Parents exaspérés – Enfants terribles
Tel est le titre que Jacques-Alain Miller nous propose pour notre prochaine Journée de l’Institut psychanalytique de l’Enfant.
C’est un titre dans l’air du temps, qui n’est pas langue de bois. Il fait résonner une réalité bien quotidienne concernant les rapports des parents et des enfants du siècle. Il nous concerne aussi en tant que ceux-ci nous y impliquent. Ce titre nous engage à nous inscrire dans le fil de l’interrogation de Lacan à la fin de son enseignement, en décembre 1976 : « Est-il, oui ou non, fondé, ce rapport de l’enfant aux parents ? ((Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’Une-bévue s’aile à mourre », leçon du 14 décembre 1976, Ornicar ?, no 12/13, décembre 1977, p. 14.))»
Comment est-il fondé pour Nina, 4 ans, qui vient consulter « parce que j’écoute pas papa et maman », dit-elle ? Eux disent de leur fille « qu’elle fait des crises ». Elle crie et jette ses objets, « une vraie tornade ». Punir, lui parler, rien n’y fait, « elle n’écoute pas la directive ». La maman se culpabilise d’avoir « abîmé sa fille » et note les difficultés de Nina à se séparer d’elle en toutes circonstances.
Et pour Maxence, 3 ans et 7 mois, qui n’arrête pas de faire des colères, qu’en est-il ? « En famille on n’arrive pas à le gérer, il veut nous organiser ! ». Bébé déjà, ses cris étaient insupportables pour ses parents qui n’arrivaient pas à le calmer. Maxence restera lors des premières rencontres, très collé à sa mère, dans un usage sans limites du corps de celle-ci. Maxence n’aurait-il pas un objet doudou ? « Mais c’est moi ! » répondra sa mère.
De ces deux rencontres et de nombreuses autres, se déduit une perspective précise : les crises, les colères, l’enfant qui n’écoute pas, que les parents ne peuvent pas gérer, tout en s’exténuant à le faire, nous pouvons considérer tout cela comme le principe organisateur de la famille. Plus encore, ces signifiants, et d’autres, sont devenus réellement ce qui fonde un rapport direct et sans médiation de l’enfant aux parents, en tant que ces signifiants réalisent une prise en masse des corps en présence et qu’ils concentrent l’attention et la libido de tous.
Ce n’est pas la famille qui est en crise, c’est la crise qui se trouve au fondement-même de la famille : tel est le nouveau principe de la famille post-moderne. « Enfant-le-terrible » y apparaît comme condensateur de jouissance pour chacun. Tous au bord de la crise de nerf. Tel est le chaudron dans lequel nous sommes invités à plonger.
Familles / Transmissions
La famille du XXIe siècle, n’est plus la famille dite traditionnelle ou patriarcale, ni la famille conjugale du siècle dernier. Elle est une réponse nouvelle à l’énigme de la transmission qui est au cœur même de cette « formation humaine ».
En 1938, dans son texte « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu », la « famille moderne ((Lacan J., « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 27.)) est pour Lacan, le produit « d’un remaniement profond ((Ibid.)) » qui n’est en rien une simplification vers une unité sociale élémentaire (papa, maman, les enfants), mais « une contraction de l’institution familiale ((Ibid.)) », « sous l’influence prévalente du mariage ((Ibid.)) » et il adopte le terme de « famille conjugale ((Ibid.)) », prélevé chez Durkheim.
Ce remaniement a comme conséquence directe de faire apparaître une toute autre dimension de la transmission, que Lacan souligne en 1969, dans sa « Note sur l’enfant » : « La fonction de résidu que soutient (et du même coup maintient) la famille conjugale dans l’évolution des sociétés, met en valeur l’irréductible d’une transmission [...] qui est d’une constitution subjective, impliquant la relation à un désir qui ne soit pas anonyme ((Lacan J. « Note sur l’enfant », Autres écrits, op.cit., p. 373.))».
