Édito 8 : Le mystère de la sexuation de l’enfant

Par Valeria Sommer Dupont

Qu’est-ce que la sexuation lorsqu’il y a de l’analyste ? Lorsqu’il y a du discours analytique ? Ce que nous avançons sur la sexuation d’un enfant est dit sous transfert, à partir des dires de l’enfant, sans quoi l’on risque de le réduire à n’être qu’un objet. Rappelons ici l’écriture de ce discours, où l’analyste est en position d’objet : a → $. L’analyste produit la division, la division subjective ; c’est le sujet qui est au travail. Angoisse, désir, doute, incertitude, ambivalence, contradiction sont, entre autres, signes de cette division, du manque-à-être. Ce manque, on ne cherche pas à le suturer, mais à y prendre appui : faire « de la castration sujet [1] ». C’est une position éthique.

Michel Foucault a mis en avant dans Naissance de la clinique le poids du regard et de l’observation structurés par – et dans – un discours de domination qui a pour résultat l’objectivation de l’individu et son aliénation. Le discours de la psychanalyse s’articule d’une rupture d’avec cette tradition : le geste freudien consistant à ôter et s’ôter du champ de vision du sujet en l’allongeant, de se taire pour donner la parole aux « hystériques », reste paradigmatique. Jacques Lacan accentue l’écart avec toute tradition normative, différenciant l’œil et le regard, le sujet et le parlêtre. Le concept même de sexuation, à distinguer de sexualité, porte cette rupture.

Lors d’une réunion préparatoire à la JIE6, Jean-Robert Rabanel interrogeait le suffixe -tion de ce concept lacanien. Si -ité exprime une qualité, -tion exprime une action ou son résultat. Quand on sait la place que Lacan réserve à la praxis (terme grec pour action) et au savoir-faire, au savoir-y-faire, ce choix prend du relief. La sexuation n’est pas identifiable à un comportement quelconque, à une qualité, à un chromosome ou à des hormones ; elle n’est pas mesurable, observable.

Difficile de passer sous silence le documentaire Petite Fille [2] qui a fait un nombre de vues extraordinaire. Deux phrases portées à l’écran par le réalisateur m’ont particulièrement interrogée. L’une : « Quand je serai grand, je serai une fille [3]», propos que la mère de Sacha lui attribue. L’autre : « Si jamais Sacha venait à se dire à l’adolescence finalement je me sens mieux en mec, oups c’est pas grave […] il n’y a rien d’irréversible, Sacha si elle veut vivre en tant que fille pendant 10 ans elle vivra en tant que fille pendant 10 ans, point barre. [4]» Plus tard dans le film[5], on entendra le discours scientifique qui donne consistance à ce fantasme.

Ces deux séquences – et leur traitement dans le film – articulent une même question : temps et sexuation. L’ambivalence, la contradiction, la temporalité, la richesse, que la phrase attribuée à Sacha resserre, suivra le même destin dans le film que la transcription qui en est faite sur la synopsis d’Arte : « Quand je serai grande, je serai une fille [6]. » D’un coup d’écriture, par l’ajout de ce -e, on balaie hiatus, énigme et mystère, pliant le temps dans un présent consistant et éternellement vrai. Ce qui se dit dans l’autre séquence fait fi du corps vivant se soutenant de la croyance que l’effacement de la trace ne laisserait pas de trace. On peut toujours retourner sa veste, mais ça ne serait pas impunément, sans conséquence, puisque cette veste c’est la peau-même. Pas de restitution ad integrum, pas de réversibilité, le corps se marque d’une jouissance incalculable et irrévocable.

À ce propos, le texte de Laura Sokolowsky et l’entretien de Fabian Fajnwaks réalisé par Christine Maugin nous donnent des repères théoriques fondamentaux pour avancer sur la sexuation de l’enfant et font prendre la mesure de la subversion qui implique l’orientation lacanienne. Jean-Pierre Denis partage avec nous des moments cliniques, explorant, entre autres, l’articulation pulsion/sexuation. Enfin, Claudine Valette Damase nous livre sa lecture de l’ouvrage Fille de Camille Laurens. Le mystère de la sexuation est au rendez-vous.

 

[1] Lacan J., « L’acte psychanalytique », Autres écrits, Seuil, 2001, p. 380.

[2] Arte, documentaire « petite fille », réalisé par Sébastien Lifshitz, disponible sur internet : https://www.arte.tv/fr/videos/083141-000-A/petite-fille/

[3] Minute 3’25’’.

[4] Minute 29’ 25’’.

[5] Minute 56’55’’.

[6]Sur le site d'Arte.