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Le TDAH ou l’avenir d’une illusion

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Les enfants por­teurs du diag­nos­tic de TDAH sont de plus en plus nom­breux. L’enfance s’a­gite. Dans la famille, à l’é­cole, l’en­fance bouge sans cesse. Pourtant, la pré­va­lence de ce diag­nos­tic fait l’ob­jet d’in­tenses débats au niveau inter­na­tio­nal. Le TDAH est-il le nou­veau mal du siècle ou fait-il illu­sion ? Sébastien Ponnou, Enseignant-Chercheur à l’Université Maître de confé­rences en sciences de l’éducation à l’Université de Rouen Normandie, au Centre Interdisciplinaire de Recherche Normand en Education et Formation (CIRNEF – EA 7454) a accep­té de répondre aux ques­tion de nos col­lègues du Centre Interdisciplinaire sur l’Enfant, Claire Piette (Bruxelles), Claire Brisson (Saint Malo) et Nicole Borie (Lyon). du @-trait du CIEN. Voici ce qui est res­sor­ti de cet échange*. 

Les cri­tères diag­nos­tiques du Trouble défi­ci­taire de l’attention avec ou sans hyper­ac­ti­vi­té (TDAH) sont défi­nis pour la pre­mière fois dans le Manuel diag­nos­tique et sta­tis­tique des troubles men­taux (DSM-III) en 1980, à par­tir d’une triade de symp­tômes : défi­cit d’attention asso­cié ou non à de l’impulsivité exces­sive et à de l’hyperactivité. Le TDAH est consi­dé­ré comme le trouble men­tal le plus fré­quent chez les enfants d’âge sco­laire : pour cette rai­son, il a don­né lieu à des mil­liers de recherches au niveau inter­na­tio­nal. Les études ini­tiales des années 1990 sug­gé­raient l’existence d’une étio­lo­gie neu­ro­lo­gique et géné­tique du TDAH, et sou­te­naient la pro­chaine mise au point de tests par ima­ge­rie céré­brale sus­cep­tibles de contri­buer au diag­nos­tic. Cependant, les recherches et les méta-analyses réa­li­sées par la suite ont radi­ca­le­ment réfu­té l’implication des fac­teurs neu­ro­lo­giques, neuro-développementaux ou géné­tiques dans le cas de l’hyperactivité, ou la pos­si­bi­li­té de diag­nos­ti­quer le TDAH par ima­ge­rie céré­brale. Plus encore, les études en neu­ro­bio­lo­gie ou géné­tiques du TDAH se sont révé­lées si incon­sis­tantes et contra­dic­toires que l’hypothèse d’une étio­lo­gie bio­lo­gique dimi­nue à mesure que les études pro­gressent[1].

La pré­va­lence du TDAH : Une étude de pré­va­lence per­met d’observer la fré­quence de sur­ve­nue d’un phé­no­mène de san­té dans une popu­la­tion : c’est la pho­to­gra­phie du nombre de cas pour une patho­lo­gie, à un moment don­né. Tandis qu’aucun cas de TDAH n’était réper­to­rié en France avant les années 1990, les taux de sur­ve­nue de ce trouble ont subi­te­ment atteint des niveaux pan­dé­miques : un enfant par classe, puis un enfant sur 10. En France, le diag­nos­tic d’hyperactivité n’a com­men­cé à émer­ger qu’après la mise sur le mar­ché du trai­te­ment médi­ca­men­teux par MPH, en 1995. Aucun mar­queur bio­lo­gique ne per­met­tant de confir­mer le diag­nos­tic de TDAH, celui-ci ne peut pas être consi­dé­ré comme une mala­die, mais comme une « construc­tion heu­ris­tique »[2]. Or, cette heu­ris­tique semble pour le moins sus­pecte dans la mesure où elle a part liée à la com­mer­cia­li­sa­tion de la molé­cule répu­tée – à tort – gué­rir l’hyperactivité. Le TDAH sup­porte ce ren­ver­se­ment extra­or­di­naire des logiques cli­niques et médi­cales clas­siques[3] : il ne s’agit plus de trou­ver un trai­te­ment sus­cep­tible de gué­rir la mala­die, ou d’inventer une thé­ra­peu­tique qui sou­lage la souf­france du patient, mais de construire le cadre noso­gra­phique le plus adap­té à l’usage d’une molé­cule déterminée.