La transmission n’est plus ici transmission automatique d’un nom et d’une autorité. Elle n’existe que liée à un désir, en tant qu’incarné, soit par la voie d’un manque, soit par celle de la nomination dans la parole. Il y a là un changement de « l’axe de la fonction signifiante liée au terme famille ((Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les formations de l’inconscient, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1998, p. 56.)) ».
Dans cette configuration, si nous traçons deux cercles qui se recouvrent en partie, et si nous inscrivons dans l’un des cercles les deux signifiants de « père » et « mère », et dans l’autre celui de « enfant », alors nous pouvons écrire dans leur intersection, avec le signifiant de « désir » les deux noms de manque et de nomination. S’aperçoit alors déjà la partie qui se trame à cette place, à la fois trait d’union et espace de séparation, où viendra se loger le symptôme de l’enfant, tel que Lacan l’indique dans la suite de la « Note sur l’enfant ».
Mais la famille est désormais plongée dans le bain de notre civilisation où les objets issus de la technologie, les objets plus-de-jouir, ont pris autorité et font la loi à toutes les formes de l’idéal. La jouissance y est première. Dans l’un de ses derniers séminaires, le 10 juin 1980, et titré par J.-A. Miller « Le malentendu », Lacan en tire les conséquences et évoque « deux parlants qui ne parlent pas la même langue [...] Deux qui se conjurent pour la reproduction, mais d’un malentendu accompli ((Lacan J., « Le malentendu », leçon du 10 juin 1980, Ornicar ? no 22/23, printemps 1981, p. 13.)) » et qui, en donnant la vie, transmettent ce malentendu. Il s’agit ici d’un malentendu qui porte sur la jouissance et qui s’enracine dans « le bafouillage des ascendants » dont le corps nouveau de parlant fait part. Le faire-part de naissance, c’est ce bafouillage où se loge la jouissance, mal-entendue de structure. Alors mettons dans un des cercles « deux parlants », laissons « enfant » dans l’autre, et inscrivons dans l’intersection la jouissance entourée de son malentendu et du bafouillage. Le réel de la jouissance vient ainsi « s’imprimer » par en-dessous sur la trame du discours et donner une nouvelle perspective pour le symptôme, celle d’un réel irréductible entre parents et enfants qui les lie et qui les sépare, « à un point de “on ne parle pas de ça” (( Miller J.-A., « Affaires de famille dans l’inconscient », Lettre mensuelle, no250, juillet / août 2006, p. 10.))» présent dans chaque famille.
Familles / Dysfonctionnements
Voilà donc l’actuelle famille résidu: un ensemble constitué par la réunion, au sens mathématique, de deux ensembles, celui des « parents », des deux parlants, d’un côté et celui des « enfants » de l’autre. L’intersection étant constituée de ce qu’ils ont en commun, à savoir, malentendu et bafouillage sur la jouissance des corps, transmis par la voie de désirs incarnés, dans les meilleurs des cas. Cette structure suffit à rendre compte de l’incroyable diversité sociologique des familles actuelles, et de la très grande variété de type de parents et de type d’enfants qu’elles agrègent, comme nous le constatons dans nos pratiques. Mais ce qui passe inaperçu, c’est que « famille » n’est plus un signifiant donné à l’avance en tant qu’inscrit dans le symbolique, que ce soit par la filiation ou par l’alliance. Cette inscription est la part qui revient à chacun des parlêtres, en tant qu’il fait ou non exister la fonction signifiante de la famille là où s’impose sa fonction de jouissance, cette disjonction faisant souvent venir au premier plan la fonction imaginaire de la famille.
C’est dans cette inconsistance de la famille post-moderne quant au symbolique, que s’engouffrent les discours d’aide à la parentalité, et de remédiation cognitive et comportementale, pour y traquer les dysfonctionnements. Ils viennent aujourd’hui soutenir les idéaux familiaux en exploitant l’écart inéluctable entre « enfant-le-parfait » et « enfant-le- terrible », entre l’enfant-phallus promis par l’idéal et l’enfant-objet, être de jouissance. Cette division percute une femme ou un homme quand ils deviennent « père » ou « mère ». Elle vient « exaspérer » en chacun d’eux la tension entre la plus-value que fait espérer l’accès à ces signifiants-maîtres et l’effet de castration, qui lui, s’enregistre comme perte, si ce n’est comme manque.
