Abord scientifique ?
Les études scientifiques offrent une matière essentielle pour saisir ce nouveau syntagme : « enfants trans ». D’abord parce que l’argument scientifique est fréquemment avancé comme preuve du phénomène qualifié de « transidentité » et des bienfaits des transitions de genre et de sexe. Ensuite, parce que ces études, si elles sont encore de trop faible ampleur pour une validité scientifique classique, se multiplient ces dernières années. Et ce, alors que les demandes adressées à des centres spécialisés sur les questions d’« identité de genre » connaissent un très fort accroissement. L’augmentation du nombre des études correspond à une accélération des décisions prises concernant la réponse à donner à ces enfants : l’objectivation du diagnostic, impliquant souvent, comme nous allons le voir, une médicalisation à vie.
Dépathologisation et médicalisation
Un paradoxe apparaît d’emblée : l’exigence de la dépathologisation de la dysphorie de genre (l’idée d’être né dans un corps sexué qui ne correspond pas à son genre) va de pair avec un discours omniprésent des associations de transgenres en faveur de la médicalisation des enfants trans. Le dernier DSM((Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5e éd., février 2015)) consentait déjà à cette dépathologisation, l’appellation Trouble de l’identité de genre devenant Dysphorie de genre (DG) en 2015. Ainsi le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM 5) maintient une catégorie tout en la classant hors trouble mental. Figurer au DSM permet de répertorier la souffrance entrainée par la DG et d’introduire alors la question des traitements de référence, en l’occurrence, le traitement recommandé par les associations de transgenres et transsexuels : le traitement par « affirmation de genre », soit la prescription médicale précoce, c’est-à-dire dès l’enfance, et remboursée par l’État. Il s’agit tout d’abord d’une prescription d’hormones bloquant la puberté, puis d’hormones sexuelles contraires, et enfin de chirurgie. Si les opérations des organes génitaux sont interdites en France sur les mineurs, en revanche l’ablation des seins peut se pratiquer sur des jeunes filles dès 16 ans, avec l’accord des parents.
L’argument scientifique
Bien que les équipes spécialisées mettent en avant leur prudence et leur réflexion collégiale, avant toute prescription de traitement hormonal (TH), dans les faits, la psychothérapie n’est plus obligatoire, l’idée d’une « autodétermination » des enfants quant à leur genre prévaut et la prescription hormonale commence chez des enfants de plus en plus jeunes. « La prise en charge sur le plan endocrinologique fait donc partie intégrante du parcours de soins des enfants/adolescents ayant une dysphorie de genre »((https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2016-1-page-58.htm)), confirme Laetita Martineria, pédiatre en endocrinologie à l’hôpital Robert Debré. Le TH est au cœur des protocoles adoptés. Le documentaire Petite fille((Lifshitz S, Petite fille, Arte production, 2020)) diffuse comment il peut être facilement et précocement proposé : dès le deuxième entretien avec le pédopsychiatre, le TH est envisagé prochainement pour cet enfant de 8 ans – « s’il le désire » lui dit-on, précédant l’expression de toute demande de sa part.
Dans le cas de la DG, il n’y a pourtant pas eu le consensus habituellement nécessaire pour valider un traitement standard à partir d’études longitudinales et croisées((Laurent É., « L’enfant trans et ses impossibles », La sexuation des enfants, Paris, Navarin, 2021, p. 166.)). Jusqu’alors pour qu’un traitement figure au DSM, il devait correspondre à la démarche de l’Evidence Based Medecine (médecine fondée sur les preuves), ce qui implique des études cliniques systématiques sur des cohortes larges, telles que des essais contrôlés randomisés en double aveugle, et autres études de contrôle. En la matière, les études n’apportent qu’un niveau de preuves très faible. Les dérives du DSM ne sont pas nouvelles et plusieurs anciens contributeurs les ont dénoncées à l’occasion de sa cinquième édition. Dans le cas des traitements hormonaux pour les enfants : oubliée, l’EBM ! La souffrance des enfants n’attend pas : c’est là le ressort de certains discours en faveur des transitions médicalisées. Ces discours peuvent agir comme levier sur l’opinion aussi, les lobbies exerçant une influence particulièrement puissante aux États-Unis. Certains zélateurs prétendent donc appuyer leur légitimité sur des arguments d’autorité scientifique, qu’ils ont contribué à créer –par un effet de lobbying. La chose scientifique se retrouve utilisée à des fins idéologiques ou économiques.
