Les jeux vidéo comme mode de traitement de la violence chez les adolescents 

S’il a fallu attendre bien longtemps avant que le jeu vidéo ne fasse son entrée, récemment, en tant que « médium » dans la pratique des psys, c'est qu'il souffre d'une réputation sulfureuse. Il retarde le développement, rend agressif voire violent, détourne les enfants de leurs parents, les conjoints de leur devoir, et les chercheurs d’emploi de leur objectif… Il serait même « addictogène ».

En ce début 2019, le ministre de la culture soulève un tollé en annonçant que le Pass Culture inclura bien l'achat de jeux vidéo. Reste que plus d’un adulte sur deux y jouerait régulièrement et que l’usage considéré comme « problématique » concernerait un adolescent sur huit en France.

Le champ de l’addictologie, qui ne se dérobe pas devant ses responsabilités, fait monter ses ténors en prévention et vante les mérites du « bon usage ». L’industrie ne veut pas laisser salir sa réputation et promeut « bonnes pratiques » et « accompagnement » par des « médiateurs éducatifs ». Il s’agit bien de dompter un produit qu’on a diffusé et dont l’usage s’étend comme toute drogue. Et en tant que tel, pourquoi ne pas l’envisager aussi comme un traitement possible ? Après tout, le pharmakon a bien aussi sa face de poison… Est-ce alors une désensibilisation ? Pas seulement, car le jeu utilisé comme médium permet parfois de réintroduire le dialogue. Le dispositif plaît… à certains de ces thérapeutes « psychanalystes et geeks ». Quant à la pratique solitaire, ne comporte-t-elle pas aussi, en elle-même, quelque effet bénéfique ? Exutoire tel les jeux de guerre de toujours, consolateur par la persona de l’avatar et protecteur à l’abri dans la chambre du hikikomori [1] ? Certains le contestent en arguant de la confusion entre le réel et le virtuel et de la nécessité de s’identifier à des valeurs positives, car nous serions « ce que nous prétendons être » … Les esprits les moins assurés recourent à l’argument d’autorité scientifique : les circuits allumés dans le cerveau par les jeux vidéo ne seraient pas les mêmes qu'avec épées de bois ou soldats de plomb.

L’analogie avec les drogues ou toute pratique compulsive permettrait pourtant de répondre. Les « études » se contredisent sans fin : on les accuse d’être la cause des maux lorsqu’elles n’en sont qu’une manifestation voire un traitement ; ils ne transforment pas les anges en démons, tout au plus excitent certains, défoulent les autres, etc. Mais le souvenir de la tuerie de Columbine survenue en 1999 aux États-Unis achève de convaincre. Leurs auteurs, Éric Harris et Dylan Klebold, fans du jeu Doom, avaient été interdits d’accès à leurs ordinateurs après une condamnation. Ils initièrent à ce moment précis la planification minutieuse de leur attaque.

Si une substance ou une pratique appareille le corps et les pensées, c’est qu’elle a son utilité et il est dangereux de la retirer sans discernement. Mais notre époque néglige le sujet au profit des objets – qu’elle vénère ou qu’elle abhorre. Or certains sujets, déjà négligés, connaissent le destin même de l’objet : devenir un déchet. « Ne venez pas vous plaindre : j’ai pourtant demandé et tout… Et vous aviez mon numéro ! », nous hurle silencieusement Éric dans son journal, quelques jours avant l’attaque.

Faute d’avoir été entendus de leur vivant, Éric et Dylan n’ont eu d’autre recours que d’inscrire leurs noms dans la mémoire collective pour les siècles des siècles. Il n’est pas sûr que le jeu vidéo soit un des Beaux-Arts, mais pour éviter la réalisation de cet autre des Beaux-Arts célébré par De Quincey – l’assassinat[2] – alors il vaudra mieux s’intéresser aussi aux joueurs.

[1] Mot japonais désignant des adolescents ou de jeunes adultes, surtout masculins, qui vivent reclus à domicile, refusant toute vie sociale. Cf. Le Monde, « Des cas de hikikomori en France », par Marc Gozlan, 11 juin 2012 : Le hikikomori « a été lié à ce qu’on nomme abusivement “addiction au Web et aux jeux vidéo” ».

[2] De Quincey T., De l’Assassinat considéré comme un des Beaux-Arts, Paris, Gallimard, coll. L’imaginaire, 2002.