À ne pas être prise en charge par un dire singulier, cette division, alors ressentie comme insupportable, est projetée sur l’enfant qui prend les traits d’un être trompeur et dont la présence coûte, en temps, en énergie, en argent, etc. Le coaching parental, les aides à la parentalité, en tant que pratiques de discours, assurent le « service après-vente » de l’agence- maître de la famille : mettre des mots sur une souffrance, donner du sens, apprendre à gérer les émotions, selon la vulgate en cours. Ces syntagmes ont pris leur place désormais dans le discours courant, de même que certains termes « pseudo-scientifiques » élaborés par les experts. Se substituant aux signifiants particularisés qui se transmettent dans la langue qui se parle dans ce groupe familial-là, ils y font consister les liens de dépendance.
Se trouve ainsi occulté, dans cette zone d’aliénation signifiante, ce qui circule comme désir et ce qui se dépose de jouissance en jeu, pour chacun des partenaires. C’est en effet sur cette intersection que se fonde le moindre processus de séparation, des sevrages de la petite enfance jusqu’aux frasques tumultueuses de l’adolescence.
Il y va de la possibilité pour un enfant de déchiffrer les coordonnées de la place qu’il occupe pour ses parents comme « cause de leur désir » et comme « déchet de leurs jouissances ((Miller J.-A., « Préface », in Bonnaud H., L’inconscient de l’enfant. Du symptôme au désir de savoir, Paris, Navarin / Le Champ freudien, 2013, p. 11.)) ». Ce déchiffrage, un enfant le fait avec les signifiants qu’il prélève, qui prennent la valeur singulière de la jouissance pulsionnelle qui les leste. C’est la fonction privilégiée du jeu de l’enfant, qui noue, autour de l’objet indicible, des bouts de corps, des brins de jouissance et des bribes de discours. Cet objet est le clapet qui ouvre, entre-ouvre ou ferme, l’espace pour une séparation.
Quand cet objet n’a pas de place subjectivement comme cause du désir et reste de jouissance, il s’incarne dans enfant-le-terrible, qui « n’écoute rien », « n’en fait qu’à sa tête », « fait sa crise », « empêche tout le monde de dormir ». Les conseils de guidance parental aussi bien que les diagnostics de type médical, viennent s’ajouter aux plaintes des parents et aux manifestations symptomatiques de l’enfant, et déclenchent le pouvoir d’angoisse de l’objet a. Cette présence non-reconnue, qui hante le symptôme de l’enfant terrible, vient interroger chacun des parents sur « la vérité du couple familial ((Lacan J., « Note sur l’enfant », op.cit., p. 373.)) », exaspère la place que peut prendre un enfant « comme objet a dans le fantasme ((Ibid.)) » de chacun. Cette présence terrorise aussi « enfant-le-terrible », sous diverses formes fantomatiques et cauchemardesques.
Ainsi le dysfonctionnement n’est pas ce que l’on croit, il ne porte ni sur un mauvais agencement des rôles parentaux ou des relations parents-enfants, ni sur un mauvais fonctionnement d’une fonction psychique ou cognitive. Le dysfonctionnement consiste à ne pas vouloir savoir que la famille est déjà un mode de traitement de la jouissance des corps parlants en présence, qu’elle ne répond à aucun idéal, mais qu’elle est plutôt de l’ordre d’une « religion privée », dont nous ignorons tout quand nous rencontrons parents et enfants et dont nous avons tout à apprendre concernant les règles qui s’y appliquent, les rites qui y sont célébrés, les petits dieux qui y règnent. Plus fondamentalement, nous avons à apprendre la langue qui s’y parle, sa grammaire, son vocabulaire. Nous sommes plus proches de ce fait de la position de l’enfant, cherchant à déchiffrer les énigmes, à comptabiliser la valeur de jouissance des paroles, des actes et des objets qui circulent, et à rendre à chacun la part qui lui revient. Décompacter « la famille holophrase ((Cf. Laurent É., « Institution du fantasme, fantasmes de l’institution », Les feuillets du Courtil, no 4, avril 1992, p. 9.))», en quelque sorte, sans grille d’évaluation, ni modèle idéal.
