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Zappeur JIE7

Argument #1

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Des parents en question !

L’actualité regorge de parents exaspérés, fatigués, au bord du burn-out parental, terme qui désigne le parent en mal d’efficacité parentale [1]Cf. Roskam et Mikolajczak, Le burn-out parental. Comprendre, diagnostiquer et prendre en charge. Deboeck supérieur, mars 2018.. Des enfants terribles, tyranniques, opposants, intolérants à la frustration, aux prises avec la pulsion. Des enseignants dépassés par l’enfant terrible, encouragés à repérer les troubles des « élèves DYS et avec troubles du TDAH [2]Titre d’un document ressource de CANOPI », comme en témoigne la quantité de ressources et formations mises à disposition par l’Éducation nationale pour les enseignants. Ils avancent des diagnostics incitant les parents à valider cela par un « bilan neuro ».
Enfant multidys… Oui, il dysfonctionne sévère !
Quelle est le ressort de cette exaspération parentale ? Qu’est-ce qui insupporte chez l’enfant ? Comment accueillir les plaintes et tracas des parents et les symptômes des enfants ?

« Parents »

Qu’est-ce qu’un parent ? À l’ère de « l’évaporation du père[3]Lacan J., « Note sur le père », La Cause du désir, no 89, mars 2015, p. 8. », rien de plus évident et flou à la fois. D’aucuns disent que pour être parent, il suf­fit d’« écou­ter son ins­tinct », mais aus­si qu’on ne naît pas parent, on le devient, car « l’arrivée d’un bébé, c’est aus­si la nais­sance d’un parent [4]https://​www​.1000​-pre​miers​-jours​.fr/fr, op. cit.». Avec son pro­gramme des « mille pre­miers jours », le gou­ver­ne­ment fran­çais pro­pose un accom­pa­gne­ment à la paren­ta­li­té, néo­lo­gisme dont Marie-Hélène Brousse note qu’il « appar­tient à l’époque des Uns dis­joints et épars[5]Brousse M.-H., « Un néo­lo­gisme d’actualité : la paren­ta­li­té », La Cause freu­dienne, no 60, juin 2005, p. 123. », époque où la ren­contre du dis­cours capi­ta­liste et du dis­cours de la science met en ques­tion la famille dite tra­di­tion­nelle ouvrant à d’autres formes « de faire famille » ou, pour le dire avec le voca­bu­laire en vogue, « des façons d’être et de vivre son sta­tut de parent[6]Définition de « paren­ta­li­té » sur le site 1000 pre­miers jours.».

Ainsi au xxie siècle, le jeu des 7 familles se réac­tua­lise, inté­grant, à côté de la belle-mère et du beau-père, d’autres inven­tions émer­gées au sein des grou­pe­ments humains, pour nom­mer les proches : « Je le laisse m’appeler mamoune » confie une assis­tante fami­liale, « Je suis papa 1 et lui papa 2 », « Moi, c’est maman bonus ». Comptons aus­si les mères qui regrettent d’être mères[7]Cf. Thomas S., « Les pieds sur Terre. Mal de mère(s) », France Culture, 6 octobre 2021, dis­po­nible en pod­cast sur le site de France Culture., les adultes qui se reven­diquent child-free et, pour­quoi pas, « tous les Terriens », comme le pro­pose Dona Haraway, fémi­niste anti­spé­ciste [8]Haraway D. « Tous les Terriens sont des parents proches, dans le sens le plus pro­fond ». Sous le slo­gan :« Faites des Parents, pas d’enfant » il est ques­tion de « démê­ler les liens de … Continue rea­ding.

