Le TDA/H comme traitement de la culpabilité

Les modalités de traitement de la face terrible de l’enfant – toujours terrible pour le parent qui s’évertue à vouloir son bien, à l’éduquer, c’est-à-dire à faire taire le terrible pour qu’il rentre dans les normes (dans les clous, comme on dit…) – sont aussi variées et évolutives selon les époques et les cultures que le symptôme de l’enfant lui-même.

Du fait de l’alliance du discours scientifique et du discours capitaliste, les abords du terrible de l’enfant se sont multipliés dans le champ du diagnostic durant ces deux derniers siècles. Le XXe siècle a ainsi connu sa floppée de diagnostics en tous genres, dont celui qui nous intéresse ici, de trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H). Bien qu’aujourd’hui couramment répandu et connu de tous, l’observation (au sérieux sidérant) de Mary Fowler le décrit de la meilleure des façons, car elle conjugue ce terrible enfantin à l’exaspération parentale : « Le trouble déficitaire de l’attention est un désavantage (disability) caché. Aucun marqueur physique n’existe pour identifier sa présence, mais il n’est pas difficile à repérer. Ouvrez simplement vos yeux et vos oreilles lorsque vous passez à des endroits où il y a des enfants – en particulier là où on attend des enfants qu’ils se comportent d’une façon calme, ordonnée et productive. Là, les enfants qui ont un trouble déficitaire de l’attention se repèrent habituellement sans aucune difficulté. Ils sont en train de faire ou de ne pas faire quelque chose, et le résultat est qu’on leur fait des remarques et des critiques du genre : “Pourquoi tu n’écoutes jamais ?”. “Réfléchis avant d’agir”. “Fais attention”.[1]»

François Sauvagnat a retracé l’histoire du TDA/H tout en pointant les écueils, notamment méthodologiques, ayant conduit à un tel trouble. Il met ainsi en évidence que, malgré la volonté des chercheurs successifs de lui trouver une étiologie neurologique, cela s’est chaque fois soldé par un échec[2]. Ajoutons que sept mois avant de mourir, l’un des pères du TDA/H, Leon Eisenberg, pris par le remord, confesse : « Le TDA/H est un excellent exemple de maladie fabriquée », estimant que la « prédisposition génétique au TDA/H est complètement surestimée »[3].

Pourquoi avoir alors maintenu un tel diagnostic sans tenir compte de ses conséquences et du fait que la cause neurologique soit infondée ? Guy Trobas repère l’intention derrière ce diagnostic : il vise à déculpabiliser le parent[4], qui s’estime, à l’époque aux États-Unis et au Royaume-Uni, stigmatisé de n’avoir pas donné assez d’amour à son enfant, puisqu’il leur a été dit que celui-ci souffrirait de carence dite affective… 

Lacan démontre très tôt qu’il est plus que douteux qu’il y ait une dose d’amour nécessaire pour que l’enfant ne soit pas terrible, et que les questions du manque et du trop se jouent à un tout autre niveau que sur celui de l’objectalité. Il décale ainsi la focale de la question du besoin à celle du désir[5]. Le TDA/H devient ainsi un élément de discours qui se démarque par son utilité sociale, voire parentale, au détriment de sa scientificité. Notons que tout élément de discours ne peut qu’échouer à attraper dans sa toile le tout du terrible de l’enfant, car quelque chose ne s’attrape pas de façon absolue dans le discours, un reste demeure.

Il n’en reste pas moins que le parent se présente parfois avec un point de culpabilité à l’égard de son enfant dont les symptômes interpellent – que ce soit au sein de la cellule familiale, à l’école ou ailleurs. Il n’est pas rare que le parent se demande : « Qu’est-ce que j’ai raté ? Il n’a pourtant manqué de rien ». Le surgissement du trop de son enfant, sous les auspices de ce symptôme aux formes si diverses et évolutives, peut angoisser le parent, lui faire parfois honte, voire aller jusqu’au vœu de mort inconscient. Car, si la culpabilité, nous apprend Freud, est toujours mal située, elle demeure de structure et les tentatives visant à défaire le sujet de sa culpabilité prennent le risque d’en redoubler l’intensité. La règle dictée par Freud est alors de désangoisser, non de déculpabiliser, car l’opération est impossible. Il s’agit néanmoins d’entendre le parent sur le réel qu’il traverse lui-même dans cette affaire et que « l’instance critique[6]» qu’incarne parfois l’enfant pour lui a réveillée. C’est ainsi permettre au parent de faire les tours de parole qui sont nécessaires à obtenir un desserrage de la culpabilité grâce au lien renoué avec son désir.

[1] Fowler M., 1992, cité par F. Sauvagnat in « Une entité controversée : l’hyperactivité avec trouble déficitaire de l’attention », La Petite Girafe, n°13, mars 2001, p. 52.

[2] Cf. Sauvagnat F., « Une entité controversée : l’hyperactivité avec trouble déficitaire de l’attention », La Petite Girafe, n°13, mars 2001, p. 52-61.

[3] Cf. Eisenberg L., cité par J. Blech, in « Schwermut ohne Scham », Der Spiegel, n°6, 6 février 2012, disponible sur internet : « ADHS ist ein Paradebeispiel für eine fabrizierte Erkrankung […]. Die genetische Veranlagung für ADHS wird vollkommen überschätzt ».

[4] Cf. Trobas G., intervention lors d’une formation dans le cadre du CMPP de Fougères, à Rennes, le 22 octobre 2022, inédit.

[5] Cf. Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 814.

[6] Holvoet D., « La crise : principe organisateur de la famille ? », Zappeur, n°17, disponible sur internet.