Familles / Bévues
Contrairement à l’évidence anthropologique, il apparaît que la famille ne relève en aucune façon d’une logique de l’universel et qu’elle est désormais entrée dans une logique du pas- tout. Cela conditionne notre accueil des symptômes des enfants et des plaintes et soucis des parents. Nous ne pouvons plus poser au principe de notre intervention que pour tous les êtres parlants, la famille est une fonction, avec ce que cela comporte qu’il y en ait un, le père, la mère, ou le parent, voire l’expert ou le coach, qui en serait le fondateur ou le souteneur, et de ce fait s’en excepterait. Il faut ajouter que l’enfant lui-même est bien souvent situé par les parents à la place de celui qui fonde la famille. Nous savons d’expérience que toutes ces configurations produisent des effets possiblement dévastateurs pour les membres de cette famille-là.
Nous partons donc d’un autre point de vue, en posant qu’il n’existe pas d’être parlant qui ne soit pas d’une famille, ce qui ouvre alors beaucoup de perspectives pour tous ceux qui sont en délicatesse avec leur famille ou qui s’estiment « sans-famille », mais aussi pour tous les autres. Pour chaque enfant, couvé ou laissé en plan, il y a là des possibilités de « bricolages ». Répondant à une logique du pas-tout, l’institution « famille » offre d’autres ressources : celles, pour l’enfant, d’être pas-tout dépendant des identifications familiales, pas-tout dépendant de l’amour, filial et parental, c’est-à-dire de pouvoir en explorer les faces moins aimables. Et cela vaut aussi pour ses « partenaires au jeu de la vie », père, mère, beau-père, belle-mère, et autres « familiés ».
Peut-être avons-nous maintenant la parole et l’esprit plus libres pour nous confronter à enfant- le-terrible, l’hyperactif, le dys, celui qui mord, celui qui ne dort pas, et à ses parents exaspérés, affolés ou désespérés. Nous pouvons suivre ici le développement que fait J.-A. Miller dans son cours « Pièces détachées » du 19 janvier 2005, sur « la question de la poursuite de la psychanalyse à l’époque allégée ((Miller J.-A., « Pièces détachées », La Cause freudienne, no 63, juin 2006, p. 122.))». Il fait valoir que face à cette « maîtrise allégée » qui vise à ramener le sujet de sa particularité à un universel, la psychanalyse n’a pas à entrer « dans une compétition de pouvoir thérapeutique ((Ibid.)) », dans la mesure où, avec Lacan, elle est la seule à prendre en compte la place de l’objet a, aussi bien comme cause du désir, que comme plus-de-jouir, mais également comme consistance logique, comme un réel « produit du symbolique ((Ibid., p. 126)) ». Il nous encourage à prendre un point de vue « pragmatique et bricoleur ((Ibid., p. 130)) » qui consiste à chercher avec les sujets les signifiants, les S1 qui « aident à rendre lisible la jouissance ((Ibid.)) » et qui de ce fait « aident à rendre lisible l’histoire ((Ibid.)) ».
Mais toutes les situations que nous rencontrons ne répondent pas à cette dialectique qui permet d’installer « l’appareil à déchiffrer de la psychanalyse ((Ibid., p. 129.)) ». Il y a celles pour lesquelles nous avons à considérer que, au cœur de l’exaspération des parents exaspérés et de la terreur des enfants terribles, se loge « une jouissance illisible ((Ibid., p. 128.)) », qui ne peut que rester « lettre voilée », ce qui veut dire que nous avons à la respecter à cette place, que nous n’avons pas à chercher à la réduire, à l’annuler, à l’interpréter.
Nous avons ainsi à prendre en compte cette « économie de la jouissance » propre à une famille.
