Courts-circuits et circuits du coup

Le coup frappe le compère ou percute la vitre, un autre disloque tout ce qui peut l’être dans la pièce. Le premier vise à anéantir le double spéculaire quand le second cherche à fracturer l’unité de l’objet qui finira fractionné selon le plus petit dénominateur commun. Chacune de ces situations laisse la place à un apaisement où le sujet retrouve l’idée du poids de son corps, évaporé l’instant d’avant suivant des coordonnées très précises : le surgissement d’un regard, d’une voix, etc.

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Ce circuit de la violence qui se répète est souvent ce qui a amené les parents ou la personne en charge de l’enfant à frapper à la porte de l’institution pour trouver une autre issue possible à ce qui fait désordre, une autre « solution » face à ce déchaînement de la pulsion de mort qui met les pairs comme les instances traditionnelles (écoles, familles) dans l’impasse. Car cette violence-là, au contraire de celle qui peut par exemple animer un groupe ou une bande, ne fait lien avec personne et laisse l’enfant totalement isolé. Il y a alors urgence.

Si le surgissement de la violence signe l’échec de cette « traduction constante »((Laurent É., « Les traitements psychanalytiques des psychoses », Les feuillets du Courtil, n° 21, 2003, p.17.)), comme l’a formalisé Éric Laurent, constamment recherchée et sans cesse réinventée dans les lieux orientés par la psychanalyse lacanienne, force est de constater que ce mode d’agir apparaît pour certains sujets comme la condition nécessaire d’une possible reprise de cette traduction qui s’est trouvée abolie par le surgissement d’une insulte, la place d’un autre enfant ou un réel énigmatique venu affecter son corps. Par la trace que le coup laisse dans le monde ou sur la peau s’opère une rature qui se répète pour que transitoirement quelque chose puisse être extrait – l’apaisement du sujet en témoigne – et qu’une parole ou un trait vienne, l’espace d’un instant, redoubler cette rature.

Avec le risque que le passage à l’acte violent puisse prendre, événement après événement, l’aspect d’une nomination – la fille qui se coupe ou celle qui cogne – qui n’ouvre pas sur un symptôme mais qui restitue, une fois l’acte posé, la place du sujet dans le monde, là où l’angoisse l’avait précédemment recouvert

L’enjeu sera dès lors de desserrer cette nomination qui peut rapidement prendre les contours, par l’entremise de l’Autre social qui stigmatise et épingle le phénomène, d’une identification. Il s’agit donc de ne pas viser le phénomène comme tel, mais de repérer finement les coordonnées qui président au passage à l’acte, circonstances susceptibles d’être recueillies dans la conversation, et de permettre au sujet d’esquisser alors un pas de côté et de trouver l’appui d’un autre registre pour éviter ce court circuit pulsionnel.

Aménagements

Se dessinent ici les contours de ce qui fait cette fois violence à l’enfant : quelle trace langagière ou forme grammaticale le traverse ou quelle sensation produit le vacillement de son être ? Pour l’un, c’est le surgissement du corps de l’autre sur le seuil de la pièce qui produit la certitude que son rictus le désigne et voile simultanément l’insulte qui le vise. « Il m’a choqué violent, dit-il ensuite. Ça a été vu. J’avais pas de mot à dire. » Pour l’autre, c’est la crainte de l’envahissement de son corps par les matières fécales qui donne la formule aux coups qui viennent de surgir. Gage pour le clinicien d’aménager avec le sujet un espace pour le couper de l’acéphale de la pulsion et du ravage de la langue qui se brise en mots tordus et l’isole ; et de trouver une trame pour faire résonner l’équivoque ou le déploiement de la langue plutôt que de laisser au coup le soin de produire un vide ; non pas du côté de l’interprétation des passages à l’acte mais plutôt en l’accompagnant dans la construction de réceptacles donnant à la jouissance des contours, pour tenter de faire l’économie de la violence.

Gages pour le clinicien d’aménager avec le sujet un espace pour le couper de l’acéphale de la pulsion et du ravage de la langue qui se brise en mots tordus et l’isole, de trouver une trame pour faire résonner l’équivoque ou le déploiement de la langue plutôt que de laisser au coup le soin de produire un vide. Non pas du côté de l’interprétation des passages à l’acte mais plutôt en l’accompagnant dans la construction de réceptacles donnant à la jouissance des contours, pour tenter de faire l’économie de la violence.

Celle-ci peut alors quitter les mains du sujet pour être, par exemple, transposée en un intérêt pour les carambolages de voitures qui se fracassent bord à bord. Pour un autre, ce sera la construction d’un nouveau circuit pulsionnel, usant des ressources du monde virtuel, qui donne au corps la forme d’une ville imaginaire dont il faut s’assurer de la continuité des frontières et du trou que désormais elles enserrent.

Thomas Roïc