Violence de l’enfant ?

L’enjeu de la prochaine journée de l’Institut de l’Enfant est politique. Il vise à faire entendre une autre voix que celle qui postule l’existence d’une violence chez l’enfant pour mieux la museler par des méthodes qui se disent comportementales alors qu’il s’agit de traiter une forme aiguë du malaise contemporain, où l’enfant est pris comme objet à exploiter au profit d’un marché du redressement. À cela nous opposons une éthique de la parole en tant qu’elle est corrélée à une jouissance indicible.

[fusion_dropcap boxed="no" boxed_radius="" class="" id="" color=""]L[/fusion_dropcap]a question de la violence est en effet d’une brulante actualité. Les enfants eux-mêmes, que nous rencontrons dans les différents lieux où nous intervenons, en témoignent : elle est partout, et d’abord dans la cour d’école, qui reste aujourd’hui encore le premier lieu de socialisation. Ces enfants qui souvent nous sont adressés au titre de cette violence ne parlent que de cela : violence subie comme violence agie. Mais lorsqu’il s’agit d’en rendre raison, elle reste inexpliquée pour le sujet lui-même ; il paraît en être la première victime. On trouve là quelque chose qui relève de l’inquiétante étrangeté, voire du « diable »qui prendrait possession du sujet. Aussi, rien ne sert de se focaliser sur le sens, mais bien plutôt d’investiguer du côté du facteur déclenchant. Dans les témoignages que l’on recueille, il apparaît très souvent qu’il y a un élément qui fait appel : un regard, une parole, voire simplement un signe qui, sous la forme de l’insulte, s’adresse au sujet, le renvoyant à une position de déchet. Malgré tout, point paradoxal, cette violence apparaît comme une expérience constituante pour le sujet, le reliant à la communauté humaine.
Dès lors qu’on lui offre un espace, c’est une violence qui a chance de se dire. Une violence parfois bavarde, mais toujours singulière. Des effets thérapeutiques rapides peuvent alors opérer. Elle disparaît presque instantanément. Aussi s’agit-il de maintenir un questionnement pour la convertir en symptôme.

Comme il est mentionné dans l’argument, il paraît important, dans le syntagme « enfants violents », que nous empruntons au discours courant, c’est-à-dire celui du maître moderne qui stigmatise des comportements pour mieux les redresser, de décoller « enfants » et « violent » pour faire valoir que, derrière ce signifiant maître qui épingle cette forme singulière dejouissance, il y a un sujet. Nous visons ainsi à démassifier la question pour introduire le un par un. Car il n’y a pas de violence en tant que telle. Nous avons affaire à des phénomènes qui affectent un sujet et que nous situons dans le champ de la parole et du langage.
Certes, comme le rappelle Jacques-Alain Miller, il y a une violence « sans pourquoi »[1], qui est l’envers d’une violence « parce que ». Celle-ci émane de la présence d’un Autre et, en retour, lui est adressée. Quant à la violence brute, qui court-circuite l’Autre, elle ne seraîtpar conséquent imputable qu’au seul sujet. Mais voilà qu’il n’est plus là pour répondre présent, à la surprise de l’interlocuteur, qu’il soit bienveillant ou autoritaire.
La violence de l’enfance relève donc d’une clinique lacanienne de la jouissance. Comme l’indique J.-A. Miller : « Dans les cas auxquels on a accès par l’analyse, [le] mode d’entrée [de la jouissance] est toujours l’effraction, c’est-à-dire pas la déduction, l’intention ou l’évolution, mais la rupture, la disruption par rapport à un ordre préalable fait de la routine du discours par lequel tiennent les significations, ou de la routine que l’on imagine du corps animal. »[2]

La prochaine Journée de l’IE sera donc l’occasion d’examiner, selon la proposition novatrice d’Éric Laurent, ces différents « modes disruptifs »[3]par lesquelles se manifeste une violence inconnue du sujet lui-même, comme expérience de jouissance ineffable.

[1]Miller J.-A., « Enfants violents », Après l’enfance,Paris, Navarin éditions, coll. La petite Girafe, 2017, p. 202. Intervention de clôture de la 4eJournée de l’Institut psychanalytique de l’enfant.

[2].Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Être et l’Un. », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris viii, cours du 23 mars 2011, inédit.

[3].Laurent É., « Disruption de la jouissance dans les folies sous transfert », L’Hebdo-Blog,n° 132, 16 avril 2018.