8e Journée d'Étude

Rêves et fantasmes chez l’enfant

samedi 22 mars 2025

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Suture antérieure

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L’auto­dé­ter­mi­na­tion de l’identité de genre se reven­dique pos­sible, à la dif­fé­rence de l’impossible repré­sen­ta­tion du sujet, telle que l’entend la psy­cha­na­lyse. Celle-ci vise à attra­per le sujet par le bout de l’identification, sachant que, quel que soit le signi­fiant sous lequel celui-ci est repré­sen­té, des­sous il y a un trou. La thèse de l’autodétermination rejette cette ins­crip­tion par l’identification, pré­fé­rant une ten­ta­tive de suture[1] de l’identité à soi. Cette visée du dis­cours trans s’inscrit dans le para­digme Je suis ce que je dis [2]. Malentendus, lap­sus et autres for­ma­tions de l’inconscient n’y ont aucun lieu ; l’Autre scène est évacuée.

À cette pre­mière ten­ta­tive de suture qui veut résor­ber le sujet dans l’individu, s’ajoute une seconde qui consti­tue l’autre pos­tu­lat : Je suis mon corps. Distinguons deux concep­tions où l’individu est son corps. L’une pri­vi­lé­gie un rap­port au corps d’avant l’image, à par­tir de « ce qui ne ment pas », la jouis­sance [3]. Ce corps « vrai » serait la réfé­rence de l’autodétermination d’une iden­ti­té de genre, qui vien­drait comme réponse à une expé­rience sin­gu­lière de trouble « res­sen­ti ». L’autre concep­tion s’appuie sur l’image du corps. Elle s’habille d’un natu­ra­lisme bio­lo­gi­sant, où s’exprime la convic­tion que nous sommes notre corps. Ce natu­ra­lisme réap­pa­raît alors en tant que mythe dont le sujet peut se compléter.

Ces deux moda­li­tés de suture, Je suis mon corps et Je suis ce que je dis, veulent écrire un nou­veau rap­port de l’individu à lui-même, et ain­si obtu­rer la « béance [au sein] de l’identité à soi » [4].

Les témoi­gnages de per­sonnes d’un genre qui n’est pas rac­cord avec leur sexe bio­lo­gique sont anciens. Le nou­veau vient de l’augmentation rapide et éten­due depuis quelques années du nombre de demandes de réas­si­gna­tion de sexe chez des enfants et ado­les­cents. Ces demandes se mani­festent d’ailleurs comme reven­di­ca­tions plu­tôt que comme requête. « Les enfants trans ont des réponses à leur souf­france d’habiter un corps sexué qui ne leur convient pas » [5].

Des hor­mones qui bloquent la puber­té et des chi­rur­gies de réas­si­gna­tion leur sont pro­po­sées comme réponses, fai­sant sou­vent fi pour ces enfants et ado­les­cents des consé­quences radi­cales de ces actes. Un diag­nos­tic pré­ma­tu­ré de dys­pho­rie de genre clôt alors à tort chez ces sujets un ques­tion­ne­ment sur une pos­sible orien­ta­tion homo­sexuelle, ou même sur une « période trans­genre » où pour­raient être abor­dées les ques­tions d’identifications fémi­nine et virile. L’augmentation des tran­si­tions chez les ado­les­cents, sur­tout les filles, évoque pour cer­tains auteurs « les enjeux psy­chiques ren­con­trés dans l’anorexie men­tale. Il s’agit du même refus de la fémi­ni­té, de la haine du corps sexué, du même rejet ambi­va­lent de la figure mater­nelle » [6]. Tout ceci jus­ti­fie une approche nuan­cée et l’inscription dans un temps long.

Convoquée de répondre à cette souf­france, la méde­cine s’y emploie sou­vent par l’immédiateté. En s’orientant d’une éthique déon­to­lo­gique – c’est-à-dire axée sur les types d’actions mises en œuvre pour pro­po­ser une tran­si­tion médi­cale, et pas sur les consé­quences de ces actions –, ces réponses s’inscrivent du côté d’un devoir moral, et l’impératif caté­go­rique kan­tien n’est pas loin de cette posi­tion. L’éthique des consé­quences, celle qui oriente la psy­cha­na­lyse, pro­pose au contraire sa finesse à trai­ter le « sin­gu­lier dans son abso­lui­té » [7].

 

Première publi­ca­tion : L’Hebdo blog, n°268, 18 avril 2022.

 

[1] Miller J.-A., « La suture », Cahiers pour l’analyse, n° 1–2, 1966.

[2] 52es Journées de l’École de la Cause freu­dienne sur le thème « Je suis ce que je dis. Dénis contem­po­rains de l’inconscient », Paris, 19–20 novembre 2022.

[3] Miller J.-A., « L’inconscient et le corps par­lant », La Cause du désir, n° 88, novembre 2015, p. 114 : « Ce qui ne ment pas, c’est la jouis­sance, la ou les jouis­sances du corps parlant. »

[4] Miller J.-A., « L’orientation laca­nienne. Extimité » (1985–1986), ensei­gne­ment pro­non­cé dans le cadre du dépar­te­ment de psy­cha­na­lyse de l’université Paris 8, cours du 20 novembre 1985, inédit.

[5] Laurent É., « Les ques­tions des enfants trans », in Damase H., Roy D. & Sokolowsky L. (s/dir.), La Sexuation des enfants, Paris, Navarin, 2021, p. 158.

[6] Eliacheff C. & Masson C., La Fabrique de l’enfant-transgenre, Paris, L’observatoire, 2022, p. 37.

[7] Miller J.-A., « Nous sommes pous­sés par des hasards à droite et à gauche », La Cause freu­dienne, n° 71, juin 2009, p. 69.

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