À cette fin, l’usage du terme de bévue, de l’une-bévue ((Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’Une-bévue s’aile à mourre » , leçons du 10 et du 17 mai 1977, Ornicar ?, no 17/18, printemps 1979, p. 16-23.)), introduit par Lacan dans son Séminaire XXIV, nous est ici précieux, en tant qu’il élargit le concept de l’inconscient freudien, en mettant l’accent sur la trace d’un passage : quelque chose a eu lieu, en un éclair c’est arrivé. Une bévue, il n’y a pas plus proche, chez l’être parlant, pour faire signe de l’événement contingent. Ce ne sont pas de nouvelles significations qu’il s’agit d’isoler, mais, à partir d’une bévue, « le petit coup de pouce que chacun donne à la langue qu’il parle ((Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 133.)) ». Lacan indique « qu’il n’y a rien de plus difficile à saisir que ce trait de l’une-bévue, dont je traduis l’Unbewusst, qui veut dire en allemand inconscient. Mais traduit par l’une-bévue, ça veut dire tout autre chose – un achoppement, un trébuchement, un glissement de mot à mot ((Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’Une-bévue s’aile à mourre », op.cit.p. 18.)) ».
L’une-bévue est un trait, que Lacan égale au trait unaire, comme la seule chose qui fasse du Un dans un monde où « tous n’ont aucun trait commun ((Ibid.)) ». Le seul trait commun, c’est d’être marqué du trait de l’une-bévue. Les « bêtises » des enfants, leurs trébuchements divers, trouvent là un éclairage renouvelé !
Alors, ça nous intéresse beaucoup, parce que cela nous met de plain-pied avec la taxinomie des troubles de l’enfance : trouble du langage, de l’attention, dysphorie de genre, trouble des conduites, du comportement, troubles des sphincters. Voilà toutes les grandes fonctions du corps parlant, déjà ordonnées par le discours biopsychosocial de l’OMS ((L’OMS élabore et diffuse « une famille de classifications » pour définir les deux dimensions des états dysfonctionnels et des comportements dysfonctionnants : d’un côté la CIM, Classification Internationale des Maladies, de l’autre la CIF, Classification Internationale du Fonctionnement, du Handicap et de la Santé, consultable sur le site OMS (https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/42418/9242545422_fre.pdf))), qui tombent toutes sous ce trait de l’une-bévue. Le « trouble », c’est un trait d’une-bévue, mais accueilli, sans le secours d’un voile sur la lettre, par quelqu’un qui se confère l’attribut du savoir, et de ce fait empêche au Un recélé dans le trait de l’une-bévue d’aller à la recherche de son Autre. C’est en effet la seule façon pour savoir qu’il n’y était pas déjà écrit, et donc qu’il ne fait pas destin.
Pour nous, cela ouvre à deux façons de faire : accueillir comme trait d’une-bévue les divers désordres, troubles, à partir du moment où ils sont pris dans un discours, et permettre ainsi à ces signifiants de s’émettre vers d’autres signifiants. C’est l’invention de l’inconscient au sens freudien, toujours actuelle. Mais l’autre manœuvre, que nous pouvons désigner avec un mot que Lacan emprunte au petit Hans, « ça consiste à se servir d’un mot pour un autre usage que celui pour lequel il est fait, on le chiffonne un peu, et c’est dans ce chiffonnage que réside son effet opératoire ((Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’Une-bévue s’aile à mourre », op.cit.p. 21. »)) ». Ainsi, soit on chiffonne pour arrêter l’hémorragie, soit nous visons l’éclair, c’est l’effet auquel atteint quelquefois la poésie ou le mot d’esprit.
Je vous propose que nous retenions de ce parcours que le trait d’union entre parents exaspérés et enfants terribles, ne relève ni de la dimension de la transmission, ni d’un verdict de dysfonctionnement, mais n’est pas autre chose que ce trait d’une-bévue qui raye la famille. Cette Une-bévue qui, seule, peut fonder ce rapport de l’enfant aux parents et des parents aux enfants, qu’avec Lacan, nous interrogions au départ.
La bévue contre la norme, oui c’est possible.
Texte prononcé le 13 mars 2021 à l’issue de la 6e Journée de l’Institut de l’Enfant.
Édité par Frédérique Bouvet et Isabelle Magne.