« Je me prenais pour une fille »

Par Michèle Astier

Chez le parlêtre, le choix quant au sexe ne relève pas tant de l’identification qui tient à l’Autre, qu’à ce qui se jouit du corps. En 2014, le film de Guillaume Gallienne, réalisateur et interprète de son propre rôle et de celui de sa mère, film multi-récompensé[1], faisait fiction de sa propre histoire sur le ton plaisant de la comédie. Le titre donne le ton : Les garçons et Guillaume, à table ! D’emblée on entend la voix de la mère qui ne fait pas de Guillaume un garçon.

En effet, le jeune adolescent qui adopte des attitudes très féminines toise ses frères aînés, turbulents et bagarreurs, d’un ferme dédain. Il se déguise en fille dans sa chambre avec les moyens du bord, par exemple en transformant habilement sa couette de lit en robe de grande dame, ou en adoptant la voix de sa mère. Son imitation est si réussie qu’il en joue pour tromper son entourage en faisant croire à sa présence. On entend que sa mère désirait une fille pour ce troisième enfant. L’identification féminine de Guillaume est si flagrante que famille et amis sont convaincus de son homosexualité et l’acceptent. Mais sa recherche de rencontres homosexuelles bute sur le réel du sexe : terrifié, il prend la fuite. Il faudra du temps pour qu’une autre possibilité de rencontre se dessine : ce sera celle d’une jeune fille. Ses parents en seront médusés lorsqu’il leur annoncera son prochain mariage avec elle.

L’artiste a mis son talent au service d’une mise en forme de fiction cinématographique, après une mise en forme théâtrale, pour ce qui fut pour lui une véritable tragédie. La légèreté du ton et l’humour qui émaille chaque séquence laisse percevoir quelles affres il a dû traverser, ce qui touche spectatrices et spectateurs à travers le rire. Il en a témoigné dans diverses interviews données à la sortie du film. Je retiendrai ses propos extraits de l’émission télévisée Sept à Huit par la journaliste de L’Express[2] : « On me prenait pour un efféminé, un homosexuel mais moi je me prenais pour une fille ». Le problème est que cette position décidée a trouvé une limite : un discord a surgit quant à cette identification.

« J’ai fait une dépression à 12 ans. Je me suis pris le mur [3]». N’a-t-il pas buté sur « le mur du langage [4]» qui ne peut, de structure, répondre au réel de la sexualité ? Le signifiant manque, S(Ⱥ), à dire et écrire le sexe, spécialement le féminin au-delà de la figure de la mère. L’Autre qui fut appui et référence avec les coordonnées œdipiennes de l’enfance s’avère inconsistant lorsqu’il est requis de répondre au niveau de la pulsion et de la jouissance[5]. « J’ai eu des années de divan, ça m’a sauvé la vie sinon je ne serais pas vivant aujourd’hui [6]».

La psychanalyse lui a sauvé la vie : avançons qu’elle a donné le temps au sujet de déplier sa question. Elle lui a permis de desserrer l’étau d’un signifiant devenu mortifère d’effacer le vivant de ce qui advient au corps, le confrontant à l’impossible… à vivre. Elle lui a permis de ne pas rester fixé à cette identification et d’ouvrir à la contingence.

Guillaume Gallienne n’a jamais fait secret de sa bisexualité. Ainsi, dit-il, « J’aurais pu faire la bonne rencontre avec un homme, il se trouve que ça s’est fait avec une femme [7]». Il se trouve que : contingence. Un nouveau choix est devenu possible de n’être plus fondé sur l’impératif du signifiant du désir de l’Autre, mais à partir du réel. Choix fondé sur la rencontre, ce que nul n’eut pu prévoir ! Insondable décision de l’être sexué Homme certes, mais pas-tout-homme ?

 

[1] Cf. la fiche Wikipédia qui lui est consacrée : https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_garçons_et_Guillaume,_A_table_!

[2] Levy-Frébault T., « Guillaume Gallienne à Sept à Huit », : « Je me prenais pour une fille », L’Express, 14 janvier 2014, https://www.lexpress.fr/styles/vip/guillaume-gallienne-a-sept-a-huit-je-me-prenais-pour-une-fille_1313966.html

[3] Ibid.

[4] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, Seuil, p. 316.

[5] Cf. Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir », Écrits, op. cit., p. 818-820.

[6] Levy-Frébault T., « Guillaume Gallienne à Sept à Huit », op. cit.

[7] Ibid.