­ment d’émotion. Le Mangaka s’en est ser­vi, comme dans Ayako où les yeux du per­son­nage appellent le lec­teur à entrer dans le per­son­nage. Les yeux dans le man­ga sont un miroir de l’âme. Ils se déforment au gré des émo­tions. Un per­son­nage qui exprime de l’étonnement a les yeux réduits à des simples billes un peu per­dues sur le visage. Quand le per­son­nage est plus sérieux, les yeux sont plus réa­listes, le regard plus soi­gné, les cils plus détaillés… Chaque auteur aborde le gra­phisme dif­fé­rem­ment, mais on peut dire que c’est le des­sin des yeux qui fait la spé­ci­fi­ci­té d’un auteur de manga.

Il y a une anec­dote à pro­pos d’un man­ga, Golgo 13, qui existe depuis 1970 au Japon. C’est une sorte de James Bond pour jeunes adultes gar­çons. Le man­ga­ka Takao Saitō a plus de 80 ans et il n’a plus l’énergie de des­si­ner. Le man­ga est réa­li­sé dans un stu­dio par plu­sieurs des­si­na­teurs et Saitō vient juste des­si­ner les yeux parce qu’on dit que lui seul sait créer les yeux même si ce n’est pas lui qui des­sine le contour du visage.

A. A. : Y a‑t-il des carac­té­ris­tiques de la repré­sen­ta­tion de la vio­lence dans le man­ga et si oui, lesquelles ?

P. P. : Le « com­bat » dans les man­gas n’est pas syno­nyme de bagarre sté­rile, il met en avant le dépas­se­ment de soi comme une étape vers la matu­ri­té. Dans les scènes de com­bat, le « héros » se bat tou­jours avec un grand sens du sacri­fice, il/elle n’hésite pas à don­ner sa force pour pro­té­ger les plus dému­nis. La force brute n’est jamais un atout, les héros des man­gas triomphent grâce à leur soli­da­ri­té, leur ami­tié et la dévo­tion totale envers des valeurs pures (jus­tice, famille, éga­li­té…). Les armes, pou­voirs et autres démons­tra­tions de force sont tou­jours hyper exa­gé­rés afin de créer une ambiance hau­te­ment dra­ma­tique pour pas­sion­ner les lec­teurs. Bien sou­vent, la figure du méchant dans les man­gas se trans­forme, après son com­bat « puri­fi­ca­teur », en nou­vel allié du héros illus­trant la maxime : « l’ennemi d’hier peut deve­nir l’allié de demain ». On retrouve cet aspect ini­tia­tique dans la majo­ri­té des genres et des sujets abor­dés (sport, cui­sine, musique), pas seule­ment dans les titres d’aventures.

La vio­lence dans les man­gas a une valeur sym­bo­lique qui ren­voie sys­té­ma­ti­que­ment aux arché­types du « bien » contre le « mal ». Plus la menace se veut malé­fique, plus le déchaî­ne­ment de vio­lence sera intense (des­truc­tion, cruau­té). En réponse, le camp du bien doit déployer une force puri­fi­ca­trice de même inten­si­té, d’où le sen­ti­ment d’affrontement à ral­longe dans les intrigues. Les corps évo­luent, les « pou­voirs » des per­son­nages s’affirment, que ce soit sous forme de per­so­na, ou de ren­for­ce­ment phy­sique héri­té des arts mar­tiaux asia­tiques. Dans les man­gas sho­nen, les affron­te­ments évo­luent gra­duel­le­ment avant d’atteindre un paroxysme cata­clys­mique libé­rant le monde de la menace en cours. Cette fin spec­ta­cu­laire du com­bat marque sou­vent une étape fran­chie par le héros.

La vio­lence dans le man­ga est tou­jours le der­nier recours après la parole. Il y a dans les man­gas pour enfants et ado­les­cents un sens moral extrê­me­ment fort. Il n’y a jamais de sadisme. Le héros ne fera jamais de mal aux siens volon­tai­re­ment, il s’apparente à un che­va­lier. Bien sou­vent il est pré­sen­té comme une sorte de Messie ou de sau­veur. On retrouve cette dimen­sion du sacri­fice dans le boud­dhisme qui cor­res­pond à la culture japonaise.

