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Le Courtil en ligne – Préface

Par Philippe Bouillot
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« Quelle joie trouvons-nous dans ce qui fait notre tra­vail ? » deman­dait J. Lacan dans son dis­cours de clô­ture lors des jour­nées sur l’enfance aliénée[i]. Chacun, cha­cune se fera une idée de cette joie à la lec­ture de ce numé­ro papier « Morceaux choi­sis » de la revue Courtil en ligneS qui ras­semble des textes issus des trois numé­ros parus en 2021, consa­crés à la pra­tique en ins­ti­tu­tion avec des enfants, des ado­les­cents et des jeunes adultes.Mais « ce qui fait notre tra­vail » en ins­ti­tu­tion n’est ni facile à cer­ner, ni jamais connu à l’avance. Là est tout l’effort et le mérite de la revue du Courtil qui publie, pour les sou­mettre au débat, des textes qui cherchent à en pré­ci­ser l’objet, l’orientation et la dif­fi­cul­té au cas par cas. L’enjeu n’est pas mince si on part de l’affirmation tran­chante de J. Lacan dans Télévision en réponse à une ques­tion de J.-A. Miller sur les psys qui « se col­tinent toute la misère du monde[ii] ». Y‑a-t-il moyen d’échapper, dans ce tra­vail, à la fata­li­té qui enchaîne dans un même mou­ve­ment ce que J. Lacan nomme ce « sup­po­sé col­ti­nage » et la « col­la­bo­ra­tion avec le dis­cours qui la conditionne[iii] » ?Mettons que ce volume, comme cha­cun des autres numé­ros, tente ni plus ni moins une réponse à cette ques­tion, ce qui en fait tout autre chose qu’un « guide des bonnes pra­tiques ». D’un bout à l’autre, c’est une « fra­ter­ni­té discrète[iv] » qui affleure, celle que Jacques Lacan évo­quait pour signa­ler que nous lui « sommes tou­jours trop inégaux » dans l’accueil de la « for­mi­dable galère sociale de l’homme moderne[v] ».« Trop inégaux », nous le sommes cer­tai­ne­ment mais tous les tra­vaux expo­sés témoignent d’un désir de ne pas lais­ser la logique de l’entreprise, la « ges­tion des res­sources humaines » et les psy­cho­thé­ra­pies auto­ri­taires déshu­ma­ni­ser la prise en charge des enfants, des ado­les­cents et des jeunes adultes en dif­fi­cul­tés comme elles l’ont déjà fait beau­coup trop dans les mondes aca­dé­miques, entre­pre­neu­riaux et médi­caux. Alors que les exi­gences politico-administratives dans le champ de la san­té men­tale se font plus crues et plus bru­tales dans le sens d’une col­la­bo­ra­tion nor­ma­tive exi­gée de la part du per­son­nel psy (et cela avec des moyens tou­jours plus misé­rables), le ver­dict de Lacan semble plus actuel encore. Les textes des trois rubriques ont en com­mun de nous don­ner le témoi­gnage de l’implication de cha­cune et cha­cun dans une « écoute qui ne va pas sans interprétation[vi] ». Il est ques­tion à chaque fois d’une expé­rience concrète mais cette expé­rience est inter­ro­gée sous l’une ou l’autre de ses facettes pour en tirer un ensei­gne­ment inédit qui est sou­mis à la dis​cus​sion​.La jour­née de ren­trée inti­tu­lée « Interprètes de l’inclusion » et conçue par Christophe Le Poëc prend son départ d’un malaise, celui qui « se fait jour quand l’inclusion prend la forme d’une injonc­tion non inter­ro­geable et que la réponse poli­tique consiste en un plus de rhé­to­rique inclu­sive, plus de recom­man­da­tions tech­niques et moins de moyens humains[vii] ». Ce n’est pas le goût du para­doxe mais la cli­nique qui amène alors à arti­cu­ler logi­que­ment inclu­sion et exclu­sion, à rap­pe­ler que le sujet se fonde par sous­trac­tion – sinon, il en res­te­rait tou­jours à dire : « J’ai trois frères, Paul, Ernest et moi[viii] » – et qu’il est troué par une exclu­sion interne appe­lée par Lacan « exti­mi­té ». C’est aus­si la cli­nique de la pul­sion et sa gram­maire qui per­met de mettre en valeur la voix moyenne sous la forme du « se faire inclure » dans le monde de l’enfant. En se fai­sant les inter­prètes de ce signi­fiant « inclu­sion » mis en posi­tion de com­man­de­ment, les auteurs en réduisent sa puis­sance d’intimidation et cor­rigent les pré­ju­gés trom­peurs qui vou­draient répar­tir trop sim­ple­ment bon­heur et mal­heur, inclu­sion et exclusion.Les tra­vaux ras­sem­blés sous le titre « Rire et éclats », per­mettent de mettre en lumière une veine par­ti­cu­liè­re­ment riche du tra­vail. Le rire n’est pas tou­jours signe de joie puisqu’il peut être sar­do­nique et signer l’ironie mais il peut aus­si, moyen­nant un « pas de côté » allé­ger une parole trop char­gée de son poids d’insulte. Le trip­tyque freu­dien « comique, mot d’esprit, humour » court ici entre les lignes. La ques­tion cen­trale et cli­ni­que­ment déci­sive est de savoir com­ment opé­rer avec des mots auprès de sujets qui témoignent être per­sé­cu­tés par le lan­gage. Dans la vie quo­ti­dienne de l’institution, le rire dédra­ma­tise les ten­sions mais per­met aus­si de les dra­ma­ti­ser quand il leur donne forme. Il offre au sujet de ne pas se sen­tir outra­geu­se­ment visé et de ne pas prendre cou­leur de misère. Il signale sou­vent, au contraire, les inven­tions lan­ga­gières et les satis­fac­tions qu’elles apportent.Enfin, une troi­sième par­tie reprend les textes d’une jour­née de ren­trée du Courtil inti­tu­lée « Présence du sexe ». L’argument de la jour­née rap­pelle que J. Lacan tenait que le scan­dale pro­vo­qué par la psy­cha­na­lyse n’était pas tant lié à la décou­verte de la sexua­li­té enfan­tine mais que Freud « intro­dui­sait en même temps que cette notion de sexua­li­té, et bien plus encore qu’elle, ses para­doxes, à savoir que l’approche de l’objet sexuel pré­sente une dif­fi­cul­té essen­tielle qui est d’ordre interne[ix] ». Cette dif­fi­cul­té interne à la sexua­li­té tient à ce que l’objet qui sert à l’apaisement de la pul­sion est ce qu’il y a de plus variable et de moins pro­gram­mé dans le mon­tage pul­sion­nel. Voilà le vrai scan­dale : la touche bizarre de la sexua­li­té humaine dans son choix d’objet. Entre choix d’objet et choix d’une posi­tion de jouis­sance, se construisent les inven­tions et les inter­ven­tions sin­gu­lières qui nous sont rap­por­tées. Là comme tou­jours dans notre pra­tique, nous ne pou­vons pas par­tir d’un savoir pré­éta­bli. Comme les débats l’ont mon­tré, il s’agit à chaque fois de res­ter au plus près de l’équation sin­gu­lière qui marque le style du sujet.

[i] J. Lacan, in Recherches, numé­ro spé­cial enfance alié­née, “L’enfant, la psy­chose et l’institution”, Paris, déc. 1968, p.150

[ii] J. Lacan, Télévision, Éditions du Seuil, Paris, 1974

[iii] Ibid. p.25[iv] J. Lacan, “L’agressivité en psy­cha­na­lyse”, Écrits, le Seuil, Paris, 1966, p.124

[v] Ibid. p.119 [vi] J.-A. Miller, in La Cause du désir, 108, Navarin Éditeur, Paris, juillet 2021

[vii] “Interprètes de l’in­clu­sion”, Ch. Le Poëc, p.9 de ce numéro[viii] J. Lacan, Le sémi­naire, Livre II, Éditions du Seuil, Paris, 1978, p.74

[ix] J. Lacan, Le sémi­naire, Livre IV, Éditions du Seuil, Paris, 1994, p.59

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