En effet, la médicalisation desdits enfants trans représente aussi un enjeu économique. Il convient d’être vigilant sur l’origine des financements des études et les conflits d’intérêts qu’il pourrait y avoir entre les associations qui les commandent, les groupes qui les payent et les entreprises pharmaceutiques qui fabriquent les traitements.
Un récent retournement opère avec l’idée d’« autodétermination » de l’identité de genre. Désormais, nul besoin de médecin pour poser le diagnostic d’enfant transgenre((Cf. Alessandrin A., interview sur Studio Lacan https://www.youtube.com/watch?v=dg7eZHg4kq8&t=2066s )), nous dit-on. Si bien que tout médecin, allégé d’avoir à valider le diagnostic avancé par l’enfant, devrait, sans plus d’étude ou de question, lui prescrire un traitement hormonal : l’enfant en porterait seul la responsabilité.
Protocoles et lacunes
Ces études nous enseignent également malgré elles. En observant ce qui est cherché bien sûr, mais aussi ce qui ne l’est pas, ce qui est volontairement laissé de côté. Comme l’absence de grandes études ayant pour objet premier les détransitions. Nombre des travaux ayant à cœur de démontrer l’existence incontestable de la DG, il est donc difficile de trouver des études ayant pour objet l’échec du traitement et les détransitions.
En effet, en matière de recherche comme ailleurs il est évident qu’on ne trouve que ce que l’on cherche. Comme le relevait Philippe La Sagna lors de Question d’École((Cf. Intervention lors de Question d’École, janvier 2021.)), le fait d’orienter une recherche sur un objet supposé le fait exister. L’objet d’étude prend vie du fait de l’étude consacrée. Ainsi naissent de nouvelles réalités.
Les protocoles médicaux mis en place pour accueillir les enfants qui se disent trans, agissent dans cette même logique de l’univocité. Celle de la non-recherche de preuve contraire. C’est la fin de l’examen clinique du patient, soit le moment ou le médecin questionne le patient, sa famille, mène une investigation en vue d’affiner son diagnostic. En effet, tout est mis en œuvre, c’est même une revendication, pour que la parole de l’enfant ne soit pas interrogée. Sa déclaration se suffit à elle-même, toute question à ce sujet est vite soupçonnée de transphobie. Cette revendication a failli passer tout de go dans la loi sur l’interdiction des thérapies de conversion((LOI n° 2022-92 du 31 janvier 2022 interdisant les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une personne )), avant que deux amendements ne soient votés pour inviter à la prudence et à la réflexion en ce qui concerne les mineurs((« L'infraction prévue au premier alinéa n'est pas constituée lorsque les propos répétés invitent seulement à la prudence et à la réflexion, eu égard notamment à son jeune âge, la personne qui s'interroge sur son identité de genre et qui envisage un parcours médical tendant au changement de sexe., amendement de l’art.2 et de l’art.3., ces deux amendements ont été rajoutés in extremis grâce à la vigilance des psychanalystes de l’Ecole de la Cause freudienne.)).
Bien que les médecins dans les centres d’accueil s’en défendent, la consultation vise donc à valider un diagnostic déjà posé par le patient lui-même. Le délai pour engager le traitement ayant même était réduit drastiquement de deux ans à 6 mois((Cf. DSM 5)), dans l’idée que la précocité de prise des hormones dès le plus jeune âge est nécessaire.
Il se dégage de ces protocoles l’impression d’une consultation factice, d’un simulacre de médecine, où tout est joué d’avance et où le médecin n’est plus là que pour prescrire un traitement qu’il ne choisira pas puisque le protocole se poursuit par la mise en place du seul traitement de référence.
