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Se construire un monde

Argument JIE8
Rêves et fantasmes chez l’enfant

Par Angèle Terrier
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Les rêves et les fan­tasmes relèvent de l’inconscient de l’enfant. Mais de quoi sont-ils faits ? À quoi servent-ils ? Sont-ils des corps étran­gers[1]Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XIV, La Logique du fan­tasme, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil / Le Champ freu­dien, 2023, p. 390. ou permettent-ils de conti­nuer à dor­mir ? « L’inconscient, c’est très exac­te­ment l’hypothèse qu’on ne rêve pas seule­ment quand on dort[2]Lacan J., Le Séminaire, livre XXV, « Le moment de conclure », leçon du 15 novembre 1977, Ornicar ?, n°19, automne 1979, p. 5. », indique Lacan. Si Freud situe la mise en place de l’inconscient après le refou­le­ment de la sexua­li­té infan­tile, avec Lacan la psy­cha­na­lyse s’oriente du réel qui fait trou, indi­cible, auquel tout par­lêtre est confron­té. Elle ouvre dès lors sur une autre défi­ni­tion de l’inconscient, l’inconscient réel, « comme l’impossible à sup­por­ter[3]Miller J.-A., « Préface », in Bonnaud H., L’Inconscient de l’enfant. Du symp­tôme au désir de savoir, Paris, Navarin/Le Champ freu­dien, 2013, p. 9. ». S’intéresser à ces deux termes, rêves et fan­tasmes, chez l’enfant est une invi­ta­tion à s’enseigner sur la façon dont le sujet se défend du réel. Il s’agira donc lors de cette 8e jour­née de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’Enfant du Champ freu­dien d’explorer com­ment les rêves et les fan­tasmes indexent un réel pul­sion­nel ain­si que des moments de consti­tu­tion sub­jec­tive. Il sera éga­le­ment ques­tion de décou­vrir com­ment le sujet naît à la réa­li­té et au désir[4]Cf. Roy D., « Rêves et fan­tasmes chez l’enfant », dis­po­nible sur le site de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’Enfant du Champ freu­dien., selon la for­mule de Daniel Roy dans son texte de présentation.

Réalité

Les enfants aiment à s’inventer des mondes, allant de la cabane accro­chée dans un arbre ou dans la chambre, en pas­sant de la mai­son de pou­pée à ceux explo­rés dans les jeux vidéo, autant de signes de « sta­bi­tat qu’est le lan­gage[5]Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 474. » dans lequel chaque sujet se loge sin­gu­liè­re­ment. En séance ou dans l’institution qui l’accueille, le jeune patient vient bien sou­vent avec de menus objets dans la main ou dans la poche qui appar­tiennent à ses uni­vers de pré­di­lec­tion. Les accueillir comme signi­fiants, intro­duire dans ce monde la pré­sence de l’analyste comme élé­ment nou­veau[6]Cf. Miller J.-A., « La matrice du trai­te­ment de l’enfant au loup », La Cause freu­dienne, n°66, mai 2007, p. 141–151. fait naître le trans­fert et per­met qu’il opère.

