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Mental n°50 – Gourmandise du surmoi

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Présentation

De l’interdit à l’impératif

 

Le titre de ce numé­ro de Mental pour­rait faire pen­ser à un oxy­more : lorsque Freud intro­duit le concept de sur­moi au sein de sa seconde topique, il en fait une ins­tance inter­dic­trice, qui per­met­trait la régu­la­tion des pul­sions. Cependant, il entre­voit déjà un au-delà de ces effets civi­li­sa­teurs : le sur­moi ne tour­mente pas moins ceux qui obéissent à ses inter­dits, et il se révèle même d’autant plus sévère que l’on tente de se mon­trer ver­tueux[1]Cf. Freud S., « Le moi et le ça », Essais de psy­cha­na­lyse, Paris, Petite biblio­thèque Payot, 1983, p. 266‑270.. Cette bifi­di­té du sur­moi le met­tra sur la voie de l’existence d’une com­pul­sion de répé­ti­tion qui s’exerce contre le sujet lui-même, et qu’il nom­me­ra pul­sion de mort. Dans la confé­rence, inédite en fran­çais, qui ouvre ce numé­ro, Jacques-Alain Miller indique que le sur­moi est le pre­mier concept freu­dien qui retient Lacan, dans la mesure où sa propre recherche est « habi­tée par la divi­sion du sujet contre lui-même, c’est-à-dire par l’idée qu’il n’est pas logique de sup­po­ser que le sujet cherche son propre bien[2]Cf. Miller J.-A., « Clinique du sur­moi », dans ce numé­ro, p. 16.». Lacan sou­li­gne­ra plus tard que la « gour­man­dise dont [Freud] dénote le sur­moi est struc­tu­rale, non pas effet de la civi­li­sa­tion, mais “malaise (symp­tôme) dans la civi­li­sa­tion”[3]Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 530.». Disons que les formes sous les­quelles le sur­moi se pré­sente varient en fonc­tion des dis­cours domi­nants, mais que sa vora­ci­té, qui est consub­stan­tielle à l’être par­lant, per­siste et signe l’irréductible du malaise dans la civilisation.
L’éducation est un champ pri­vi­lé­gié pour sai­sir les muta­tions du sur­moi et, dans l’entretien qu’il a accor­dé à Mental, l’historien Jean‑Claude Caron décrit un XIXe siècle tra­ver­sé par d’intenses débats sur la manière d’obtenir l’obéissance des citoyens en deve­nir, tan­dis que montent les peurs face aux « ado­les­cents cri­mi­nels ». Ces réflexions offrent une nou­velle pers­pec­tive quant aux dif­fé­rentes pres­crip­tions aux­quelles ont affaire de nos jours les enfants, ado­les­cents, parents et enseignants.
Nous sommes pas­sés, entre le XIXe et le XXIe siècle, d’un régime d’interdiction de la jouis­sance à un autre où il est inter­dit d’interdire – régime qui se révèle désor­mais comme étant celui de l’impératif de jouis­sance. Or Lacan a démon­tré que cette injonc­tion sur­moïque est tout autant impos­sible à satis­faire : le sujet bute­ra tou­jours sur un manque-à-jouir[4]Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’Éthique de la psy­cha­na­lyse, texte éta­bli par J.‑A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 208.. Cette bas­cule entre l’interdiction et la pres­crip­tion n’est pas sans modi­fier les formes que revêtent les inhi­bi­tions, symp­tômes et angoisses contem­po­raines, qui portent désor­mais la marque de l’excès plu­tôt que celle du manque. Les dis­cours actuels, char­riant leur lot d’injonctions à la consom­ma­tion, à la réus­site, à la beau­té, à l’autodétermination, ali­mentent la gour­man­dise du sur­moi et laissent le sujet aux prises avec l’impossible à jouir. Derrière cette liber­té appa­rente, on voit poindre un nou­vel « ordre de fer[5]Cf. Koretzky C., « Du nouage par le social », dans ce numé­ro, p. 69‑72.», gou­ver­né par des mots d’ordre sou­vent por­teurs de haine et qui, avec les réseaux, dis­posent désor­mais « d’une ago­ra à la topo­lo­gie inouïe : délo­ca­li­sée, bor­dée par rien, illi­mi­tée[6]Ramírez C., « Massenpsychologie à l’ère des algo­rithmes », dans ce numé­ro, p. 80.».

