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Mental 51 – Les corps morcelés

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Présentation

L’envers de l’image

 

Partant d’une intui­tion cli­nique de Melanie Klein[1]Cf. Klein M., « Notes sur quelques méca­nismes schi­zoïdes », Essais de psy­cha­na­lyse, Paris, Payot, 1968, p. 68–89., Lacan fait du corps mor­ce­lé la condi­tion pri­mi­tive du corps du sujet, anté­rieure à toute uni­té ima­gi­naire[2]Cf. Lacan J., « Le stade du miroir comme for­ma­teur de la fonc­tion du Je telle qu’elle nous est révé­lée dans l’expérience psy­cha­na­ly­tique », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 97.. Le mor­cel­le­ment est le contre­champ de la forme uni­fiée du corps : il appa­raît dans les rêves et fan­tasmes, se lit dans le décou­page des symp­tômes hys­té­riques, se décèle en creux dans les for­ti­fi­ca­tions à la Vauban de l’obsessionnel, sur­git à ciel ouvert dans la schi­zo­phré­nie. Si la théo­rie klei­nienne le lie à l’action des pul­sions archaïques, il est, pour Lacan, l’effet du signi­fiant qui intro­duit une perte, dont les objets pul­sion­nels sont autant de restes[3]Cf. Lacan J., « De la psy­cha­na­lyse dans ses rap­ports avec la réa­li­té », Scilicet, no 1, mars 1968, p. 4.. Le corps est com­pa­rable à un « amas de pièces déta­chées[4]Miller J.-A., « Pièces déta­chées », La Cause freu­dienne, no 60, juin 2005, p. 158.», dont cer­taines sont éle­vées à la digni­té du signi­fiant – le phal­lus en étant l’exemple le plus émi­nent. Jacques-Alain Miller sou­ligne qu’à côté de cette signi­fian­ti­sa­tion du corps, la fin de l’enseignement de Lacan met l’accent sur la cor­po­ri­sa­tion du signi­fiant, qui pro­duit des effets d’affect et de jouis­sance, décou­pant le corps de l’être par­lant[5]Cf. Miller J.-A., « Biologie laca­nienne et évé­ne­ment de corps », La Cause freu­dienne, no 44, février 2000, p. 57.. Cette cor­po­ri­sa­tion, ajoute-t-il, est sus­cep­tible d’illustrations anthro­po­lo­giques, comme les marques et muti­la­tions rituelles, tan­dis qu’à l’heure du déclin des tra­di­tions, la cor­po­ri­sa­tion contem­po­raine est plu­tôt le siège d’inventions ori­gi­nales et mul­tiples, « qui tendent à répondre à la ques­tion “que faire de son corps ?”[6]Ibid., p. 58.»

Si l’on se situe au niveau des dis­cours, il est évident que les signi­fiants frag­mentent le corps de manière dif­fé­rente selon les moments de la civi­li­sa­tion. L’anthropologue David Le Breton, dont vous lirez l’entretien dans ce numé­ro de Mental, sou­ligne que dans la tra­di­tion chré­tienne, l’idée du dua­lisme entre l’âme et le corps était néan­moins dou­blée d’une indi­vi­sion, ce qui main­te­nait un inter­dit majeur sur l’ouverture des corps – jusqu’à ce que quelque chose se modi­fie suf­fi­sam­ment dans les dis­cours pour que les pre­miers ana­to­mistes s’autorisent à pas­ser outre. La science, parce qu’elle ne s’arrête pas à l’image de la belle forme du corps, ou à sa prise dans le signi­fiant, ouvre à la pos­si­bi­li­té d’opérer sur le réel de l’organisme[7]Cf. ibid., p. 11.

Depuis, les pro­grès de la méde­cine scien­ti­fique font exis­ter un corps tou­jours plus quan­ti­fiable, mesu­rable, un corps per­cé à jour par l’imagerie, seg­men­té par l’hyperspécialisation, répa­ré voire aug­men­té par les pro­thèses. Mais, der­rière ce corps objec­ti­vé – qui cor­res­pond à ce que Descartes concep­tua­li­sait comme l’étendue[8]Lacan J., « Psychanalyse et méde­cine », Lettres de l’École freu­dienne de Paris, no 1, 1967, p. 42. –, per­siste le corps sub­jec­ti­vé, dont le mor­cel­le­ment par le signi­fiant et la jouis­sance est pour cha­cun tou­jours sin­gu­lier. L’entretien avec le chi­rur­gien Hugues Pascal-Moussellard nous montre com­ment le méde­cin doit savoir faire avec les para­doxes qui se situent entre ces deux corps, en invi­tant, par exemple, le patient à nom­mer sa souf­france et sa demande avec ses propres mots, là où beau­coup tendent à se ran­ger sous des diag­nos­tics figés.

Le dis­cours de la science a intro­duit dans notre monde des pro­grès tech­niques et d’innombrables gad­gets qui se branchent sur les organes, notam­ment per­cep­tifs. La civi­li­sa­tion pro­met une aug­men­ta­tion du corps mais, comme l’indique Éric Laurent, cette ampli­fi­ca­tion devient elle aus­si « un mode de mor­cel­le­ment lorsque l’organe sup­plé­men­taire fait défaut ou lorsque le corps vient à man­quer à la machine, empê­ché ou blo­qué par des embar­ras[9]Laurent É., « Le corps mor­ce­lé par ses organes », dans ce numé­ro de Mental, p. 11.». Alors, l’angoisse ne manque pas de sur­gir, signant que le corps humain échoue­ra tou­jours à faire couple avec la machine.

