Valérie Bussières
« L’inconscient qui relève de l’imaginaire est l’inconscient des familles, celui du fameux “Famille, je vous hais ! ” ou de “Maman, comment tu m’as fait, j’suis pas beau”, celui qui interprète en rond. Mais l’inconscient des familles est aussi symbolique, celui des grandes fonctions, Nom-du-Père, désir-de-la-mère, tel qu’il le résume dans Télévision […]. Cet inconscient, œdipien, est à dégager du texte de l’association libre. Il n’interprète pas en rond, mais contribue à entretenir le sens à la place du réel, le rapport à la place du non-rapport[1]».
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Dans cette citation, on entend ce que Lacan constatait en parlant de l’analyse d’une névrose : «nous voyons les gens irrésistiblement nous parler de leur maman et de leurs papas[2]». C’est l’inconscient empreint d’une forme épique imaginaire que Marie-Hélène Brousse nomme « l’inconscient des familles ».
Cet inconscient de la famille conjugale, « contraction de l’institution familiale[3]», façonné par le mythe œdipien, s’appuie aussi sur un ordre symbolique dont Lacan a extrait des repères fondamentaux comme la métaphore paternelle. À l’envers de cet inconscient, M.-H. Brousse propose l’inconscient lacanien. Qu’est-ce à dire ?
Elle nous donne quelques pistes en nous indiquant qu’il est inscrit du côté du réel et non du sens et qu’il a pour boussole le non-rapport. À la suite de cet article, elle précise cet inconscient lacanien : « des petits bouts de réel », « des divins détails ». L’aspérité[4]de lalangue, telle que Valeria Sommer-Dupont la déplie dans son argument de la JIE7, composerait-elle la texture de cet inconscient lacanien ? À l’ envers de l’inconscient des familles, pourrait-on lire le réel de la jouissance avec la lettre couplée à la chair[5], c’est-à-dire l’effet matériel du langage sur le corps vivant ?
Mais au temps de l’évaporation du père qu’anticipe Lacan dès 1968, du déclin de la métaphore paternelle[6], de l’effacement de l’assignation du genre masculin pour le père et féminin pour la mère et de l’absorption de la mère et du père par le terme de « parent », cet inconscient des familles est-il toujours l’envers de l’inconscient lacanien ?
Cette inconsistance de la famille moderne dévoile l’inconscient des familles, le met à nu. À l’époque de l’errance des Uns-tout-seuls, le parent est-il « “trace” de la famille écrite sur le corps dans le réel[7]» et l’enfant est-il assigné exclusivement à un objet a, objet déchet, sans le voile de l’idéal et du désir ?
[1] Brousse M.-H., « L’inconscient lacanien, l’envers de l’inconscient des familles », Quarto n°88-89, 2015.
[2] Lacan J., « Conférences et entretiens dans des universités », Silicet n°6/7, Paris, Seuil, 1976, p.2.
[3] Lacan J., « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p.27.
[4] Sommer-Dupont V., « Des parents en question », disponible sur internet.
[5] En référence à cette citation de Lacan J., « … les pulsions, c’est l’écho dans le corps du fait qu’il y a un dire », Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p.17
[6] Lacan J., « Note sur le père », La Cause du désir, n°89, p.8.
[7] Brousse M.-H., Mode de jouir au féminin, Paris, Navarin, 2020, p.43.