Mais, en deçà de ces chan­ge­ments de dis­cours, ce qui ne se modi­fie pas et que le sur­moi révèle, c’est que l’être par­lant est dès l’origine sou­mis à la contrainte du signi­fiant tout seul, insen­sé, et donc por­teur d’une jouis­sance pure[7]Cf. Miller J.-A., « Clinique du sur­moi », op. cit., p. 21.. On peut dès lors consi­dé­rer, comme le sou­ligne Adriana Campos, que « le sur­moi est l’incorporation, à notre insu, d’un corps étran­ger, d’une énon­cia­tion qui vient d’ailleurs et qui reste à la fois enkys­tée et agis­sante[8]Campos A., « Extraire un corps étran­ger ? », dans ce numé­ro, p. 30.». La cli­nique nous enseigne que ces tro­gnons de paroles sur­moïques sont par­ti­cu­liè­re­ment intri­qués dans l’objet voix et dans l’objet regard[9]Cf. Langelez-Stevens K., « L’effet de sug­ges­tion », dans ce numé­ro, p. 74. . L’expérience ana­ly­tique, si elle est por­tée par une éthique qui tient compte de la gour­man­dise du sur­moi, peut per­mettre d’isoler ces signi­fiants insen­sés et de tem­pé­rer la jouis­sance qu’ils sécrètent, au pro­fit du désir.

Alice Delarue est psy­cha­na­lyste, membre de l’École de la Cause freudienne

 

Sommaire

Éditorial
De l’interdit à l’impératif – Alice Delarue

Orientation
Clinique du sur­moi – Jacques-Alain Miller

Incidences et traitements
Extraire un corps étran­ger ? – Adriana Campos
La tyran­nie de la beau­té – Rosa María López
L’hypomanie, une folie orga­ni­sée – Roberto Cavasola
L’impitoyable auto-évaluation – Abe Geldhof

Mutations du surmoi
De « la grosse voix » à la bous­sole – Philippe De Georges
La nature humaine du père – Dominique Holvoet
Du nouage par le social – Carolina Koretzky
L’effet de sug­ges­tion – Katty Langelez-Stevens
Massenpsychologie à l’ère des algo­rithmes – Camilo Ramírez

Modulations cli­niques
Entre la voix et le regard – Philippe Dravers
Senza pelle – Christelle Van den Eden
Viser l’indicible – Marta Serra Frediani

Sublimations
L’impératif de l’acte créa­tif – Victoria Horne Reinoso
Passion de l’ignorance – Claudia Iddan
Engagés à lire et relire Lacan – Guy Briole

Entretien avec Jean-Claude Caron
L’éducation au XIXe : par la rai­son ou par la force ?

L’éducation impos­sible
Enfance sous pres­crip­tion – Sébastien Ponnou
Allègements et dépla­ce­ments – Andrea Freiría
Voies du sur­moi et de l’idéal dans la filia­tion adop­tive – Pasquale Indulgenza
Adolescence et vio­lence – Paola Bolgiani
Le sujet en faute de jouis­sance – Philippe Lacadée
Madame de Sévigné : injonc­tions de la mère, demandes insa­tiables d’une femme – Pénélope Fay
La com­tesse de Ségur, main de velours dans un gant de fer – Pascale Lartigau

Lectures
La pas­sion de Lucien de Rubempré – Philippe Hellebois
Ça pro­met ! – Anastasia Sotnikova Faraco,
Un silence impo­sé – Lorenzo Speroni
Amelia Rosselli, une vie sus­pen­due – Céline Menghi

Notes

Notes
1 Cf. Freud S., « Le moi et le ça », Essais de psy­cha­na­lyse, Paris, Petite biblio­thèque Payot, 1983, p. 266‑270.
2 Cf. Miller J.-A., « Clinique du sur­moi », dans ce numé­ro, p. 16.
3 Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 530.
4 Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’Éthique de la psy­cha­na­lyse, texte éta­bli par J.‑A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 208.
5 Cf. Koretzky C., « Du nouage par le social », dans ce numé­ro, p. 69‑72.
6 Ramírez C., « Massenpsychologie à l’ère des algo­rithmes », dans ce numé­ro, p. 80.
7 Cf. Miller J.-A., « Clinique du sur­moi », op. cit., p. 21.
8 Campos A., « Extraire un corps étran­ger ? », dans ce numé­ro, p. 30.
9 Cf. Langelez-Stevens K., « L’effet de sug­ges­tion », dans ce numé­ro, p. 74.

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