La parenté en question

En 1977, Lacan évoque l’ouvrage La Parenté en ques­tion, diri­gé par l’anthropologue Rodney Needham, et pré­cise que « La paren­té en ques­tion met en valeur que c’est de lalangue qu’il s’agit [9]Lacan J., Le Séminaire, Livre XXIV, L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre, leçon du 19 avril 1977, Ornicar ?, n°17–18, Paris, Lyse, 1979, p. 12. ». Une courte phrase aux consé­quences mul­tiples, qui ren­ferme une nou­velle concep­tion de la paren­té, au plus près de la défi­ni­tion de l’inconscient comme par­lêtre qui nous invite à repen­ser la cli­nique.
Dans la paren­té en ques­tion – syn­tagme dont Lacan célèbre la jus­tesse –, s’entend la paren­té comme fait de lan­gage, arti­cu­lée et struc­tu­rée en tant que ques­tion. Dans le sillon des Structures élé­men­taires de la paren­té de Claude Lévi-Strauss et de la lin­guis­tique struc­tu­rale, on lit ici la filia­tion dans sa dimen­sion sym­bo­lique. La com­bi­na­toire signi­fiante domine les rela­tions de paren­té, déter­mine les « com­plexes fami­liaux » propres à cha­cun. Par sa lec­ture struc­tu­ra­liste et lin­guis­tique du com­plexe d’Œdipe, Lacan affran­chit le lien paren­tal d’un déter­mi­nisme bio­lo­gique et des mirages ima­gi­naires dans les­quels les post-freudiens étaient tom­bés : il n’y a rien de natu­rel dans le lien humain, un lien est un fait de dis­cours, une fic­tion qui ins­crit le sujet dans l’Autre, lui don­nant une signi­fi­ca­tion dans le lien social. Le com­plexe d’Œdipe n’est rien d’autre que le nom de cette mise en ques­tion, une mise en récit qui orga­nise amour, désir et jouis­sance, régu­lant ain­si l’existence humaine. Puis, la mise en ques­tion du Nom-du-Père ouvre à la plu­ra­li­sa­tion des Noms-du-Père. Il n’y a pas Une paren­té, elles sont mul­tiples et variées, à cha­cune sa ques­tion, sa véri­té et sa moda­li­té de jouissance.

Un pas de plus : c’est de lalangue dont il s’agit…

Avec ce concept de lalangue, Lacan pose les bases d’une paren­té au-delà – ou en-deçà – du roman fami­lial, se démar­quant ain­si du struc­tu­ra­lisme, du fonc­tion­na­lisme et du décons­truc­tion­nisme. Car ce n’est ni du lan­gage ni du dis­cours dont il s’agit dans la paren­té en ques­tion, mais bel et bien de lalangue. Lalangue ne se décons­truit pas, elle n’a rien à faire avec le dic­tion­naire, elle a à voir avec le corps.
Si le lien paren­tal n’est ni natu­rel ni divin, il n’est pas non plus un pur pro­duit dis­cur­sif décon­nec­té d’un corps sexué. Une opa­ci­té résiste, irré­duc­tible. Situons ici, dans cette opa­ci­té qui résiste à la décons­truc­tion, le « désir non ano­nyme » ou « l’intérêt par­ti­cu­la­ri­sé » que le parent porte à l’enfant, et dont Lacan parle dans sa « Note sur l’enfant », il s’agit de « l’irréductible d’une trans­mis­sion – qui est d’un autre ordre que celle de la vie selon les satis­fac­tions des besoins [10]Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, avril 2001, p. 373 ».
Au regard du réel, il n’y a pas de rap­port entre parents exas­pé­rés et enfants ter­ribles, entre la plainte des uns et le symp­tôme des autres. Pas d’intersubjectivité ! Le point d’exaspération d’un parent ne se trouve pas dans l’enfant, dans un exté­rieur objec­tif qui serait décon­nec­té de la propre sub­jec­ti­vi­té du parent. Entre ce qui est dit par l’un et ce qui est enten­du par l’autre, il y a un gap où gît le mal­en­ten­du fon­da­men­tal. Chaque être par­lant a affaire à son propre insup­por­table. Il convien­drait de dire le parent s’exaspère de l’enfant. Ça l’exaspère. Il se fait exas­pé­ré par lui – si l’on per­met ce for­çage gram­ma­ti­cal.
De même, les rai­sons pour les­quelles un enfant serait « ter­rible » ne se trouvent pas dans ce que les parents diraient de leur enfant, depuis un exté­rieur objec­tif.
L’enfant n’est jamais conforme à l’idée que les parents se font de lui, c’est un fait de struc­ture. En ce sens, il sera tou­jours ter­rible. Aucun idéal ne sera conforme à l’objet qu’on est. Mais plus que cela, nous sommes tous insup­por­tables, du fait de notre venue au monde en posi­tion d’objet. L’enfant est avant tout objet a [11]Lacan J., Le Séminaire, livre xvii, L’Envers de la psy­cha­na­lyse, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991,« L’objet a, c’est ce que vous êtes tous, en tant que ran­gés là ‒ … Continue rea­ding, pro­pose Lacan, objet qui choit du corps de la mère. L’enfant comme objet met la paren­té en ques­tion, au sens où il fait appa­raître la pla­ti­tude de son carac­tère fictionnel.

