Le dogme de la non-violence
« Un dogme ne se discute pas, on l’adopte
le petit doigt sur la couture du pantalon. »
Miller J.-A.,« L’Ecole, le transfert et le travail »
Du point de vue de la politique, la gestion de la violence demeure un enjeu majeur pour les états tenus de bien éduquer la génération future. Ainsi le Conseil de l’Europe considère l’éducation positive comme la plus à même de respecter les droits de l’enfant. Cette alternative éducative a notamment été relayée par la psychothérapeute Isabelle Filliozat dont le livre, J’ai tout essayé, oppositions, pleurs et crises de rage : traverser sans dommage la période de 0 à 5 ans, a été vendu à plus de 60000 exemplaires. Cette méthode est érigée comme solution pour contrer la pulsion de mort à tous les niveaux.
La communication non-violente (CNV) en est un des principes fondamentaux de l’éducation positive. Développée aux Etats-Unis dans les années 60, par le psychologue Marshall Rosenberg, la CNV s'inspire des travaux de Carl Rogers et de Gandhi. Il s’agit d’instaurer entre les êtres humains des relations fondées sur une coopération harmonieuse. L’idée est de transformer les conflits, les crises de colère en dialogue. Pour y parvenir la CNV propose d'apprendre une communication débarrassée de toute violence, à commencer envers soi-même car « comment prétendre à une bonne écoute de l'autre, si nous ne savons pas le faire pour nous même ? »((Cf. www.psychologies.com/Therapies/Toutes-les-therapies/Psychotherapies/Articles-et-Dossiers/La-Communication-non-violente-mode-d-emploi)) Cette pédagogie s’appuie sur les neurosciences et les lois naturelles d’apprentissage du cerveau. Bien que basée sur un paradigme scientifique, elle reste floue. On apprend qu’il s’agit de prendre « pleine conscience » de ce que l’on attend de l’autre et de ses sentiments, de les formuler, d’exprimer ses besoins « sans exercer de violence sur les interlocuteurs »((Cf. www.slate.fr/story/104319/education-positive)) par un vocabulaire positif. Par conséquent, ils ne seront pas violents. La communication est qualifiée de « gagnant-gagnant » par l’équation parents non-violents = enfants non-violents. L’objectif est très alléchant : construire un monde plus doux pour tous, où chacun puisse avoir une place sans jugement ni agressivité.
Or, « ils ignorent la question de la jouissance, véritable impact de la pulsion dans le corps, agissant de façon itérative et qui ne s’arrange pas avec de bons conseils... »((Bonnaud H., « Enfants tyrans », Lacan Quotidien, n°782, juillet 2018, publication en ligne, www.lacanquotidien.fr)). On retrouve dans cette méthode les deux aspects soulignés par Clotilde Leguil dans son dernier ouvrage((Leguil C., Je, une traversée des identités, Paris, PUF, 2018.)). D’une part, la dimension collective identitaire dans laquelle le « nous » se substitue au sujet. Ainsi, il n’est plus nécessaire de faire de différence entre un individu et un autre, la communauté est là comme rempart imaginaire contre la pulsion de mort. D’autre part, le recours au discours scientifique. Ici, il n’est pas important de faire la distinction des êtres humains selon leur histoire, et leur désir puisque ce qui arrive est traduisible en terme numérique. La CNV fait donc disparaître la dimension subjective, « le lieu où le je tente de s’exprimer »((Leguil C., Je, une traversée des identités, op. cit., p.14.)).
La psychanalyse d’orientation lacanienne propose une autre voie en décalant le sujet des identifications et en faisant une place à cette jouissance qui cloche. Elle ne nie pas la part d’agressivité de chaque sujet, elle la place au cœur-même de sa constitution. En prenant appui sur le transfert, un sujet pourra alors trouver sa réponse particulière, du côté de l’invention.