« Burn-out parental », « Regret d’être mère »

 

À l’ère où l’on affirme avec un certain soulagement qu’on ne naît pas parent, qu’on le devient – mettant alors en cause l’existence d’un « instinct » maternel ou paternel – où la « parentalité » apparaît comme une pure construction sociale et culturelle, où la sexualité et la procréation peuvent, grâce à la science, être disjointes, deux figures pour dire le mal-être parental tiennent la vedette : celle du « burn-out parental » (qui rejoint les autres types de burn-out comme le « burn-out professionnel » et le « burn-out de l’aidant » [1]) et celle du « regret d’être mère » [2] (des mères prennent la parole, « brisent le tabou » [3]pour raconter leur mal de mères [4]).

Ce qui est mis en avant dans ces deux syntagmes, ce n’est pas tant l’embarras que la charge mentaled’être parent. Être parent, c’est du boulot. La parentalité se trouve réduite à des fonctions, des parents s’épuisent à la tâche. Le « regret » n’est pas tant d’avoir ou ne pas avoir des enfants, mais d’être mère, d’être père de famille, d’être parent.

C’est du côté de l’être que le malaise semble ici s’exprimer dans la filiation. Comme dans la sexuation, on découvre dans ces figures une homologie structurale : les sujets souffrent d’une inadéquation du « titre » qui leur a été assigné à la naissance (homme, femme) ou par la naissance – ou l’adoption – (père, mère, parent) de leur enfant : « la naissance d’un bébé est aussi la naissance d’un parent » [5], peut-on lire sur la page de santé publique du gouvernement consacrée au « développement de bébé ».

La naissance d’un bébé, est-ce la naissance d’un parent ? La clinique nous montre que rien n’est moins sûr.

Lacan notait le statut de parasite du bébé : « dans l’utérus de la femme, l’enfant est parasite, tout l’indique, jusqu’au fait que ça peut aller très mal entre ce parasite et ce ventre » [6].

Au regard du réel, la naissance d’un petit de parlêtre, c’est comme l’arrivée d’un « a-lien », d’un objet petit a suivi d’un trait. Rien ne rattache a priori cet a-lien à l’Autre, car par ce trait – qui pourtant vient de l’Autre – le rapport est toujours déjà dénaturé. Ainsi on pourrait dire, en empruntant la formule de Lacan sur le non-rapport sexuel, qu’il n’y a pas de rapport filial. Cette perspective permet d’affranchir le lien d’un déterminisme biologique et d’un déterminisme social. Sur fond de non-rapport, tout lien familial est symptomatique.

Dans son Séminaire « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », Lacan questionne : le fait que la chaîne inconsciente s’arrête au rapport de l’enfant aux parents, est-il oui ou non fondé ? À l’ère où coexistent des discours qui font du « neuro » le fondement de tout lien à l’autre et des discours qui revendiquent le droit à l’auto-détermination (l’auto-fondement) de l’enfant, la question introduite par Lacan prend une portée subversive. « La parenté en question met en valeur ce fait primordial que c’est de lalangue qu’il s’agit » [7], avance Lacan dans ce même Séminaire, donnant ainsi une direction à la cure : de quel apparentement poétique l’enfant est-il poème ?

 

 

[1] « Aider jusqu’à l’épuisement : quand la parole se libère », France Inter, podcast « Le téléphone sonne », émission du mercredi 2 octobre 2019, disponible sur le site de Radio France : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-telephone-sonne/aider-jusqu-a-l-epuisement-quand-la-parole-se-libere-5870171

[2] Cf. notamment Thomas S., Mal de mères. Dix femmes racontent le regret d’être mère, Paris, JC Lattès, 2021 ; Allenou S., Mère épuisée, Paris, Les liens qui libèrent, 2011 ; émissions télévisées, radio, podcasts, parutions éditoriales, etc.

[3] Machado P., « Elles regrettent d’être devenues mères et brisent le tabou », Terrafemina, jeudi 10 février 2022, disponible sur internet : https://www.terrafemina.com/article/regret-maternel-l-autrice-stephanie-thomas-brise-le-tabou-avec-mal-de-meres_a362421/1

[4] Cf. Thomas S., Mal de mères. Dix femmes racontent le regret d’être mère, op. cit.

[5] « Devenir parent », site internet du gouvernement des 1000 premiers jours : https://www.1000-premiers-jours.fr/fr/devenir-parent

[6] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 14 décembre 1976, Ornicar ?, n°12/13, décembre 1977, p. 6.

[7] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 19 avril 1977, Ornicar ?, n° 17-18, p. 12.