A. A. : Peut-on dire qu’il y a une tem­po­ra­li­té propre au manga ?

P. P. : Tout à fait. Il y a dans le man­ga un art de la dra­ma­ti­sa­tion qui passe par une série de des­sins fixes qui s’impriment sur la rétine du lec­teur et font mon­ter l’adrénaline. C’est ce qui crée la dyna­mique propre au man­ga que l’on retrouve dans l’affrontement entre deux per­sonnes. Que ce soit un com­bat de boxe ou d’échecs, chaque com­bat peut durer plu­sieurs tomes : un com­bat peut faire quatre à cinq cents pages. Vous allez me dire : « Mais qu’est-ce qu’il y a à lire ? » Et bien il n’y a pas à lire, c’est à vivre !

L’épreuve, limi­tée dans le temps à quelques minutes, est éti­rée à l’extrême. Chaque pause, chaque regard face à l’adversaire donne l’occasion d’un échange, d’un dia­logue. Par exemple, au moment où un per­son­nage va tirer le bal­lon, il va avoir le temps de dire : « Attention, je vais tirer du côté droit, préparez-vous ! », alors que dans la vraie vie, on n’a même pas le temps de dire un mot que le bal­lon est déjà par­ti. Dans les man­gas pour jeunes filles par exemple, le temps du récit peut s’arrêter l’espace d’une scène de bai­ser. On croit avoir à faire à un simple com­bat ou un simple bai­ser mais la scène recèle des détails qui consti­tuent des enjeux impor­tants. Le man­ga se spé­ci­fie dans la place qu’il accorde au détail. Il délaie énor­mé­ment le temps, contrai­re­ment aux autres bandes dessinées.

M. L. Pouvez-vous nous par­ler de la façon dont les scènes de com­bat sont des­si­nées dans les mangas ?

P. P. : La morale au Japon n’étant abso­lu­ment pas la même que chez nous, la repré­sen­ta­tion des corps est bou­le­ver­sée : ils sont sca­ri­fiés, tour­men­tés, abî­més, mais aus­si magni­fiés. Dans nos bd, les corps sont assa­gis. À la dif­fé­rence de Spirou et Tintin dont les corps ne reflètent pas la force, un per­son­nage de man­ga, lui, va reflé­ter le monde dans lequel il vit.

Les per­son­nages sont tous chastes mais ils sont tous sexuel­le­ment orien­tés. Ils sont tous inté­res­sés par le sexe oppo­sé, sur­tout avec une pré­do­mi­nance des gar­çons pour les corps hyper sexués des jeunes filles : poi­trine avan­ta­geuse, larges hanches. Plus le com­bat avance, plus le per­son­nage qui se bat va se dénu­der : le torse nu, le corps en sueur, avec des cica­trices, des traces de sang qui marquent l’évolution du com­bat. Son corps est lit­té­ra­le­ment mis à nu face à l’épreuve.

Les per­son­nages de sho­nen sont tous orphe­lins. Ils sont presque adultes et doivent vivre la grande aven­ture avant l’heure. Le man­ga met en scène un enfant mis face aux hor­reurs des adultes dont les épreuves font fris­son­ner le lec­teur. Le per­son­nage de One Piece – la série la plus ven­due au monde – a une grande cica­trice en croix sur tout le corps. Le lec­teur ne connaît pas la rai­son de cette cica­trice mais elle est le sym­bole d’une épreuve qu’il a fran­chie et qui l’a ren­du plus fort. C’est une marque de son pas­sage à l’âge adulte.