« Comment l’enfant sort[-il] de la satis­fac­tion […] pour se construire un monde[7]Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les Formations de l’inconscient, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1998, p. 461. », inter­roge Lacan. Répondant à Donald Winnicott, il sou­ligne que c’est dans l’écart entre la mani­fes­ta­tion du besoin et sa tra­duc­tion signi­fiante que le champ du désir s’ouvre pour l’enfant. Celui-ci se situe dans un au-delà de la demande, consé­quence de la satis­fac­tion du besoin par la mère, sujet par­lant précise-t-il. Lacan s’intéresse aux tra­vaux de Melanie Klein et Donald Winnicott sur les sys­tèmes fan­tas­ma­tiques du nour­ris­son pour s’atteler à défi­nir com­ment le signi­fiant arti­cule la réa­li­té. Cette der­nière « se construit selon Freud sur fond d’hallucination préa­lable[8]Lacan J, Le Séminaire, livre VI, Le Désir et son inter­pré­ta­tion, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, La Martinière/Le Champ freu­dien, 2013, p. 85. ». C’est parce que l’hallucination échoue, au terme du pro­ces­sus pri­maire, à satis­faire le besoin que le prin­cipe de réa­li­té dans le pro­ces­sus secon­daire est convo­qué. Jacques-Alain Miller note qu’il y a, dans la pra­tique avec les enfants, des cas « où il y a une sorte de break down du pro­ces­sus secon­daire[9]Miller J.-A., « Interpréter l’enfant », in Roy D. (s/dir.), Interpréter l’enfant, Paris, Navarin, 2015, p. 24. », invi­tant à mettre au tra­vail la manière dont la psy­cha­na­lyse enseigne une cer­taine manœuvre de l’hallucination[10]Cf. ibid..

Rêve

Pour Freud le rêve est la réa­li­sa­tion d’un désir hal­lu­ci­né comme chez la petite Anna qui, à dix-neuf mois, au cours de son som­meil, énonce, dans une série de nomi­na­tions, ce dont elle a été pri­vée la veille pour cause de diète : « Anna F.eud, f.aises, g.osses f.aises, flan, bouillie ![11]Freud S., L’Interprétation des rêves, Paris, PUF, 1987, p. 120. » Lacan est atten­tif à la struc­tu­ra­tion signi­fiante du rêve et pré­ci­sé­ment au fait qu’elle se nomme dans la série, signe de son usage du sym­bo­lique : « Ce qu’il s’agit alors de faire jaillir [pour elle], c’est la réa­li­té de la satis­fac­tion en tant qu’interdite.[12]Lacan J, Le Séminaire, livre VI, Le Désir et son inter­pré­ta­tion, op. cit., p. 94. » Si le rêve comme pro­duc­tion du sujet par­ti­cipe à l’avènement du désir, aus­si « chaque fois qu’un désir est réa­li­sé, il y a un effet de rêve[13]Cf. Miller J.-A., « D’un regard, l’étrangeté », La Cause du désir, n°102, juin 2019, p. 53. », relève J.-A. Miller. En revanche, l’ombilic du rêve indique la part de jouis­sance indi­cible qui lui est inhé­rente, pre­nant sa valeur maxi­male dans le cau­che­mar qui, lui, réveille. Le rêve est une défense contre le réel qui se mani­feste dans le cau­che­mar. En témoigne ce pré-adolescent réti­cent à par­ler de son cau­che­mar au pra­ti­cien qui le reçoit – indice d’un réel trop pré­sent, qui échoue à se lais­ser cap­tu­rer, nom­mer, dans la fic­tion du récit. L’angoisse se mani­feste dans les cau­che­mars, les ter­reurs noc­turnes, le som­nam­bu­lisme qui sai­sissent le corps de l’enfant en le confron­tant à une jouis­sance obs­cure sur­gis­sant au lieu de l’Autre, qui inquiètent et mobi­lisent les réponses des parents.

Histoires

Les parents lisent des his­toires aux enfants pour qu’ils s’endorment fai­sant alors usage du signi­fiant comme « cata­plasme, onguent, médi­ca­ment[14]Miller J.-A., « Préface », op. cit., p. 9. ». Parce qu’il n’a pas de rap­port à la chose mais seule­ment à un autre signi­fiant, le « signi­fiant irréa­lise le monde[15]Miller J.-A., « Clinique iro­nique », La Cause freu­dienne, n°23, février 1993, p. 9. », sou­ligne J.-A. Miller, poin­tant là l’effet de fic­tion de la parole. La « scène sur laquelle nous fai­sons mon­ter ce monde […], c’est la dimen­sion de l’histoire[16]Lacan J. Le Séminaire, livre X, L’Angoisse, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 44. », enseigne Lacan. Ainsi, les enfants ont accès au monde à par­tir des his­toires qui leur sont racon­tées et qu’ils s’inventent à leur tour, situant dès lors dans l’Autre ce qui leur est étran­ger. Au début de son ensei­gne­ment, Lacan montre que ce qui donne forme au corps, à savoir son image, est aus­si ce qui donne forme au monde – il le reprend dans ses der­niers Séminaires en énon­çant que l’« amour-propre est le prin­cipe de l’imagination[17]Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 66. ».