Là encore la prudence d’usage en matière de prescription infantile est abandonnée. Tout ce qui constitue la rigueur scientifique est ignorée pour ces jeunes. Des traitements sans AMM (autorisation de mise sur le marché) sont prescrits((https://www.observatoirepetitesirene.org/_files/ugd/49b30a_b7027bdd0464478493dccdfeb47b9d65.pdf p.3 et p.12. )).
Malgré les risques avérés d’une médicalisation à vie, même si nous avons peu de recul encore en ce qui concerne les enfants, malgré les effets secondaires des hormones administrées et l’irréversibilité de certains changements((CareL J-C Les indications des traitements freinateurs de la puberté en pédiatrie, académie nationale de médecine, ou encore, S. Gosh et A. Gorgos, « L’accompagnement pédiatrique et les traitements hormonaux », Pullen Sans Façon A., Médico D., in Jeunes Trans et non binaires, de l’accompagnement à l’affirmation, Les éditions du remue-ménage, 2021. Chap.17.)), des promoteurs de la transition médicalisée affirment publiquement le contraire((Alessandrin A., Studio Lacan https://www.youtube.com/watch?v=dg7eZHg4kq8&t=2066s)) : que tous ces traitements administrés en France sont inoffensifs et que l’on peut revenir en arrière. Ces arguments de promotion des traitements sont actuellement relayés comme s’ils étaient des résultats validés, dans beaucoup de médias((https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/le-senat-adopte-la-loi-interdisant-les-therapies-de-conversion-191521)).
Le bonheur sur ordonnance
La promesse est ainsi faite aux enfants et aux jeunes qui s’interrogent sur leur être sexué, que leur souffrance disparaitra grâce à la transition et aux interventions médicales. La cause étant sans conteste attribuée au « ressenti » d’être dans « le mauvais corps ».
La dé-psychiatrisation de cet ex-trouble conduit à dire que cette souffrance n’a pas lieu d’être et que l’acceptation de la transidentité avec application d’un protocole de transition, tout simplement les rendra heureux, comme l’affirme le sociologue Arnaud Alessandrin((Studio Lacan, op.cit.)). Cette promesse de bonheur parait bien risquée également tant les troubles associés chez ces jeunes sont nombreux. Mais l’observation systématique de comorbidités est interprétée comme la cause du rejet de la société dont sont victimes les trans. Ils souffrent de l’Autre, comme le relève Éric Laurent((Laurent É. « L’enfant trans… » op.cit.)).
L’un des arguments majeurs en faveur de la médicalisation précoce, repose sur une supposée diminution du risque suicidaire chez ces jeunes grâce au TH. C’est ce que concluent certaines études, comme celle de Turban((Turban JL, King D, Carswell JM, et al. Pubertal Suppression for Transgender Youth and Risk of Suicidal Ideation. Pediatrics. 2020;145(2): e20191725)), souvent citées par les partisans des transitions rapides et les centres spécialisés. Cependant des relectures plus rigoureuses de ces études((https://segm.org/ajp_correction_2020)) démentent ces conclusions. Une étude récemment publiée du GIDS britannique((Carmichael P., Butler G., et al short term of pubertal suppression in a selected cohort of 12- to 15-year-old young people with persistent gender dysphoria in the UK Plos one fevr 2021)), centre de prise en charge des mineurs trans, conclut même que, contrairement à ce qui est défendu, il n’y a pas de diminution du risque suicidaire chez les jeunes ayant reçu un traitement. Leurs difficultés ne s’en trouvent pas non plus allégées. De plus la réversibilité, la possibilité de marche arrière semble bien plus théorique qu’effective((Laurent É. cf. « L’enfant trans… » op.cit., p. 175.)). Le bonheur sur ordonnance est compromis.
Ce qui échappe
Il est surprenant de constater qu’il n’y a pas de prise en compte dans les consultations dédiées aux transitions du fait que 60 à 90% des jeunes trans ne ressentiront plus de « trouble du genre » à l’adolescence((http://www.sexologytoday.org/2016/01/do-trans-kids-stay-trans-when-they-grow_99.html)). Puisque le temps apporte un apaisement face à ces questions, pourquoi raccourcir à deux mois la durée des symptômes avant l’engagement du protocole et pourquoi avancer autant l’âge de prescription d’hormones ?