Dans les man­gas pour jeunes filles, les sho­jo, l’héroïne doit se faire vio­lence à elle-même pour sur­mon­ter une épreuve et dépas­ser soit les pré­ju­gés des autres, soit un quo­ti­dien qui l’étouffe et l’empêche d’ac­com­plir sa des­ti­née. Dans le man­ga sen­ti­men­tal, l’é­preuve consiste par­fois à deve­nir une femme en pas­sant le cap de l’a­do­les­cence, l’héroïne va devoir apprendre à mener sa vie. Il y a là aus­si une forme de com­bat qui se passe à un niveau plu­tôt inté­rieur là où dans les sho­nenman­ga, ce com­bat s’ex­té­rio­rise à coups de poings ou à coups de pieds. Mais on retrouve le même rite de pas­sage : le héros doit com­battre, s’af­fran­chir d’une épreuve pour pou­voir s’é­pa­nouir, deve­nir plus sage et aider les autres.

A. A. Il y a donc une dif­fé­rence mar­quée quant à la vio­lence entre les man­gas pour filles et pour garçons ?

P. P. : Cela est dû à la culture japo­naise. Il y a un véri­table cloi­son­ne­ment entre les genres dans le man­ga. Au Japon, le ser­vice est per­son­na­li­sé à l’ex­trême. L’offre très diver­si­fiée dans le man­ga, le ciné­ma ou les jeux vidéos dépend de clas­si­fi­ca­tions, de caté­go­ri­sa­tions. La façon dont les Japonais zoo­ment sur chaque micro­phé­no­mène se retrouve dans les man­gas. Ils reflètent la socié­té actuelle, qu’ils parlent de dra­gons ou de ninjas.

En France, on pré­fère ne pas cloi­son­ner, notre bd jeu­nesse s’é­tire de 7 à 77 ans. Des clients proches de la cin­quan­taine vont ache­ter une bd jeu­nesse comme Spirou qui pour­tant cible les jeunes. Il y a un attrait nos­tal­gique pour un héros qu’on veut suivre toute sa vie.

Les Japonais, eux, insistent sur le fait qu’on passe des étapes, ce qu’on retrouve dans les man­gas. On com­mence par lire des man­gas pour enfants (kodo-manga) comme Doraemon dans les années 70, Pokemon dans les années 2000 ou Inazuma Eleven. Le gra­phisme est très rond, l’univers repré­sen­té est plu­tôt doux, enfan­tin. Plus on va évo­luer en âge, plus on va gagner au niveau du réa­lisme. Dans la majo­ri­té des sho­nen man­ga, on aban­donne les traits ronds pour aller vers un des­sin plus réa­liste, proche d’une réa­li­té pho­to­gra­phique. À par­tir de 12 ans, un gar­çon va lire un sho­nen man­ga comme Narutoou My Hero Academia. À 15 ans, il va choi­sir des young sho­nen, comme Gantz, une caté­go­rie pour jeunes ado­les­cents plus matures, avec un peu plus d’ac­tion. Vers 18 ans, il pour­ra lire des sei­nen pour jeunes adultes comme Monster une his­toire poli­cière aux reflets plus poli­tiques. Une fois adulte il ira plu­tôt vers le geki­ga ou des man­gas d’auteur.

Le man­ga pour enfants et ado­les­cents est très moral, il n’y a pas de repré­sen­ta­tion de sexe, ni de poils. Il y a une limite pour répri­mer la pul­sion chez le lec­teur. La cruau­té qu’on peut voir dans le man­ga pour adultes est dépla­cée dans celui pour ado­les­cents sur le ver­sant psy­cho­lo­gique, avec des humi­lia­tions comme enfer­mer une fille dans un pla­card et lui mettre la tête dans l’eau des toi­lettes… Les man­gas parlent énor­mé­ment du har­cè­le­ment, par exemple les héros sont sou­vent des anciennes vic­times de tabas­sages et rackets par les caïds.

Le man­ga pour adulte est moins du côté du conte ou de l’allégorie. Il va mettre en scène les corps, les dési­rs, les pul­sions, comme dans le man­ga Death Note qui a défrayé à la chronique.