Une petite fille âgée de trois ans, reçue avec sa mère dans une ins­ti­tu­tion, ini­tie un jeu de cache-cache quand elle entend cette der­nière par­ler d’elle. Les objets pul­sion­nels sont mis en cir­cu­la­tion dans une say­nète où elle doit se pro­té­ger du regard du loup qui veut la dévo­rer. C’est en se fai­sant repré­sen­ter par des signi­fiants que le sujet s’extrait de sa posi­tion fon­da­men­tale d’objet a. Les rêves et les fan­tasmes de l’enfant indexent ces moments « de trans­for­ma­tion de l’objet a en $[18]Miller J.-A., « Développement et struc­ture dans la direc­tion de la cure », La Petite Girafe, n°30, octobre 2009, p. 9. » qui trouvent à se déployer dans les fic­tions et dans la ren­contre trans­fé­ren­tielle. C’est en se fai­sant docile aux fan­tai­sies, aux pan­to­mimes de l’enfant que l’acte de l’analyste pour­ra opérer.

Les rêves et les fan­tasmes relèvent de l’accomplissement d’un désir, mais ils dif­fèrent dans leur rap­port au réel : le rêve le convoque là où le fan­tasme le masque par la fic­tion du lien sexuel. Considérer le temps logique propre à l’enfance en fai­sant toute sa place à l’inconscient de l’enfant est l’enjeu poli­tique, cli­nique et épis­té­mique de cette journée.

 

Notes

Notes
1 Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XIV, La Logique du fan­tasme, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil / Le Champ freu­dien, 2023, p. 390.
2 Lacan J., Le Séminaire, livre XXV, « Le moment de conclure », leçon du 15 novembre 1977, Ornicar ?, n°19, automne 1979, p. 5.
3 Miller J.-A., « Préface », in Bonnaud H., L’Inconscient de l’enfant. Du symp­tôme au désir de savoir, Paris, Navarin/Le Champ freu­dien, 2013, p. 9.
4 Cf. Roy D., « Rêves et fan­tasmes chez l’enfant », dis­po­nible sur le site de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’Enfant du Champ freu­dien.
5 Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 474.
6 Cf. Miller J.-A., « La matrice du trai­te­ment de l’enfant au loup », La Cause freu­dienne, n°66, mai 2007, p. 141–151.
7 Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les Formations de l’inconscient, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1998, p. 461.
8 Lacan J, Le Séminaire, livre VI, Le Désir et son inter­pré­ta­tion, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, La Martinière/Le Champ freu­dien, 2013, p. 85.
9 Miller J.-A., « Interpréter l’enfant », in Roy D. (s/dir.), Interpréter l’enfant, Paris, Navarin, 2015, p. 24.
10 Cf. ibid.
11 Freud S., L’Interprétation des rêves, Paris, PUF, 1987, p. 120.
12 Lacan J, Le Séminaire, livre VI, Le Désir et son inter­pré­ta­tion, op. cit., p. 94.
13 Cf. Miller J.-A., « D’un regard, l’étrangeté », La Cause du désir, n°102, juin 2019, p. 53.
14 Miller J.-A., « Préface », op. cit., p. 9.
15 Miller J.-A., « Clinique iro­nique », La Cause freu­dienne, n°23, février 1993, p. 9.
16 Lacan J. Le Séminaire, livre X, L’Angoisse, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 44.
17 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 66.
18 Miller J.-A., « Développement et struc­ture dans la direc­tion de la cure », La Petite Girafe, n°30, octobre 2009, p. 9.

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