« Le corps des par­lants est sujet à se divi­ser de ses organes, assez pour avoir à leur trou­ver fonc­tion[10]Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 456.», énonce Lacan dans « L’étourdit ». Quand on se situe au niveau du corps vrai, affec­té par le lan­gage, la fonc­tion des organes peut en effet se perdre « dans un excès d’émois[11]Laurent É., « Le corps mor­ce­lé par ses organes », op. cit., p. 16.». Ce numé­ro explore ain­si une cli­nique très actuelle : corps débor­dés par l’agitation ou déser­tés par le désir, corps fati­gués ou mis à l’épreuve dans le sport extrême, corps exhi­bés, corps addicts… Ces symp­tômes ne peuvent être lus ni trai­tés qu’à la lumière de la jouis­sance, cor­ré­la­tive du cri­blage [12]Cf. Lacan J., « Le phé­no­mène laca­nien », Essaim, no 35, 2015, p. 153.du corps par le signi­fiant. L’enjeu d’une ana­lyse est dès lors que le sujet puisse s’en faire res­pon­sable, sans cher­cher à en recol­ler tous les morceaux.

Alice Delarue est psy­cha­na­lyste, membre de l’École de la Cause freudienne

Sommaire
Éditorial

L’envers de l’image – Alice Delarue

Effets des discours
Le corps mor­ce­lé par ses organes – Éric Laurent
Partenaire de notre temps – Jean-Pierre Deffieux
Corps ver­sus machine – Hervé Castanet
La machine déran­gée – Quentin Dumoulin

Entretien avec David Le Breton
Explorer le corps

Corps agi­tés, corps désertés
Tout le monde est fati­gué – Dalila Arpin
L’extrême dans le sport – Mauricio Diament
Rompre avec le corps – Jean-Marc Josson
L’éveil – De l’excès à la dupe­rie – Andrea Orabona
J’appartiens à mon corps – Sarah Abitbol
Nouveaux symp­tômes dans les ser­vices de méde­cine – Sarah Camous-Marquis

Dénouages
Mobiliser le vivant – Anne Colombel-Plouzennec
Transfert d’appareil – Ariane Fournier
Pour une cli­nique du corps qui échappe – Carlo De Panfilis
Êtres de parole dans des corps cabos­sés – Élise Etchamendy

Entretien avec Hugues Pascal-Moussellard
Un superbe geste

Faire oeuvre du corps
Le corps et l’écriture dans le der­nier Pasolini – Claudia González
Le corps qui fait – Esperanza Molleda
Impossible d’escaboter – Guy Briole

Corps ana­ly­sants
Être aver­ti de sa mécon­nais­sance – Neus Carbonell
La véri­table cause de la réa­li­té psy­chique – Dossia Avdelidi

Cas cli­niques
Les deux corps de Monsieur N. – Philippe Hellebois
La livre de chair – Marina Frangiadaki
Du No sé au No-Sí – Rocío Cid

Lectures
Le sublime et la gue­nille – Nelson Hellmanzik
L’imprévisible – Gustavo Freda
La pauvre créa­ture de la science fait sa révo­lu­tion – Carole Niquet
De la double vie à la seconde mort – Serena Guttadauro-Landriscini
Étrangèreté – Isabelle Orrado
Se dés­in­car­ner : de végé­ta­rienne à végé­tal – Carla Antonucci
Un reste à dire – Olivia Bellanco

Notes

Notes
1 Cf. Klein M., « Notes sur quelques méca­nismes schi­zoïdes », Essais de psy­cha­na­lyse, Paris, Payot, 1968, p. 68–89.
2 Cf. Lacan J., « Le stade du miroir comme for­ma­teur de la fonc­tion du Je telle qu’elle nous est révé­lée dans l’expérience psy­cha­na­ly­tique », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 97.
3 Cf. Lacan J., « De la psy­cha­na­lyse dans ses rap­ports avec la réa­li­té », Scilicet, no 1, mars 1968, p. 4.
4 Miller J.-A., « Pièces déta­chées », La Cause freu­dienne, no 60, juin 2005, p. 158.
5 Cf. Miller J.-A., « Biologie laca­nienne et évé­ne­ment de corps », La Cause freu­dienne, no 44, février 2000, p. 57.
6 Ibid., p. 58.
7 Cf. ibid., p. 11
8 Lacan J., « Psychanalyse et méde­cine », Lettres de l’École freu­dienne de Paris, no 1, 1967, p. 42.
9 Laurent É., « Le corps mor­ce­lé par ses organes », dans ce numé­ro de Mental, p. 11.
10 Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 456.
11 Laurent É., « Le corps mor­ce­lé par ses organes », op. cit., p. 16.
12 Cf. Lacan J., « Le phé­no­mène laca­nien », Essaim, no 35, 2015, p. 153.

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