Edito 4 : Topologie de la rentrée et sexuation

par Valeria Sommer Dupont

C’est la rentrée… Le cahier de correspondance déborde de formulaires à remplir, il faut s’inscrire, fournir les attestations d’assurance et des photos d’identité, vérifier les dernières vaccinations, signer l’autorisation de droit à l’image.

En tête de tout formulaire : M ou F, rayer la mention inutile. C’est encore là. Pour l’instant. À quoi servira cette information, ce « data », ce tout petit « data » que l’on coche pour faire fonctionner la « big » machine ? Quelle utilité ? D'après Le Monde [1], à Normale-Sup l'annulation des épreuves orales aux concours d’entrée en raison de la crise liée au Covid-19 a fait bondir le pourcentage des femmes reçues. Les explications à cette « hausse » sont au rendez-vous. Cette promotion sera-t-elle la preuve d’une efficacité toujours présente des rôles sexuels ? Une chose est sûre, à chiffrer la chose ainsi, tout ce que l’on pourra dire de ce fait – tout ce que l’on voudra lui faire dire – ne se jouera qu’à l’intérieur d’un univers clos. Le lapin ne sort du chapeau que parce qu’on l'avait fait rentrer dedans au préalable. Puis, on peut bien se marrer avec les calculs rendus possibles par cette approche : les femmes qui ne se rangent pas dans cette hausse, seraient-elles moins femmes ? Et les hommes qui ont réussi leur entrée contre toute tendance, seraient-ils finalement des femmes ? On me reprochera de forcer le trait, le ridicule de ces énoncés le démontre. Pourtant, maintes « preuves » aux allures scientifiques sont dressées comme telles à l’appui de cette logique de l’universel et du particulier. Les combinaisons sont nombreuses, pas infinies car l’univers s’est fermé au point même où, dénombrant, on pensait l’ouvrir.

Le pour quoi on compte, ça, ça ne compte pas pour ce discours. Et c’est là, dans la brèche ouverte par cette question, qu’un autre discours, celui de la psychanalyse, tient lieu. Sans méconnaitre les enjeux de pouvoir, de domination, de représentation, d’habitus, qui « expliquent » le « fonctionnement » des institutions, la psychanalyse s’intéresse de plus près à cette chose du sexuel qui dysfonctionne, qui ne se laisse pas résorber ni par M ni par F, ni par nul autre signifiant qui ne tardera pas à être là, accolé à ces deux-là, dans les formulaires de demain.

Revenons sur notre formulaire de rentrée : sur la feuille, deux rectangles ; un sur la gauche, l’autre sur la droite. Dans celui à gauche « coller photo garçon », dans celui à droite, « coller photo fille ». La disposition dans la feuille nous viendra en aide si jamais le cliché ne nous permettait pas de loger clairement et distinctement le parlêtre en question à l’enseigne prévue, manque d’attributs secondaires bien définis ou look trop androgyne…

Pas de formulaire d’entrée en analyse, ni d’attestation d’assurance – S(A barré)-, ni de carnet de santé, ni de photo d’identité. Ce n’est pas toujours facile que de se garder de cocher des cases, d’utiliser les mots pour dire sans classer, ni agencer, ou encore combiner, diagnostiquer…

Comment dire le sexe si l’on vise le singulier ? Serait-ce cela la sexuation ? Le sexe dont sa seule extension serait ce parlêtre-là ? Ceci étant dit ainsi, c’est toujours dans un discours que ça se dit. L’éthique de la psychanalyse consiste, entre autres, à tenir compte de cela : on ne peut plus oublier que l’analyste est dans le coup[2], celui qui parle est impliqué dans la chose dont il parle. Delors, la sexuation n’est pas là, dans la nature, elle n’est pas un fait premier, mais effet de l’expérience analytique soutenue par un discours, produit sous transfert, sa sortie ne sera pas prévue à la rentrée.

Ainsi, nous avons réuni dans ce numéro les contributions de Bruno Alivon, Karim Bordeau, Marie-Cécile Marty et Aurélie-Flore Pascal, qui explorent par différentes entrées (logique, art, clinique) le réel qui est au cœur torique (tel le trou d'un donut) de la sexuation.

Et last but not least, quoi de mieux qu’une première sortie pour marquer cette rentrée ! vous trouverez le numéro 1 des Z’ateliers vidéo qui s'ouvre sur une interview de Sophie Marret-Maleval à propos d’Alice, la petite fille dont Lewis Carroll se fait le servant et dont Lacan extrait la logique.

Bonne lecture… et bon visionnage !

 

[1] Le Monde, « A Normale-Sup, les concours sans oraux ont fait bondir la part de femmes admises », août 2020, disponible sur internet : https://www.lemonde.fr/campus/article/2020/08/27/a-normale-sup-les-concours-sans-oraux-ont-fait-bondir-la-part-de-femmes-admises_6050040_4401467.html?fbclid=IwAR2ePaJIGU-8Rcio-HHQ20FaCFt4ryDAuWv9wgvpoIvHBvao2tCCtIz6HSA

[2] Cf. Lacan J., Mon enseignement, Paris, Seuil, 2005.