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Du complexe de castration au concept de séparation

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par Hélène Deltombe

Partons de la concep­tion freu­dienne d’une seule libi­do où tout tourne autour du phal­lus, et de sa reprise par J. Lacan dans son pre­mier ensei­gne­ment. Côté gar­çon, à l’instar du petit Hans, est ancrée cette convic­tion que « tous les êtres ani­més ont un phal­lus »[1]. Et dans un pre­mier temps, « pour plaire à la mère […] il faut et il suf­fit d’être le phal­lus »[2]. Et si d’abord, il y a « une alter­na­tive entre être ou n’être pas le phal­lus. Vous sen­tez bien qu’il y a un pas consi­dé­rable à fran­chir pour com­prendre la dif­fé­rence entre cette alter­na­tive, et celle […] [d’] avoir ou ne pas avoir le pénis. […]. Entre les deux, il y a, ne l’oublions pas, le com­plexe de cas­tra­tion »[3]. Tandis que pour le gar­çon, il y a trois temps de l’Œdipe que J. Lacan détaille dans le Séminaire V, abou­tis­sant à l’identification au père qui « s’appelle Idéal du moi »[4], pour la fille, le rap­port au phal­lus est tout dif­fé­rent : « Elle n’a pas à faire cette iden­ti­fi­ca­tion. […] Elle, elle sait où elle doit aller le prendre, c’est du côté du père, elle va vers celui qui l’a »[5]. C’est la doxa freu­dienne, si ce n’est qu’est déjà opé­ré un dépla­ce­ment du com­plexe d’Œdipe vers le com­plexe de cas­tra­tion, par la place pré­pon­dé­rante du signi­fiant dans le trai­te­ment de l’angoisse.

Mais « le com­plexe de cas­tra­tion incons­cient » est ques­tion­né par Lacan car il com­porte « une anti­no­mie interne à l’assomption par l’homme (Mensch) de son sexe : pour­quoi doit-il n’en assu­mer les attri­buts qu’à tra­vers une menace, voire sous l’aspect d’une pri­va­tion ? »[6]. De plus, il remarque que les faits cli­niques « démontrent une rela­tion du sujet au phal­lus qui s’établit sans égard à la dif­fé­rence ana­to­mique des sexes »[7]. C’est le point de départ d’une autre logique de la sexua­tion que celle du com­plexe de cas­tra­tion et de ses « séquelles […] dans l’inconscient mas­cu­lin, du penis­neid dans l’inconscient de la femme »[8].

Lorsque le petit Hans découvre qu’il pour­rait perdre son pénis, lui qui le croyait « enra­ci­né », il lui faut trou­ver une solu­tion à son angoisse qui sus­cite l’éclosion d’une pho­bie, soit « la peur d’être mor­du dans la rue par un che­val »[9]. On observe dans le cas de Hans que le trai­te­ment du symp­tôme sous l’angle du com­plexe de cas­tra­tion n’a appor­té qu’une solu­tion par­tielle, ce que Hans lui-même a lais­sé entendre par ses attaches pul­sion­nelles. Néanmoins, son rap­port à l’objet a n’a été enten­du qu’à la marge, car sa solu­tion œdi­pienne a satis­fait Freud : « Tout finit bien. Le petit Œdipe a trou­vé une solu­tion plus heu­reuse que celle pres­crite par le des­tin. Au lieu de tuer son père, il lui accorde le même bon­heur qu’il réclame pour lui-même »[10].

Du coup, est pas­sée au second plan la dimen­sion de non-sens de la pho­bie à par­tir des équi­voques de lalangue : « À cause du che­val, peut-être que j’ai attra­pé la bêtise. »[11] Dans leurs jeux, les enfants criaient : « Wägen dem pferd », « voi­tures à che­val », et Hans enten­dait : « c’est à cause du che­val ! », du fait de l’homophonie entre Wägen qui signi­fie « voi­tures » et wegen qui signi­fie « à cause de ». Ainsi que le sou­ligne Lacan, « La béance de la situa­tion de Hans est tout entière atta­chée à ce trans­fert de poids gram­ma­ti­cal »[12].

Pourtant, cette solu­tion œdi­pienne laisse père et fils insa­tis­faits, ain­si qu’en atteste la lettre envoyée par le père à Freud un mois après la fin du trai­te­ment[13]. Il y men­tionne que son fils n’est pas vrai­ment gué­ri, et, entre autres choses, qu’il confond encore les mots schies­sen et scheis­sen, qui signi­fient « tirer avec un pis­to­let » et « chier »[14]. Cette équi­voque indique l’appui pris par Hans sur l’objet anal pour expri­mer une agres­si­vi­té incons­ciente et pour nour­rir un fan­tasme qui semble avoir été plus impor­tant pour lui que l’issue œdi­pienne mise en valeur par Freud : « A Gmunden, […] je me suis mis à genoux et les enfants ne me regar­daient pas du tout, et tout à coup le matin j’ai dit : cher­chez, les enfants, hier j’ai pon­du un œuf ! Et tout à coup ils ont regar­dé et tout à coup ils ont vu un œuf et il en est sor­ti un petit Hans »[15]. Puis il raconte : « mes enfants sont tou­jours au lit avec moi »[16]. La norme œdi­pienne n’est pas au rendez-vous, le com­plexe d’Œdipe est « un rêve de Freud »[17].