M. L. : Quelle est votre idée sur ce qui attire les enfants et les ado­les­cents dans le manga ? 

P. P. : L’identification que peuvent avoir les ado­les­cents du monde entier avec les per­son­nages des man­gas est très forte. Dans le genre sho­nen et sho­jo à des­ti­na­tion des jeunes gar­çons et jeunes filles, les per­son­nages ont le même âge que les lec­teurs et sou­vent les mêmes pré­oc­cu­pa­tions (sociales, rela­tion­nelles, morales), quel que soit le genre abor­dé (comé­die, fan­ta­sy, drame en milieu sco­laire). Loin d’être figés, les per­son­nages gran­dissent phy­si­que­ment et mûrissent psy­cho­lo­gi­que­ment au fil des tomes au même rythme que le lec­to­rat. Par exemple, le per­son­nage de Sangoku de Dragon Ball débute l’aventure enfant et finit père dans les der­niers volumes. L’ambiance éner­gique, le desi­gn dyna­mique des per­son­nages et des décors asso­ciés à des intrigues ori­gi­nales, dans l’air du temps, par­ti­cipent au suc­cès des man­gas chez les adolescents.

A. A. : Pouvez-vous déve­lop­per en quoi les man­gas peuvent per­mettre de créer du lien entre les jeunes lecteurs ?

P. P. : Les lec­teurs sont les meilleurs mili­tants des man­gas, meilleurs que n’importe quelle chro­nique, n’importe quel jour­na­liste. Dès qu’ils lisent, ils ont besoin de par­ta­ger : les man­gas ont un for­mat facile à trans­por­ter dans les cours de récré. Ils se dévorent et s’échangent. Les lec­teurs qui aiment la même série se retrouvent sur des forums vir­tuels. Certains vont s’habiller en per­son­nage (appe­lé cos­play, contrac­tion de Costume Player). Le man­ga est la BD qui crée le plus d’identification phy­sique et psy­chique avec ses lec­teurs, par le biais de l’action des lec­teurs mais aus­si du fait de l’offre de pro­duits déri­vés, de jeux. On peut aus­si man­ger les mêmes nouilles que Naruto ou por­ter le même casque audio que le héros de Bakuman.

Avec le man­ga, on peut choi­sir de s’enfermer comme de s’ouvrir. Cela dépend du carac­tère de cha­cun mais aus­si du milieu socio­cul­tu­rel, de l’éducation du lec­teur. Le man­ga est par­fois accu­sé de vam­pi­ri­ser, de créer des « psy­choses » ou des blo­cages chez les enfants. Je crois qu’il peut accen­tuer des maux déjà présents.

Au contraire, cer­tains clients me disent qu’un man­ga leur a sau­vé la vie. L’un de mes clients porte un tatouage de son per­son­nage pré­fé­ré comme un sym­bole qui lui donne l’ins­pi­ra­tion pour pour­suivre sa vie.

C’est un sujet qui m’in­té­resse parce que moi-même j’ai éprou­vé, ado­les­cent, ce sen­ti­ment que le man­ga ne s’adressait pas à moi pour me rabais­ser ou me faire la morale. La pre­mière fois que j’en ai lu un, je me suis iden­ti­fié au per­son­nage qui, en trans­gres­sant légè­re­ment, en contour­nant quelques règles, a pu évo­luer, ne pas res­ter coin­cé dans sa bulle. Ado, je ne lisais pas que des man­gas, mais j’avais le sen­ti­ment que seul le man­ga s’adressait direc­te­ment à l’ado en moi. C’est ce qu’il m’intéresse de trans­mettre main­te­nant que je suis adulte.

Le man­ga s’est lit­té­ra­le­ment concen­tré sur les rites de pas­sage à l’adolescence, il se dif­fé­ren­cie des comics, qui imposent des modèles avec les super­hé­ros, mais qui ne per­mettent pas tel­le­ment l’identification. Hormis Spiderman qui est jeune, les super­hé­ros sont des adultes. Quand on est ado­les­cent, on les admire mais on ne s’y iden­ti­fie pas. Tandis que dans les man­gas, on a le même âge que le héros, on gran­dit avec lui, on va affron­ter des galères dans la vie comme le héros va avoir des com­bats. Certains lec­teurs me parlent des héros presque comme des amis, des grands frères, qui les accom­pagnent dans la vie.

