« Goujat ! »

À quoi sert une bibliographie, ou plutôt comment s’en servir ?
Dans la répartition du travail avec Michel Héraud, j’ai choisi de récolter les citations des cours de Jacques-Alain Miller et de ses textes publiés. Dans la sélection des citations les plus connectées au thème, l’une d’entre elle m’a interpellée :
« Selon un érudit, on aurait appelé goujat l'enfant en tant qu'il donne de la joie à la famille. Ainsi, goujat, d'un côté comme de l'autre, a partie liée avec la jouissance. Peut-être avec ce qu'il peut y avoir de trop direct, de pas assez ménagé dans le rapport à la jouissance – quelque chose qui serait trop sans ambages. Regardez comme ça vient bien ici : le petit Hans est le goujat de sa famille ! Il l'est certainement en tant qu'un de ses problèmes est qu'il donne clairement beaucoup de joie à sa petite famille[1]».
J’ai été saisie par ce renversement : l’enfant goujat n’exaspère pas sa famille, il lui donne de la joie ! C’est une indication très précieuse : face au symptôme de l’enfant, gardons-nous de comprendre trop vite. Cela m’a donné envie d’en savoir plus. Je suis donc allée lire ce passage dans le cours de J.-A. Miller. L’étymologie du mot goujat vient du latin gaudium qui signifie joie ou jouissance. Il y a donc un passage du goujat de l’enfant mal poli, mal élevé, à l’enfant qui donne de la joie à la famille ! L’on entend que la goujaterie de l’enfant a aussi affaire avec la jouissance. Le fait qu’il donne beaucoup de joie à sa famille reste pour J.-A. Miller un problème. Fait-il référence à la manière dont l’enfant est pris dans sa propre jouissance et celle de ses parents ?
Pour préparer la JIE7, des réunions ont lieu régulièrement avec les directeurs de journées : Valeria Sommer-Dupont et Yves Vanderveken ainsi qu’avec les responsables de chaque équipe : la diffusion, le zappeur… Lors d’une réunion, je partage cette pépite trouvée dans la bibliographie. Elle touche Yves Vanderveken, qui s’en servira dans son argument de la journée.

Que peut-on saisir de cette anecdote ?

  • Le savoir ne fait savoir que d’être touché par un signifiant, une expression, par surprise. C’est ce qui a opéré pour moi, je n’ai pas cherché à prélever une citation.
  • Le savoir circule. La bibliographie ne dira pas le vrai sur le vrai du thème Parents exaspérés – Enfants terribles. Elle ne sera pas non plus exhaustive. Il y aura des manques, des trous. Cette année, les lecteurs des différents ouvrages n’avaient pas de mots-clés pour les orienter, mais plutôt des axes de lecture. Cela a rendu un peu difficile le recueil des citations, mais a aussi laissé à chacun son interprétation des axes. Et à partir de ce premier choix, singulier, Michel Héraud et moi-même avons sélectionné des citations. On entend là comment le savoir circule. Il se fonde sur une lecture singulière et se transmet, dans un désir d’en savoir plus. Loin d’apporter un savoir plein qui viendrait boucher le désir de savoir, il circule, il court comme le désir.

 

Cette année encore, quatre-vingt personnes ont répondu à l’invitation de Michel Héraud et moi-même pour lire Freud, J. Lacan, J.-A. Miller et quelques autres auteurs. Quel travail ! Qu’est-ce qui peut mobiliser autant de désir et d’énergie autour de lectures pour extraire des citations connexes au thème Parents exaspérés – Enfants terribles ?
Pour témoigner du ton dans lequel ce travail se fait, je citerai Judith Miller sur la Fondation du Champ freudien :
« Elle est ouverte aux initiatives et aux innovations, elle les sollicite même, pour peu que ceux qui proposent soient aussi ceux qui font. […] C’est ce qu’on pourrait appeler son « militantisme », si le mot n’effarouchait dans le champ freudien, parlons alors de son sérieux[2]».
« Vue sous un autre angle, c’est une amicale : on se connaît, on apprend à se connaître, on se fait confiance. On a le sentiment que l’enseignement de Lacan, c’est encore, c’est toujours un combat […] c’est l’orientation même de la psychanalyse pour les temps à venir ».
Un combat pour écorner, pour chacun, dans la joie, un certain « je n’en veux rien savoir ».

[1] Miller J.-A., « L’Orientation lacanienne, Donc », Enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, Cours du 23 mars 1994.
[2] Miller J., « Qu’est-ce que la Fondation du Champ freudien ? », La Cause du désir, n°99, juin 2018, p 10.