Exaspération, du latin exasperatio : action de rendre âpre. Comment accueillir ce qui pétarade, fait du bruit dans une institution et irrite profondément les adultes ? C’est ce dont rend compte Bétina Frattura à partir d’un moment du quotidien avec des jeunes débridés dans un lieu d’accueil.
Le rappel des consignes du bien vivre ensemble aiguise l’invasion sonore. Comme il serait aisé de donner dans l’exaspération ! Or, pas question de céder à la réplique ou l’âpreté. C’est là la décision singulière de la praticienne après avoir marqué un temps dans un autre lieu. En ce laps, s’impose un acte : « dire que non[1]» en ne s’attaquant pas de front au problème.
Ainsi, Jacques-Alain Miller propose de « ne jamais oublier qu’il n’appartient pas à l’analyste d’être le gardien de la réalité sociale, qu’il a le pouvoir de réparer éventuellement un défaut du symbolique ou de réordonner la défense, mais que, dans les deux cas, son effet propre ne se produit que latéralement[2]». La praticienne change de ton, transforme le son en musique, et invite les jeunes dans une « petite pièce à musique » un peu encombrée. Son acte de parole produit un effet et attise la curioisté d’une jeune, puis deux… L’auteure propose ici « un travail possible en institution auprès des jeunes terribles. L’exaspération du désir ». Un pas est franchi, lequel ouvre à la conversation et à un « tu peux savoir » pour chacun. Là s’exaspère le désir et produit ce petit gain de satisfation dans le travail, terreau de la joie, « dans une liberté buissonnière par laquelle chacun tâche de vivre mieux l’ordre social et la violence des choses[3]».
[1] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 453.
[2] Miller J.-A., « Enfants violents », op.cit., p. 207.
[3] De Certeau M. L’invention du quotidien, l’art de faire, Accroche, Gallimard, 1990.