Ceci se confirme lorsque son père lui demande : « quand tu es assis sur le pot et qu’un loumf vient, as-tu déjà pen­sé que tu étais en train d’avoir un enfant ? ». « Oui », répond Hans, en riant[18]. Non seule­ment « chez Hans, les fonc­tions excré­men­tielles sont char­gées de plai­sir »[19] mais sur­tout il répond à la ques­tion : « D’où viennent les enfants ? », en écha­fau­dant « la théo­rie de la nais­sance par l’intestin » que Freud a repé­ré comme la deuxième théo­rie sexuelle infan­tile. Là est sa jouis­sance, là est sa solu­tion. Il est enthou­siaste, il demande qu’on l’écrive au Professeur : « Ce matin, j’étais avec tous mes enfants au w.c. D’abord, j’ai fait loumf et pipi et ils regar­daient. Alors je les ai assis sur le siège et ils ont fait pipi et loumf, et je leur ai essuyé le der­rière avec du papier. Sais-tu pour­quoi ? Parce que j’aimerais tant avoir des enfants ! »[20] Et pour lui, on peut sup­po­ser, en accord avec la troi­sième théo­rie sexuelle infan­tile, que « l’union [pour avoir un enfant] se fait au moment de la mic­tion ou de la défé­ca­tion »[21]. D’ailleurs, il aimait « regar­der sa mère faire pipi ou loumf, [et, pour lui], « les bébés sont des loumfs »[22].

Tout enfant est dans un rap­port pré­valent aux objets de jouis­sance liés aux zones éro­gènes, la sin­gu­la­ri­té de la sexua­tion chez Hans tient au vif inté­rêt accor­dé à l’objet anal. En consé­quence, pour trai­ter la jouis­sance en excès, si le com­plexe de cas­tra­tion est tou­jours utile, le rap­port du sujet à l’objet a est fon­da­men­tal et se joue sur le mode de la sépa­ra­tion. C’est ce que Hans a énon­cé mais n’a pas pu trai­ter dans sa cure.

Lacan s’applique à dis­tin­guer dans son Séminaire X, L’angoisse, les cinq moda­li­tés selon les­quelles se joue la vie sexuelle de l’enfant, en rap­port avec les objets pul­sion­nels qu’il pro­pose d’appeler objets a, soit ce qui s’insère, puis chute dans la rela­tion du sujet à l’Autre :

dans le rap­port à l’objet oral, l’enfant mani­feste son « besoin dans l’Autre ». Au niveau « de l’objet anal [dit Lacan] vous avez la demande dans l’Autre »[23]. Le phal­lus, pivot du sexuel chez l’être humain, se mani­feste dans le réel, « Qu’est-ce que c’est que ça ? »[24]. « A l’étage sco­pique, qui est pro­pre­ment celui du fan­tasme, nous avons affaire à la puis­sance dans l’Autre, qui est le mirage du désir humain. »[25]. Au niveau de la voix, « c’est là que doit émer­ger, sous une forme pure, le désir dans l’Autre »[26].

Ainsi, comme J.-A. Miller nous per­met de le lire, « Le Séminaire de L’angoisse accom­plit à la fois la dis­jonc­tion de l’Œdipe et de la cas­tra­tion, la géné­ra­li­sa­tion de la cas­tra­tion sous les espèces de la sépa­ra­tion »[27] qui à la fois « des­ti­tue la cas­tra­tion de sa fonc­tion finale, le phal­lus de sa pri­mau­té, et en même temps ouvre au cata­logue des objets petit a »[28].

[1]  Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’angoisse, Paris, Seuil, texte éta­bli par J.-A. Miller, 2004, p. 94.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les for­ma­tions de l’inconscient, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1998, p. 192.

[3] Ibid., p. 186.

[4] Ibid., p. 194.

[5] Ibid., p. 195.

[6] Lacan J., « La signi­fi­ca­tion du phal­lus », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 685.

[7] Ibid., p. 686.

[8] Ibid., p. 685.

[9] Freud S., « Le petit Hans », Cinq psy­cha­na­lyses, Paris, PUF, 1979, p. 105.

[10] Ibid., p. 162.

[11] Ibid., p. 133.

[12] Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La rela­tion d’objet, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1994, p. 317.

[13] Freud S., « Le petit Hans », op. cit., p. 164.

[14] Ibid.

[15] Freud, « Le petit Hans », op. cit., p. 153.

[16] Ibid., p. 159.

[17] Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psy­cha­na­lyse, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, PUF, p. 148.

[18] Freud S., « Le petit Hans », op. cit., p. 161.

[19] Ibid., p. 162

[20] Ibid.

[21] Freud S., Trois essais sur la théo­rie de la sexua­li­té, Paris, Gallimard, 1975, p. 92.

[22] Freud S., « Le petit Hans », op. cit., p. 140.

[23] Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’angoisse, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 337.

[24] Lacan J., « Conférence à Genève sur le symp­tôme », 4-10-1975, Le bloc-notes de la psy­cha­na­lyse n°5, p.13.

[25] Le Séminaire, livre X, L’angoisse, opus cité, p. 338.

[26] Ibid.

[27] Miller J.-A., « Introduction à la lec­ture du Séminaire L’angoisse de J. Lacan », La Cause freu­dienne, n°58, 2004, p. 91.

[28] Ibid., p. 95.

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