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Zappeur JIE7

Parents exaspérés – Enfants terribles, une rencontre non programmée

Zappeur n° 39
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Sous le titre Parents exas­pé­rés – Enfants ter­ribles, une ren­contre non pro­gram­mée*, nous essaye­rons de situer com­ment l’impossible à sup­por­ter est mis en jeu dans le rap­port entre des parents et des enfants. Pour cela, nous nous appuie­rons sur cette défi­ni­tion de Lacan : « le réel en tant qu’il est l’impossible à sup­por­ter[1]». Contemporaine de son Séminaire XXIV, elle peut être mise en ten­sion avec la ques­tion qu’il y pose : « Est-il, oui ou non, fon­dé, ce rap­port de l’enfant aux parents ?[2]» On peut en effet s’interroger sur le sta­tut de ce « fon­de­ment », puisque – c’est d’autant plus mani­feste aujourd’hui – ce rap­port se trame sur fond d’impossible.

Il s’agit alors de sai­sir, dans le rap­port de l’enfant avec son Autre, l’inexistence sur laquelle celui-ci se pose. Le sta­tut dudit fon­de­ment témoigne, plu­tôt, de la per­cus­sion, inau­gu­rale et contin­gente, du corps et de la parole. Il nous revient de recueillir les consé­quences de ce qui fait irrup­tion pour l’enfant, avec la pré­sence réelle du corps, et sa manière d’entrer « comme bar­bare dans la langue fami­liale[3]».

 

Nous par­tons de la consta­ta­tion que « l’enfantement fait trou[4] », et que de ce trou pro­vient l’inexistence du rap­port natu­rel à l’enfant. Entre la mère et son enfant, il y a la jouis­sance qui fait irrup­tion ren­dant impos­sible l’Un de la fusion. Il faut aus­si tenir compte du fait que, « face à l’appel du sym­bo­lique que l’“être mère” convoque chez elles […], cer­taines femmes, pas toutes, se trouvent confron­tées […] à la part du fémi­nin qui ne peut pas être sym­bo­li­sée ». Une com­pli­ca­tion inévi­table s’introduit dans le rap­port avec l’enfant, du fait que l’amour mater­nel, chez l’être par­lant, n’est assu­ré par aucun instinct.

 

Le désir de la mère n’est pas un désir sans jouis­sance fémi­nine. Avec les lettres DM, écrites en majus­cule, Lacan indique une don­née pre­mière, signe de la jouis­sance qui niche dans la dimen­sion mater­nelle. Introduire le pas-tout – avec son scé­na­rio – dans le désir de la mère rend pré­ci­sé­ment pos­sible la mise en jeu du désir, habi­lite cet « espace de sépa­ra­tion[5]», brèche ouverte à l’invention entre l’enfant et son Autre, brèche à par­tir de laquelle chaque enfant pour­ra inven­ter sa propre réponse symp­to­ma­tique, à condi­tion de la non-réalisation du fan­tasme de la mère. 

 

Pour sa part, à la nais­sance d’un enfant, une mère peut ren­con­trer l’escabeau qui la fait briller ou le S(Ⱥ), « d’où il se voci­fère que La mère, tout comme La femme, n’existe pas »[6]. Un enfant peut être la source de tour­ments – comme dit J.-A. Miller, plus il comble, plus il angoisse[7]. On véri­fie alors que l’amour paren­tal n’est pas pro­gram­mé. Loin de là. Les parents font savoir les manières dont ils souffrent du réel en jeu dans la paren­ta­li­té, au moment de se débrouiller, ou non, avec le carac­tère d’intrusion que repré­sente l’enfant.

 

La méta­phore de l’amour reste sus­pen­due, par­fois absente ; à sa place vient la méto­ny­mie de la jouis­sance. Les dif­fi­cul­tés à lire la demande d’un enfant comme une demande d’amour, comme la demande d’autre chose, sont mises en évi­dence dans les réponses des pères et des mères qui saturent ces demandes avec des objets de toutes sortes –  et encore avec des savoirs d’experts – ne s’autorisant pas à inter­pré­ter et à don­ner sa digni­té à la demande d’un enfant, n’osant pas don­ner ce qu’ils n’ont pas, entre autres, du temps. Dire oui à tout ce qu’ils demandent comme signe sup­po­sé d’amour, don­ner tout et plus, fonc­tionne avec la féro­ci­té d’un sur­moi qui pré­tend démen­tir le réel en jeu. Au contraire, pour que la méta­phore de l’amour se pro­duise, il faut l’intervalle, la pré­sence du manque qui per­mette une sub­sti­tu­tion, que la demande entre dans la dia­lec­tique de la parole, que les mal­en­ten­dus appa­raissent ou – pour­quoi pas – consen­tir à la trom­pe­rie. Quand quelque chose reste voi­lé, il se perd. Sans ces coor­don­nées où s’infiltrer, la ques­tion fon­da­men­tale du Que me veut l’Autre ? se coa­gule dans un ima­gi­naire cer­tain – Il ne me veut pas ou Il jouit de moi, c’est-à-dire : Il me veut pour cela.

