https://www.humanite.fr/en-debat/la-chronique-de-cynthia-fleury/les-paren-fants
La chronique de Cynthia Fleury, « Philosophie »
13 décembre 2023
Les paren-fants
Ce sont les dernières annonces dans la presse du ministère des Solidarités et des Familles : un plan à destination de la refonte « parentale », la responsabilisation des parents, voire leur sanction par des travaux d’intérêt général s’ils venaient à faillir, le monoparental en ligne de mire, les « pères déserteurs ».
L’affaire est ici principalement abordée par le versant sociologique… pour un versant plus « psychanalytique », l’Institut psychanalytique de l’enfant du champ freudien fait paraître, chez Navarin éditeur (2023), Enfants terribles et parents exaspérés, sous la direction de Valeria Sommer-Dupont et d’Yves Vanderveken. « ”Mais pourquoi je dois faire ça ? !“ proteste Mafalda, l’héroïne de Quino. “Parce que je suis ta mère”, lui rétorque-t-elle. Et Mafalda de riposter : ”Si c’est une question de titres, moi je suis Ta fille et nous avons été diplômées le même jour.“ »
Chacun reconnaîtra la verve astucieuse, et le début de la mauvaise foi, chez nos enfants. Car, si l’enfant fait le parent, il n’empêche que le temps de l’enfance existe bel et bien, et qu’il n’existe « pas d’enfance sans surmoi », comme le stipule Adriana Campos. « Loin de l’idée chère à la psychanalyse selon laquelle le sujet n’est pas constituant, mais constitué à partir de la chaîne signifiante (Jacques-Alain Miller), qu’il n’accède à sa subjectivité qu’en prenant appui sur le désir et la langue de l’Autre, il est aujourd’hui attendu des enfants qu’ils soient d’emblée eux-mêmes et que, sans influence externe, ils prennent à leur charge leurs déterminations. »
L’exclusive autodétermination de l’enfant est un fantasme dangereux pour lui et le reste de la société. « Il semble que l’exaspération et le terrible, écrivent les directeurs de ce volume, soient les signes d’un retour sauvage de quelque chose qui dépasse parents et enfants, et qui pourtant concerne chacun au plus près. » Dès 1938, Lacan analysait le déclin de l’imago paternelle, non sans dénoncer les effets délétères du père absolu, mais pour tenter de s’extirper de la mise à mort de toute autorité parentale.
Le temps de l’enfance est ce temps nécessaire à la construction d’un sujet en devenir, où s’expriment ses doutes, ses divisions subjectives, ses interrogations, « y compris sur son identité sexuée en construction ». Se faire « responsable de ce temps de questionnements lui donne l’occasion de développer son expérience et un rapport au savoir (cf. Lacan, le Séminaire, livre XVI) qui pourront orienter ses choix futurs ».
Pour autant, rappelons ce point pour éviter de croire que la famille est en crise. « C’est la crise qui se trouve au fondement même de la famille », affirme Daniel Roy, ce qui rend tout enfant structurellement terrible (jamais conforme au désir parental) et tout parent exaspéré face à la dimension impossible de toute parenté (le symbolique n’épuise pas le réel de l’existence).