Édito 3 : Maryse et son crayon

par Laura Sokolowsky 

Le signe moins est la marque irréductible de la position féminine instaurée à partir d’une castration inaugurale selon Freud. Cette marque est indubitable car elle est fondée sur la vision d’une différence anatomique. « D’emblée elle a jugé et décidé. Elle a vu cela, sait qu’elle ne l’a pas et veut l’avoir. [1]». Le vœu de posséder malgré tout le supplément phallique désiré constitue l’impasse de la sexualité féminine. Ainsi, le Penisneid est la signification fondamentale que Freud a donnée au ne pas avoir.

Ce qu’une femme n’a pas ne se déduit pas de l’organe réel, le phallus doit être situé sur le plan de son existence symbolique. C’est la raison pour laquelle l’on peut dire, avec Lacan, que ne pas avoir le phallus revient à l’avoir en tant que marqué du signe moins. C’est parce que le phallus est un signifiant qu’il est possible de le marquer du signe moins et c’est à cette existence négative que le sujet féminin participe [2]. En 1931, Freud envisagea la perspective clinique du Penisneid comme une négativité dont le sujet tiendrait la mère pour responsable. Lacan le reprit en 1963 de la façon suivante : « C’est bien ce que Freud nous explique, que pour elle cette revendication de pénis restera jusqu’à la fin essentiellement liée au rapport à la mère, c’est-à-dire à la demande [3]». D’où ce fait crucial que l’objet a se constitue dans la dépendance à la demande du côté féminin de la sexuation.

Le rapport au manque du côté de la part femme est tel que ce qui manque, c’est cela qu’il faut avoir. Ce n’est pas tant la castration qui est recherchée que la permanence du phallus dans le fantasme. D’où aussi la croyance féminine selon laquelle le phallus, c’est a [4]. Si la fille s’intéresse à la castration, c’est deutéro-phallique, cet intérêt est secondaire chez elle[5]. Ce temps second où la fille s’intéresse à l’objet du désir de l’Autre correspond à la phase phallique que Freud a découvert. Si l’objet pulsionnel n’est pas d’emblée phallicisé, le mouvement par lequel l’objet a se phallicise dépend de l’effet de la métaphore, lorsque la signification phallique se substitue à l’x du désir de la mère.

Un exemple clinique de la phallicisation précoce du Penisneid a été précisément décrit par Rosine et Robert Lefort dans le cas de la petite Maryse[6]. Cette petite fille de deux ans fut séparée de sa mère depuis ses quatre mois et vivait en institution. Au départ de son analyse, son Penisneid primaire se présentait sous la forme d’une vieille croûte de pain, d’un déchet qu’elle détenait avant de rencontrer son Autre dans le transfert.

Ce qu’elle n’avait pas, Maryse alla le chercher sous la jupe d’une poupée, puis sous celle de l’analyste. Dès lors, le Penisneid entra en résonance avec le champ pulsionnel des objets de la demande. La dialectique entre l’objet a et -φ devint possible à partir du moment où Maryse constitua son Autre comme porteur de l’objet : elle préleva un crayon sur la personne de l’analyste dès la première rencontre. Malgré un comportement inquiétant causé par l’abandon précoce de sa mère et les multiples institutions qu’elle avait déjà fréquentées, Maryse n’était pas un enfant psychotique. Le crayon n’était pas de son côté, elle alla le chercher dans la poche de Rosine Lefort.

La phallicisation du Penisneid s’effectua en deux étapes logiques chez cette petite fille. Le premier temps fut marqué par la mise en forme de la demande qui venait significantiser la privation de l’organe. À ce moment, les objets a pulsionnels étaient encore intriqués au Penisneid. Le deuxième temps logique fut marqué par la négation de la proposition « tout être vivant est phallique ». Cette phase phallique mettait Maryse sur un pied d’égalité avec le petit Hans qui cherchait, lui aussi, à localiser le phallus sur le corps maternel[7].

Mais surtout, le cas Maryse démontre clairement que la castration est supportée par la dimension du dire. Ce fut par l’énoncé « papa-pipi » que Maryse convoqua l’existence d’un élément venant nier la fonction phallique. Elle avait deux ans, l’aventure féminine commençait pour elle.

[1] Freud, S., « Quelques conséquences de la différence anatomique entre les sexes ». La vie sexuelle, Paris, PUF, 1982, p. 127.   [«  Sie hat es gesehen, weiß ,daß  sie es nicht hat, und will es haben »].

[2] Miller J.-A., « Des semblants dans la relation entre les sexes », La Cause freudienne n° 36, 1997.

[3] Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’angoisse, Paris, Seuil, 2004, p. 233.

[4] Ibid., p.310.

[5] Ibid. p. 233.

[6] Lefort R. et R., Maryse devient une petite fille : psychanalyse d’une enfant de 26 mois, Paris, Champ freudien, Seuil, 1995.

[7] « [...] je pensais que, puisque tu étais si grande, tu devais avoir un fait-pipi comme un cheval » dit Hans à sa mère. Cf. S. Freud, « Analyse d’une phobie chez un petit garçon de 5 ans », Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1985, p.96.