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Kev et « le miroir sophistiqué »

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Kev, ado­les­cent deve­nu jeune adulte, ne parle pas[1]. Clémence Hébert[2] oui. Cependant, la réa­li­sa­trice se sert peu de la parole et bien plus de sa res­pec­tueuse pré­sence en corps. Pendant plu­sieurs années, elle a par­ta­gé avec d’autres inter­ve­nants le quo­ti­dien des jeunes rési­dants de l’institution qui héberge Kev. Et puis, il y a eu cette ren­contre entre eux, la pre­mière d’une longue série : ils sont arri­vés en même temps dans l’institution. Il a choi­si Clémence et sa camé­ra, les autres ne pou­vaient pas l’approcher… « Lui seul et seule­ment lui ! Il l’a fait com­prendre », pré­cise Clémence qui l’a choi­si pour faire un bout de che­min avec lui.

Kev s’intéresse aux divers maté­riaux et objets qui peuvent ser­vir à construire une mai­son, spé­cia­le­ment les portes, les radia­teurs, les tuyaux, les fils, des mor­ceaux de bois. Mais aus­si aux arbres, à leurs branches, dans le jar­din et en forêt. Comme en témoigne sa grand-mère, s’il arrache un tuyau, c’est pour le plan­ter ailleurs, dans un autre trou, un trou qu’il fore, cerne et bouche par la même occa­sion. S’il arrache une branche ou un légume dans le pota­ger, c’est pour le plan­ter ailleurs. Il plante le décor, le sien.

Kev a choi­si Clémence Hébert et sa camé­ra. Clémence, elle, a eu l’idée d’orienter l’écran lcd de sa camé­ra vers les autres. Il s’en est sai­si, sans jamais abî­mer la camé­ra. Lorsqu’il aper­çut pour la pre­mière fois son image dans le « cadre », ce fut un moment d’heureuse sur­prise pour lui, pour Clémence et l’équipe des inter­ve­nants. L’écran est deve­nu un « miroir sophis­ti­qué » par la pré­sence d’un par­te­naire accueillant.

Tout petit, Kev a été décou­vert, seul et cou­ché, n’ayant que les rayons du soleil pour jouer. À l’âge de qua­torze ans, il trouve enfin un lieu qui lui ouvre sa porte et écrit son pré­nom sur un des murs. Le regard de Clémence est suf­fi­sam­ment mis entre paren­thèses et atti­rant en même temps pour qu’il décide de l’inclure dans ses tours : Kev va don­ner une bûche à Clémence qui tient la camé­ra d’une main et le mor­ceau de bois de l’autre. Au lieu de tour­ner en rond tout seul dans la lumière, il passe désor­mais par la camé­ra pour s’y voir, sou­rire, émettre quelques petits bruits de plai­sir et repar­tir. Il ne fuit plus, revient tou­jours vers Clémence et sa camé­ra. Il peut main­te­nant attendre quand une inter­ve­nante l’interpelle au milieu de ses trottinements.

Sa grand-mère, chez qui il passe les week-ends, a remar­qué com­bien son regard avait chan­gé depuis qu’il a ren­con­tré Clémence. Dans le docu­men­taire, il est repé­rable que son corps est plus pai­sible. Il tient bien mieux debout, il a un visage plus lumi­neux et un regard orien­té vers l’autre. Un jour, Clémence ne l’a pas recon­nu : elle a cru, de loin, qu’elle avait devant elle un ouvrier.

Si aupa­ra­vant ses ren­contres avec Clémence Hébert les manœuvres de Kev pou­vaient être lues comme des­truc­trices, c’est dans le lien trans­fé­ren­tiel à un par­te­naire pré­cis et au moyen d’un objet par­ta­gé que la jouis­sance a trou­vé à s’orienter, se situer, se dépla­cer, s’humaniser. Avec Clémence, une bûche devient une branche, la chose qu’auparavant il aurait arra­chée tient bon, il le véri­fie. Les bords d’un corps se pré­cisent. Une écri­ture est à l’œuvre.

[1]Mes remer­cie­ments vont à Clémence Hébert, réa­li­sa­trice du film docu­men­taire « Kev », et à Fred Bourlez, res­pon­sable thé­ra­peu­tique à « La Porte Ouverte », ins­ti­tu­tion qui a accueilli Kev pen­dant quatre ans. Ils m’ont per­mis de faire une mer­veilleuse ren­contre, celle de Kev et de ses grands-parents, www​.derives​.be/​f​i​l​m​s​/​kev

[2]« Le miroir sophis­ti­qué » est une expres­sion de Clémence Herbert.

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