Supplément Manga Vol. 3.
Les culottes sont variées et ne se ressemblent pas ! De la culotte du bon roi Dagobert à la culotte trouée de la petite fille évoquée par Jacques-Alain Miller[1], en passant par ce que les garçons cherchent à voir sous les jupes des filles comme le chante joliment Alain Souchon[2]. Pour chacune, la question de la duperie se pose de façon différente : position non-dupe du bon Saint Eloi, dupe de la vérité, dupe de ce qui est caché et à voir.
Rajoutons à cette série la culotte de Bulma, personnage fille de Dragon Ball Z apporté par Louis en séance d'orthophonie. Barbara Veyri, orthophoniste orientée par la psychanalyse, fait le choix d'intervenir à partir de cette figurine. Cela aura un effet d’énonciation chez l’enfant qui, en nommant la cupidité jouissive du personnage Tortue géniale, pourra se séparer d’une jouissance qui le prenait au corps et bouchait l’accès pour lui à un certain savoir.
A.B.-A. et M.L.
La culotte de Bulma
Par Barbara Veyri
Louis, 8 ans, vient en orthophonie. Il amène avec lui une multitude de figurines qu’il sort de ses poches, qu’il installe sur le bureau et dont il accompagne les déplacements et les mises en scène de bagarres de ponctuations bruyantes, de bruits de bouche et d’interjections en tout genre. Je lui fais remarquer : « tu changes souvent de voix ».
- « Oui, j’aime bien », laconique.
Première énonciation de Louis. Ma remarque adressée sur le traitement qu’il peut faire de l’objet voix a un effet d’apaisement et une conversation peut s’engager à partir de ces figurines. L’une d’elle attire mon attention : une petite fille riant aux éclats, la jupe relevée et le buste penché en avant.
« - C’est qui, elle ?
- Bulma
Silence de ma part.
- Tu connais pas ?
- Raconte moi »
Louis est alors intarissable et me parle de cette jeune fille issue du manga Dragon Ball. Je lui dis mon admiration devant toutes ses connaissances et lui demande s’il pourrait me porter les livres pour que nous puissions en parler. Louis y consent et vient avec les deux premiers tomes de ce manga. Je lui demande de me présenter les personnages et, si cela lui est possible, de me faire partager son savoir sur ce manga. Nous tournons les pages, « à l’envers », me précise t il. Louis me présente le héros, Sangoku : « au début il est nul, il connait rien à la vie ». Effectivement Sangoku vit en ermite et Bulma sera la première rencontre qu’il fait. Bulma est une fille ; le petit héros, orphelin et venant d’une lointaine planète, ne sait pas ce qu’est une fille.
Louis me présente Tortue géniale « c’est un pervers pourri, il veut voir la culotte de Bulma ». Deuxième énonciation de Louis qui nomme ainsi la jouissance supposée mauvaise. Dans la continuité de cet échange, je lui propose de lire : « on pourrait choisir chacun un personnage et si c’est compliqué, je t’aide. » Je dis cela tranquillement, comme qui dirait l’air de rien.
« - Moi je peux lire que les grosses lettres ». Louis pointe ainsi les interjections, les onomatopées qui ponctuent les dialogues.
Là où le mot est chargé de signification, l’interjection et l’onomatopée, plus proches de ce qui constitue l’objet voix et la jouissance du corps, se font passerelle pour que Louis consente à laisser une place à l’Autre du savoir. La place faite au manga permet d'enchâsser l'agitation dans le corps de Louis et d'opérer un déplacement sur les dires qu'il m'adresse à propos des personnages de Dragon Ball.
C’est ainsi que vont s’amorcer pour ce garçon l’accès à la lecture et la possibilité de se saisir, à partir de ce manga, d’un savoir partageable.
[1] « Lettre claire comme le jour pour les vingt ans de la mort de Jacques Lacan », Jacques-Alain Miller, Lettres à l’opinion éclairée, Paris, Seuil, 2002, p. 52.
[2] Chanson d’Alain Souchon, « Sous les jupes des filles », Album C’est déjà ça, 1993.