Menu

Suture antérieure

image_pdfimage_print

 

L’auto­dé­ter­mi­na­tion de l’identité de genre se reven­dique pos­sible, à la dif­fé­rence de l’impossible repré­sen­ta­tion du sujet, telle que l’entend la psy­cha­na­lyse. Celle-ci vise à attra­per le sujet par le bout de l’identification, sachant que, quel que soit le signi­fiant sous lequel celui-ci est repré­sen­té, des­sous il y a un trou. La thèse de l’autodétermination rejette cette ins­crip­tion par l’identification, pré­fé­rant une ten­ta­tive de suture[1] de l’identité à soi. Cette visée du dis­cours trans s’inscrit dans le para­digme Je suis ce que je dis [2]. Malentendus, lap­sus et autres for­ma­tions de l’inconscient n’y ont aucun lieu ; l’Autre scène est évacuée.

À cette pre­mière ten­ta­tive de suture qui veut résor­ber le sujet dans l’individu, s’ajoute une seconde qui consti­tue l’autre pos­tu­lat : Je suis mon corps. Distinguons deux concep­tions où l’individu est son corps. L’une pri­vi­lé­gie un rap­port au corps d’avant l’image, à par­tir de « ce qui ne ment pas », la jouis­sance [3]. Ce corps « vrai » serait la réfé­rence de l’autodétermination d’une iden­ti­té de genre, qui vien­drait comme réponse à une expé­rience sin­gu­lière de trouble « res­sen­ti ». L’autre concep­tion s’appuie sur l’image du corps. Elle s’habille d’un natu­ra­lisme bio­lo­gi­sant, où s’exprime la convic­tion que nous sommes notre corps. Ce natu­ra­lisme réap­pa­raît alors en tant que mythe dont le sujet peut se compléter.

Ces deux moda­li­tés de suture, Je suis mon corps et Je suis ce que je dis, veulent écrire un nou­veau rap­port de l’individu à lui-même, et ain­si obtu­rer la « béance [au sein] de l’identité à soi » [4].

Les témoi­gnages de per­sonnes d’un genre qui n’est pas rac­cord avec leur sexe bio­lo­gique sont anciens. Le nou­veau vient de l’augmentation rapide et éten­due depuis quelques années du nombre de demandes de réas­si­gna­tion de sexe chez des enfants et ado­les­cents. Ces demandes se mani­festent d’ailleurs comme reven­di­ca­tions plu­tôt que comme requête. « Les enfants trans ont des réponses à leur souf­france d’habiter un corps sexué qui ne leur convient pas » [5].

Des hor­mones qui bloquent la puber­té et des chi­rur­gies de réas­si­gna­tion leur sont pro­po­sées comme réponses, fai­sant sou­vent fi pour ces enfants et ado­les­cents des consé­quences radi­cales de ces actes. Un diag­nos­tic pré­ma­tu­ré de dys­pho­rie de genre clôt alors à tort chez ces sujets un ques­tion­ne­ment sur une pos­sible orien­ta­tion homo­sexuelle, ou même sur une « période trans­genre » où pour­raient être abor­dées les ques­tions d’identifications fémi­nine et virile. L’augmentation des tran­si­tions chez les ado­les­cents, sur­tout les filles, évoque pour cer­tains auteurs « les enjeux psy­chiques ren­con­trés dans l’anorexie men­tale. Il s’agit du même refus de la fémi­ni­té, de la haine du corps sexué, du même rejet ambi­va­lent de la figure mater­nelle » [6]. Tout ceci jus­ti­fie une approche nuan­cée et l’inscription dans un temps long.

Convoquée de répondre à cette souf­france, la méde­cine s’y emploie sou­vent par l’immédiateté. En s’orientant d’une éthique déon­to­lo­gique – c’est-à-dire axée sur les types d’actions mises en œuvre pour pro­po­ser une tran­si­tion médi­cale, et pas sur les consé­quences de ces actions –, ces réponses s’inscrivent du côté d’un devoir moral, et l’impératif caté­go­rique kan­tien n’est pas loin de cette posi­tion. L’éthique des consé­quences, celle qui oriente la psy­cha­na­lyse, pro­pose au contraire sa finesse à trai­ter le « sin­gu­lier dans son abso­lui­té » [7].

 

Première publi­ca­tion : L’Hebdo blog, n°268, 18 avril 2022.

 

[1] Miller J.-A., « La suture », Cahiers pour l’analyse, n° 1–2, 1966.

[2] 52es Journées de l’École de la Cause freu­dienne sur le thème « Je suis ce que je dis. Dénis contem­po­rains de l’inconscient », Paris, 19–20 novembre 2022.

[3] Miller J.-A., « L’inconscient et le corps par­lant », La Cause du désir, n° 88, novembre 2015, p. 114 : « Ce qui ne ment pas, c’est la jouis­sance, la ou les jouis­sances du corps parlant. »

[4] Miller J.-A., « L’orientation laca­nienne. Extimité » (1985–1986), ensei­gne­ment pro­non­cé dans le cadre du dépar­te­ment de psy­cha­na­lyse de l’université Paris 8, cours du 20 novembre 1985, inédit.

[5] Laurent É., « Les ques­tions des enfants trans », in Damase H., Roy D. & Sokolowsky L. (s/dir.), La Sexuation des enfants, Paris, Navarin, 2021, p. 158.

[6] Eliacheff C. & Masson C., La Fabrique de l’enfant-transgenre, Paris, L’observatoire, 2022, p. 37.

[7] Miller J.-A., « Nous sommes pous­sés par des hasards à droite et à gauche », La Cause freu­dienne, n° 71, juin 2009, p. 69.

Derniers articles

Les ateliers

Inscrivez-vous pour recevoir le Zapresse (les informations) et le Zappeur (la newsletter)

Le bulletin d’information qui vous renseigne sur les événements de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant et des réseaux « Enfance » du Champ freudien, en France et en Belgique et Suisse francophone

La newsletter

Votre adresse email est utilisée uniquement pour vous envoyer nos newsletters et informations concernant les activités de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant et du Champ freudien.