A. A: C’est une iden­ti­fi­ca­tion du lec­teur avec le per­son­nage manga ? 

P. P. : Plus qu’avec le per­son­nage, c’est une iden­ti­fi­ca­tion au man­ga­ka. Lorsque l’auteur des­sine un man­ga, il se des­sine lui-même, il se bat avec ses tech­niques de des­sin, c’est pour ça que les com­bats sont sou­vent repré­sen­tés avec des grandes taches, de grandes explo­sions. Vous avez l’exemple de Katsuhiro Otomo qui, en des­si­nant une explo­sion de la ville de Tokyo, passe des heures et des heures à des­si­ner plu­tôt que de faire un aplat de noir. La tech­nique de des­sin est un acte de contri­tion de l’auteur qui rend hom­mage aux vic­times d’Hiroshima : il s’inflige une dou­leur qui lui per­met d’expier le fait qu’il ne des­sine qu’un diver­tis­se­ment. Son des­sin tra­duit son res­pect : chaque trait noir repré­sente une âme dis­pa­rue de la ville fic­tive de Neo-Tokyo et par exten­sion une vic­time d’Hiroshima.

Lorsque les auteurs parlent de leur tra­vail, ils font tou­jours preuve d’humilité vis-à-vis de leurs aînés, ils s’excusent tou­jours de leur héros en disant qu’ils vont s’améliorer. L’auteur retrans­crit dans son des­sin la vio­lence interne qu’il res­sent : envers la tech­nique dif­fi­cile, le délai, la pression.

Beaucoup d’auteurs s’adressent direc­te­ment aux lec­teurs dans une rubrique appe­lée free-talk. Ils y évoquent sou­vent leurs condi­tions de tra­vail, leur mal au dos, ils s’excusent du fait que leur des­sin ne soit pas à la hau­teur des attentes du lec­teur. Ils peuvent aus­si expri­mer leur plai­sir : « J’ai fini cet épi­sode, quelque chose en moi vient de se libé­rer. » Le man­ga est lit­té­ra­le­ment une conver­sa­tion entre l’auteur et son lecteur.

 * Pierre Pulliat est libraire et for­ma­teur, c’est un pas­sion­né de bande des­si­née et un spé­cia­liste du manga.

[1] Un anime désigne une série d’a­ni­ma­tion ou un film d’a­ni­ma­tion en pro­ve­nance du Japon. C’est le dimi­nu­tif du mot animē­shon lui-même trans­crip­tion de l’an­glais « animation ».

[2] Kodomo est un mot japo­nais qui veut dire « enfant ». Dans les pays non japo­ni­sants, ce mot désigne les man­gas et animes des­ti­nés plus par­ti­cu­liè­re­ment aux enfants.

[3] Le mot shō­nen, qui signi­fie « ado­les­cent » en japo­nais, est uti­li­sé pour dési­gner un type de man­ga, le shō­nen est un type de man­ga dont la cible édi­to­riale est avant tout consti­tuée de jeunes ado­les­cents de sexe masculin.

[4] Shōjo est un mot japo­nais signi­fiant jeune fille ou petite fille. Le shō­jo man­ga est une bande des­si­née japo­naise publiée dans un maga­zine de pré­pu­bli­ca­tion dont la cible édi­to­riale est avant tout consti­tuée de jeunes adolescentes.

[5] Le sei­nen man­ga est un type de man­ga dont la cible édi­to­riale est avant tout consti­tuée par les jeunes adultes (15 à 30 ans) de sexe masculin.

[6] Le geki­ga est un style de man­ga dont la cible édi­to­riale sont les adultes. Il signi­fie lit­té­ra­le­ment « des­sins dramatiques ».

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