 

Du côté de la méto­ny­mie de la jouis­sance, ses effets s’inscrivent dans les jeux et les demandes. Mais, fon­da­men­ta­le­ment, ils s’infiltrent dans lalangue des filles et des gar­çons avec des signi­fiants qui ne fonc­tionnent pas tou­jours comme un point de capi­ton. Langues symp­to­ma­tiques, dans les­quelles le pas-tout ouvre un champ illi­mi­té, en libé­rant les « mono­logues de l’apparole[8]» sans perte de jouis­sance. Lalangue de nom­breux gar­çons et filles coa­gule ima­gi­naire et réel sans cou­pure, sans sépa­ra­tion, à la façon dont les holo­phrases fonctionnent.

Je ne t’écoute pas ! Je n’ai pas besoin de toi ! Pas celui-là, je veux un autre ! sont autant de modu­la­tions du cri que les parents ne par­viennent pas à trans­for­mer en appel. Mineurs et majeurs, sans dif­fé­rence, sont pris au piège du bal­bu­tie­ment de la jouis­sance par­ta­gée. 

Miroir, mon beau miroir, dis-moi… qui est qui ? L’« enfant géné­ra­li­sé[9]» est une façon de nom­mer l’entrée dans un monde où il n’y a pas de grandes per­sonnes, comme l’évoque Malraux dans ses Antimémoires.

 

Dans ce scé­na­rio de crise, il convient de pré­ci­ser quelle est la jouis­sance par­ti­cu­lière de chaque famille, par laquelle passe la petite retouche pas com­mune que les enfants font de lalangue, jouis­sance qui se glisse d’un mot à l’autre, où quelque chose équi­voque. Sur ce plan, Lacan lie la famille à la langue[10], celle que cha­cun parle, le mode de par­ler qui nous a été « ins­til­lé[11]» et qui nous plonge dans le mal­en­ten­du ; c’est une clé fon­da­men­tale pour ouvrir l’intervention ana­ly­tique à la plu­ra­li­sa­tion actuelle. 

 

Nous fai­sons le pari de trou­ver, dans ce par­cours, quelques détails cli­niques qui rendent compte du savoir-faire de l’analyste face aux moda­li­tés de la souf­france sin­gu­lière, qu’elle soit sub­tile ou explo­sive, qui ne se laisse pas apai­ser doci­le­ment par le sens du « sys­tème du monde[12]». Il nous revient d’approfondir pour opé­rer de manière renou­ve­lée avec chaque famille, car celle-ci est, à l’évidence, un rési­du de la civilisation.

 

Ce texte est l’argument de la Conversation 2023 du Nouveau réseau CEREDA (NRC) en Argentine, l’un des réseaux Enfance du Champ freudien
Avec la col­la­bo­ra­tion de Gisela Smania y Silvia Perassi

Traduction : Celina Coraglia


[1]
Lacan J., « Ouverture de la Section cli­nique » – Questions et réponses, texte éta­bli par Jacques-Alain Miller, Ornicar ?, n°9, avril 1977, p. 7–14.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’Une-bévue s’aile à mourre », leçon du 14 décembre 1976, Ornicar ?, n°12/13, décembre 1977, p. 14.

[3] Bassols M., « La langue fami­liale », confé­rence inau­gu­rale au VIII ENAPOL, XXe Rencontre inter­na­tio­nale du Champ freu­dien, sep­tembre 2017, dis­po­nible sur radio Lacan.

[4] Solano-Suárez E., « Maternité Blues », in Christiane Alberti (s/dir.), Être mère. Des femmes psy­cha­na­lystes parlent de la mater­ni­té, Navarin / Le Champ freu­dien, 2014, p. 82–83.

[5] Roy D., « Parents exas­pé­rés – Enfants ter­ribles », texte d’orientation vers la 7e Journée de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’Enfant du Champ freu­dien, dis­po­nible sur inter­net.

[6] Solano-Suárez E., « Maternité Blues » : Question à Esthela Solano-Suárez, L’Hebdo-Blog, n°11, 2014., dis­po­nible sur inter­net.

[7] Cf. Miller J.-A. « L’enfant et l’objet », La Petite Girafe, n° 18, 2003, p. 8. 

[8] Cf. Miller J.-A., « Le mono­logue de l’apparole », La Cause freu­dienne, n°34, octobre 1996, 2007, p. 5–12, sur CD-ROM, Eurl-Huysmans.

[9] Lacan J., « Allocution sur les psy­choses de l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 369.

[10] Cf. Miller J.-A., « Affaires de famille dans l’inconscient », Lettre Mensuelle, no250, juillet 2006, p. 9. 

[11] Lacan J., « Conférence à Genève sur le symp­tôme », texte éta­bli par J.-A. Miller, La Cause du désir, n°95, avril 2017, p. 12.

[12] Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 12 février 1974, inédit.

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