Un parcours labyrinthique

Quand je le rencontre, Arsène a des explosions de colère qui ne semblent pas pouvoir s’arrêter. Quelle pouvait être la cause de cette hargne qui le poussait à frapper, pas forcément violemment mais de manière très insistante, sans relâche, plus particulièrement au moment du départ ?

Il refuse d’abord de participer à une activité organisée. Il trouve refuge dans des jeux spontanés qui se déroulent dans des couloirs et des pièces qui communiquent entre elles. Je me retrouve souvent en prison pour avoir commis des vols. J’y suis bien traité. Au bout d’un moment, le gardien de prison a néanmoins un comportement curieux : il me montre un endroit où il dépose la clé qui me permet de m’évader. Pourquoi fait-il cela ? Ce petit détail me semble concentrer la problématique de cet enfant. Il nous donne la clé de ce qu’il fait, mais nous ne le comprenons pas.

Les premiers temps de la rencontre avec lui se font sur ce mode. Dans ces moments, il n’y a aucune violence. Ensuite, va s’initier une séquence qui durera longtemps, où le monde apparaît coupé en deux. La planète est envahie par des créatures qui exterminent les terriens. Il incarne un personnage qui se dédouble en permanence. Ces êtres apparemment inattaquables et immortels ont cependant un point faible qu’il sait toujours nous indiquer afin qu’ils soient vaincus un à un, lui restant le dernier pour le combat final. Ce jeu se répétera avec cette structure, il aura un nom : « le mutant ». Ces séquences, on sait quand elles commencent mais jamais trop quand elles se finissent. Ce qui va devenir un problème, ce n’est pas seulement comment faire pour s’arrêter, mais plus exactement que se passe-t-il quand ça s’arrête ? Le moment du retour vers les autres est toujours très difficile. C’est là qu’il se déchaîne.

Je prends l’initiative de l’inviter à venir jouer avec moi. Je m’emploie à faire durer ces moments tout le temps de sa présence, de son arrivée jusqu’au départ, afin de l’extraire de la violence et le protéger. L’essentiel me paraît être de soutenir le déroulement du jeu en accordant une attention assez réduite au contenu. L’effet constatable, c’est qu’il n’y a pas de violence puisqu’il ne rencontre pas les autres.

Le mutant a disparu. Je suis le veilleur de nuit d’une banque dont le système de sécurité est archi-perfectionné. Il en est le directeur. Il m’explique que je n’ai vraiment aucun souci à me faire, personne ne peut s’y introduire ! Cependant, la nuit, quelqu’un parvient à déjouer ce système. Le matin, il ne reste plus rien dans les coffres ! Le voleur va se manifester dans d’autres circonstances et le gardien que j’étais devient le flic qui doit le capturer. Les ruses et subterfuges qui rendront impossible cette capture seront nombreux et très perfectionnés. Insaisissable, immortel, inventant sans cesse des solutions, ce bandit de grande envergure m’échappe toujours.

Il accepte maintenant d’autres enfants, à condition de bien garder la main sur le déroulement du jeu. Des collègues prendront le relais, ce qu’il accepte. Au bout de six mois, de manière très discrète, d’abord presque inaudible et puis de plus en plus manifeste, il va glisser un : « je suis ton fils, tu ne me reconnais pas ? » – un fils qui demande à être reconnu comme tel par son père. C’est donc ce qui va finir par se dire de plus en plus directement et puis un jour de manière affirmative. Ce grand bandit, véritable tueur en série, qui aura échappé à toutes les polices du monde, finira par transmettre ce message : le policier qui le traque est son père. Un père qui, sans le savoir, veut capturer son fils pour le mettre en prison et le punir. Un fils poursuivi par son père pour le punir d’avoir volé le trésor.

Au fur et à mesure, l’intensité de ces séquences va diminuer, un certain désinvestissement va se produire. Nous allons nous retrouver avant l’heure du départ au milieu des autres, de retour de notre longue échappée. Cet insupportable qui l’habitait s’est évanoui, le voilà devenu amical !

Dans cette même période, son père, très exigeant, veut que son fils lui parle de ce qui se passe dans sa vie, qu’il dialogue avec lui. La tension est assez forte. Nous apprendrons qu’à la suite d’un moment plus difficile, Arsène part et fait quinze kilomètres à pied pour se rendre chez sa mère. Il refusera de revoir son père. Il y a là un moment de décision. Ce qui se passe avec nous se situe juste avant, comme si la solution entrevue dans ce travail lui avait servi de point d’appui pour dire « non » à son père.

Le fils a mis en scène une fiction, un fantasme par lequel il veut se faire reconnaître de son père. Pour s’approcher, le rencontrer, pour s’affronter à cet Autre féroce, mais aussi permettre de maintenir le contact, il fallait emprunter une voie tortueuse, labyrinthique, clandestine. Arsène a su donner la clé. Lui qui se montrait rétif à toute participation n’a pas rechigné pour s’investir à fond et transmettre immédiatement un message : il a la clé. Après avoir fait des tours et des tours autour du point-nœud, il dit quelque chose d’inattendu. La solution qui est advenue a eu un effet sur la violence de cet enfant devenu adolescent.