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Enfant violent ou poupée tueuse ?

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L’affiche de cette Journée « Enfants vio­lents », n’est-elle pas sub­ver­sive ? Là où nous aurions pu nous attendre à un gar­çon bagar­reur, c’est une fillette qui nous tourne le dos, por­tant au bras une peluche à la bouche énorme ornée de grandes dents, les yeux vides et des griffes aux pattes. Dans le miroir se reflète le doux visage de l’enfant, sur fond de motifs de « Sophie la girafe ». Mais qui pour­rait bien être cette fillette ? Que dire de cette peluche effrayante ?

Cette pou­pée serait-elle l’ancêtre de Draculaura, une des pou­pées : Monstre-High muti­lée et défi­gu­rée, der­nier jouet ins­pi­ré des films d’hor­reurs et de créa­tures mons­trueuses ? De la peluche à la pou­pée il n’y a qu’un pas dans le monde fic­tion­nel de l’enfance et de l’adolescent. Les jouets tueurs fas­cinent les spec­ta­teurs. Tout com­mence avec Les Poupées du Diable, sor­ti en 1936, ce long-métrage est à la fois déli­cat – visage angé­lique de l’actrice, réduc­tion des per­son­nages – et flip­pant. S’ensuivront Teddy, la mort en peluche, Annabelle, pou­pée en por­ce­laine han­tée, Chucky la pou­pée de sang à la recherche du corps d’un enfant à posséder.

Nous assis­tons là à une belle inver­sion. Et si la pou­pée tueuse d’enfant trou­vait son ori­gine dans les jeux de l’enfant avec sa pou­pée ? Ainsi l’enfant deve­nu ado­les­cent regarde avec plai­sir et effroi ces films d’horreur met­tant en scène des pou­pées cruelles, l’envers de ses agis­se­ments sur sa pou­pée ou sa peluche pré­fé­rée. Lacan déplie la thèse selon laquelle « l’agressivité […] nous est don­née comme inten­tion d’agression et comme image de dis­lo­ca­tion cor­po­relle »[1]Lacan J., « L’agressivité en psy­cha­na­lyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p.103., rap­pe­lant les thé­ma­tiques des jeux des enfants entre deux et cinq ans : arra­cher la tête et cre­ver le ventre de la pou­pée démantibulée.

Sophie Rostopchine, com­tesse de Ségur, raconte ses mal­heurs de fillette de cinq ans. La pou­pée de cire de Sophie va d’abord deve­nir aveugle, ses yeux ayant fon­du au soleil, puis chauve, déman­ti­bu­lée, sus­pen­due par les bras à une ficelle. Après un bain dans une eau bouillante, elle se trouve sans pied. Un jour vou­lant l’asseoir sur une branche, « la tête frap­pa contre des pierres et se cas­sa en cent mor­ceaux. Sophie ne pleu­ra pas, mais elle invi­ta ses amies à venir enter­rer sa pou­pée ». [2]Comtesse de Ségur, (1858) Les mal­heurs de Sophie, Paris, Gallimard Jeunesse, 2016, p. 17.

J.-A. Miller pré­cise que « la vio­lence n’est pas un sub­sti­tut de la pul­sion, elle est la pul­sion […], du côté de Thanatos »[3]Miller J.-A., « Enfants vio­lents », Après l’enfance, Paris, Navarin, coll. La petite Girafe, 2017, p. 200. qui « délie, frag­mente […] même épar­pille façon puzzle ».[4]Ibid. p. 201. Dans ces mal­heurs, Sophie expé­ri­mente cette frag­men­ta­tion : elle découpe avec grand plai­sir les petits pois­sons de sa maman avec le petit cou­teau en écaille offert par son père. C’est aus­si à une abeille qu’elle réserve ce même sort : « je vais lui cou­per la tête, se dit-elle, pour la punir de toutes les piqûres qu’elle a faites ».[5]Comtesse de Ségur, « Les mal­heurs de Sophie, op. cit., p. 43. Freud nous enseigne la com­po­sante cruelle de la pul­sion sexuelle : « Le carac­tère infan­tile est en géné­ral faci­le­ment por­té à la cruau­té, car l’obstacle qui arrête la pul­sion d’emprise devant la dou­leur de l’autre : la capa­ci­té de com­pa­tir, se forme rela­ti­ve­ment tard ».[6]Freud S., « La sexua­li­té infan­tile », Trois essais sur la théo­rie sexuelle, Paris, Folio Essais, 1989, p. 121. La pou­pée tueuse serait-elle alors une autre étape de la cruau­té avant la bar­rière de la pitié ?

Valérie Bussières

Notes

Notes
1 Lacan J., « L’agressivité en psy­cha­na­lyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p.103.
2 Comtesse de Ségur, (1858) Les mal­heurs de Sophie, Paris, Gallimard Jeunesse, 2016, p. 17.
3 Miller J.-A., « Enfants vio­lents », Après l’enfance, Paris, Navarin, coll. La petite Girafe, 2017, p. 200.
4 Ibid. p. 201.
5 Comtesse de Ségur, « Les mal­heurs de Sophie, op. cit., p. 43.
6 Freud S., « La sexua­li­té infan­tile », Trois essais sur la théo­rie sexuelle, Paris, Folio Essais, 1989, p. 121.

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