Désaplatir la parenté

Lacan ques­tionne la paren­té, nous invi­tant à réflé­chir à la place qu’on donne dans l’étiologie des symp­tômes à l’histoire fami­liale : « Pourquoi tout s’engloutit-il dans la paren­té la plus plate ? Pourquoi les gens qui viennent nous par­ler en psy­cha­na­lyse, ne nous parlent-ils que de cela ? [12]Lacan J., Le Séminaire, livre xxiv, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 17 mai 1977, inédit. » Dans les années soixante-dix, ces ques­tions ont un effet de réveil face au délire « fami­lia­liste » dans lequel cer­tains psy­cha­na­lystes s’assoupissaient avec un usage psy­cho­lo­gi­sant et léni­fiant du mythe d’Œdipe : la mère est col­lée à l’enfant, elle n’a pas cou­pé le cor­don, le père n’arrive pas à faire valoir la loi… C’est une autre manière d’entendre la paren­té en ques­tion – les parents mis en cause et en ques­tion.
Dans l’étymologie du mot « exas­pé­ré », on trouve un lien avec l’aspérité : le terme vient du latin exas­pe­rare qui signi­fie « rendre rugueux, âpre », et, au sens figu­ré, « irri­ter » « rendre plus intense [13]Rey A. & al., Dictionnaire his­to­rique de la langue fran­çaise. ». C’est un mot qui évoque le corps, la matière. L’aspérité, c’est ce qui est rabo­teux, inégal, ce qui manque d’harmonie. Le par­ti­cipe pré­sent « exas­pé­rant » prend le sens de « très irri­tant », jusqu’à l’« insup­por­table ».
À notre époque, où tout semble s’engloutir dans les diag­nos­tics les plus plats, la psy­cha­na­lyse, comme dis­cours sou­te­nu par le désir de l’analyste, s’avère un rem­part contre la rai­son moderne dont le som­meil engendre des monstres ter­ribles. Exaspérons la paren­té, explo­rons les liens rugueux que chaque être par­lant entre­tient avec la langue, accueillons ce qu’enfants et parents disent, non comme indices de dys­fonc­tion­ne­ment, mais comme moda­li­té sin­gu­lière de faire famille [14]Cf. La Petite Girafe, n24, Se faire sa famille, sep­tembre 2006.. La paren­té en ques­tion amène à inter­ro­ger de quel appa­ren­te­ment poé­tique chaque enfant est poème [15]Cf. Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire xi », Autres écrits, op. cit., p. 571..

Notes

Notes
1 Cf. Roskam et Mikolajczak, Le burn-out paren­tal. Comprendre, diag­nos­ti­quer et prendre en charge. Deboeck supé­rieur, mars 2018.
2 Titre d’un docu­ment res­source de CANOPI
3 Lacan J., « Note sur le père », La Cause du désir, no 89, mars 2015, p. 8.
4 https://​www​.1000​-pre​miers​-jours​.fr/fr, op. cit.
5 Brousse M.-H., « Un néo­lo­gisme d’actualité : la paren­ta­li­té », La Cause freu­dienne, no 60, juin 2005, p. 123.
6 Définition de « paren­ta­li­té » sur le site 1000 pre­miers jours.
7 Cf. Thomas S., « Les pieds sur Terre. Mal de mère(s) », France Culture, 6 octobre 2021, dis­po­nible en pod­cast sur le site de France Culture.
8 Haraway D. « Tous les Terriens sont des parents proches, dans le sens le plus pro­fond ». Sous le slo­gan :« Faites des Parents, pas d’enfant » il est ques­tion de « démê­ler les liens de la généa­lo­gie avec la paren­té (kin), et de la paren­té avec les espèces ».
9 Lacan J., Le Séminaire, Livre XXIV, L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre, leçon du 19 avril 1977, Ornicar ?, n°17–18, Paris, Lyse, 1979, p. 12.
10 Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, avril 2001, p. 373
11 Lacan J., Le Séminaire, livre xvii, L’Envers de la psy­cha­na­lyse, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991,
« L’objet a, c’est ce que vous êtes tous, en tant que ran­gés là ‒ autant de fausses couches de ce qui a été, pour ceux qui vous ont engen­drés, cause du désir », p. 207
12 Lacan J., Le Séminaire, livre xxiv, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 17 mai 1977, inédit.
13 Rey A. & al., Dictionnaire his­to­rique de la langue fran­çaise.
14 Cf. La Petite Girafe, n24, Se faire sa famille, sep­tembre 2006.
15 Cf. Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire xi », Autres écrits, op. cit., p. 571.
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