Nombre de ces enfants en grandissant se sentent attirer par les personnes du même sexe sans plus se dire trans((Ibid.)). Voilà un élément essentiel à prendre en compte et qui remet en cause l’hypothèse de l’erreur de nature. Ce qui poussent de nombreuses associations de psychiatres ou même de mouvements LGBT à travers le monde à dénoncer ce qui s’apparente à une incitation à des thérapies de conversion dans le but de faire correspondre le sexe biologique à une hétérosexualité. Ils dénoncent alors une pression hétéronormative, voire homophobe, poussant à la mutilation des corps.
Sous des aspects qui se veulent objectifs et scientifiques, ignorant les critiques, un certain discours trans militant souhaite montrer une réalité incontestable. Pour ce faire il rejette tout argument, psychologique ou médical, n’allant pas dans son sens.
Pourtant, une étude rigoureuse quant à sa construction, met en avant que le changement de genre n’a pas eu d’effet sur les symptômes : « Au plan psychologique et social, il n’y a ni changement dans la qualité de vie, ni modification des fonctions psychologiques, ni du degré de dysphorie, ni modification de l’image. Il n’y a pas de modification des comportements d’auto-agression (self-harm) et les idéations auto-agressives persistent. 30% à 40% des jeunes expriment une vitalité réduite ».((Carmichael P., Butler G., et al short term of pubertal suppression in a selected cohort of 12- to 15-year-old young people with persistent gender dysphoria in the UK, op.cit. ))
Il y a dans cette idéologie l’utopie d’un bonheur. Comme le dit Jacques-Alain Miller dans son entretien avec Éric Marty au sujet des gender studies qui « tout en faisant fi de la différence des sexes, ne se résignent pas pour autant à l’inexistence du rapport sexuel… elles élucubrent des trucs qui débouchent toujours sur une quelconque utopie du rapport sexuel »((Marty É. & Miller J.A-., « Entretien sur Le sexe des modernes », Lacan Quotidien, n°927, 29 mars 2021, disponible en ligne (www ; lacanquotidien.fr)))
Pourtant les affres de la sexuation chez les enfants, puis de la découverte de la castration sont inévitables. Ce n’est pas, comme l’explique Daniel Roy, « Une assignation ou un commandement de l’Autre. Cela prend la forme subjective d’une prise de position. » Rien ne saurait épargner à l’enfant ce parcours qu’il ne peut faire que seul, avec l’appui de quelques autres((Roy D. « L’enfant dans le discours sexuel », La sexuation des enfants, Navarin, Paris, 2021, p.24)). Il est insensé d’oser promettre le contraire. Comme le dit Jean-Claude Maleval au sujet des enfants cibles du discours trans : « Il est imprudent de prendre leur parole pour une vérité alors que c’est un conte de fées »((Maleval J.-C. Lacan Quotidien, https://lacanquotidien.fr/blog/2021/04/lacan-quotidien-n-928/)).
A l’envers d’un conte de fées, se faire docile au trans, selon ce que Jacques-Alain Miller((Miller J.-A., Lacan Quotidien, https://lacanquotidien.fr/blog/2021/04/lacan-quotidien-n-928/)) a élaboré, c’est entendre sans préjugés scientifiques, politiques, etc., entendre ces enfants et adolescents qui viennent nous parler. C’est différent d’en faire les fers de lance d’un discours militant, et de le faire au nom du respect de leur intime conviction.
L’injonction faite de ne surtout pas leur parler, ne surtout pas les questionner, est une injonction à ignorer l’inconscient, et aussi à ignorer ce qui humanise les sujets.
Il y a pourtant les symptômes bien présents chez ces enfants, témoins du réel de leur condition d’être sexué qui, à l’utopie de jouissance harmonieuse, oppose l’inéluctable dysharmonie du parlêtre à son corps et à la jouissance.