Faute d’étiologie ou de test bio­lo­gique per­met­tant d’identifier ou de confir­mer le diag­nos­tic d’hyperactivité, les esti­ma­tions de pré­va­lence font l’objet d’intenses débats au niveau inter­na­tio­nal. En 2012, Le taux de pré­va­lence du TDAH était de 10% aux États-Unis mais infé­rieur à 1% en Grande-Bretagne. Y com­pris aux États-Unis, la pré­va­lence du TDAH varie consi­dé­ra­ble­ment selon les États : en 2007, une étude esti­mait le taux d’enfants atteints de TDAH à 5,6 % au Nevada et à 14,3 % en Alabama. Au-delà des dif­fé­rences démo­gra­phiques et cultu­relles, les varia­tions de pré­va­lence au niveau inter­na­tio­nal – entre 0,4 % et 16,6 % – sont déter­mi­nées par le type de méthode uti­li­sée. En France, la seule étude dis­po­nible a été finan­cée par l’industrie du médi­ca­ment (le labo­ra­toire Shire®, qui com­mer­cia­lise l’une des ver­sions les plus répan­dues de MPH). Cette étude conclut à une pré­va­lence éle­vée – entre 3,5 et 5,6 % en 2008 – alors même que les don­nées four­nies à l’ap­pui de cette conclu­sion sont très contes­tables. En effet, ces chiffres sont basés sur une enquête télé­pho­nique délé­guée à un ins­ti­tut de son­dage, réa­li­sée auprès des parents par des opé­ra­teurs non spé­cia­listes, for­més sur le tas. Or, com­ment déter­mi­ner si un enfant peut être ou non diag­nos­ti­qué hyper­ac­tif sans jamais l’avoir ren­con­tré ni même lui avoir par­lé ! L’analyse des bases de don­nées de san­té a effec­ti­ve­ment per­mis de mon­trer des contra­dic­tions, des inco­hé­rences et une sur­es­ti­ma­tion mani­feste des don­nées de cette enquête ini­tiale, remet­tant radi­ca­le­ment en cause les résul­tats pré­sen­tés. Le pro­blème reste que cette étude fait aujourd’hui réfé­rence auprès des pou­voirs publics, et oriente les poli­tiques de san­té à des­ti­na­tion des enfants et des ado­les­cents[4].

Les recom­man­da­tions : Concernant le trai­te­ment du TDAH, les recom­man­da­tions varient selon les pays. Ainsi, en Amérique du Nord, le trai­te­ment médi­ca­men­teux est recom­man­dé en pre­mière inten­tion, pour les enfants âgés de six ans au moins. En revanche, dans la majo­ri­té des pays euro­péens, une approche psy­cho­thé­ra­peu­tique, édu­ca­tive et sociale est offi­ciel­le­ment pré­fé­rée. La médi­ca­tion y est en prin­cipe réser­vée aux cas les plus sévères. En 2012, par­mi les médi­ca­ments dédiés au TDAH, ceux à base de MPH étaient de loin les plus pres­crits dans les pays euro­péens. Aux USA, le MPH ne repré­sente que la moi­tié des pres­crip­tions et ceux à base d’amphétamine comptent pour 35%[5].

En France, la seule molé­cule auto­ri­sée pour le trai­te­ment du TDAH est le MPH. Elle est com­mer­cia­li­sée sous forme simple (Ritaline®) ou sous forme retard (Ritaline-LP®, Concerta®, Quasym®, Medikinet®). L’effet béné­fique, et en appa­rence para­doxal du trai­te­ment s’explique par le fait que les psy­cho­sti­mu­lants aug­mentent l’attention. L’atténuation des symp­tômes hyper­ac­tif et impul­sif serait la consé­quence d’une capa­ci­té d’attention plus sou­te­nue. Le MPH est indi­qué chez l’enfant à par­tir de 6 ans « lorsque les mesures cor­rec­tives psy­cho­lo­giques, édu­ca­tives, sociales et fami­liales seules s’avèrent insuf­fi­santes »[6]. Jusqu’en sep­tembre 2021, la pres­crip­tion de MPH était sou­mise à un enca­dre­ment et à des condi­tions de déli­vrance stricts : pres­crip­tion ini­tiale et renou­vel­le­ments annuels réa­li­sés en milieu hos­pi­ta­lier par des méde­cins spé­cia­listes, renou­vel­le­ments men­suels sur ordon­nance sécu­ri­sée, iden­ti­fi­ca­tion du phar­ma­cien exé­cu­tant l’ordonnance[7].

Prescriptions : Nous avons récem­ment ana­ly­sé le pat­tern de consom­ma­tion du MPH dans les bases de don­nées de la Sécurité sociale, auprès de 87 % de la popu­la­tion fran­çaise. Le pre­mier constat concerne l’augmentation pré­oc­cu­pante de la consom­ma­tion de MPH en France depuis le début des années 2000.

Entre 2010 et 2019, la pres­crip­tion a aug­men­té de +56 % en inci­dence et de +116 % en pré­va­lence. Cette aug­men­ta­tion s’inscrit dans un conti­nuum, puisque de pré­cé­dentes études fai­saient déjà états d’un accrois­se­ment de +65% entre 2003 et 2005, puis +135% entre 2005 et 2011.

Au-delà de cette aug­men­ta­tion de la pres­crip­tion, nous obser­vons des durées de consom­ma­tion par­ti­cu­liè­re­ment longues : la durée médiane de trai­te­ment chez les enfants de 6 ans en 2011 était de 5,5 ans, et jusqu’à plus de 8 ans pour 25% d’entre eux. Les enfants les plus jeunes sont ceux pour les­quels les durées de trai­te­ment sont les plus longues. Cette consom­ma­tion concerne essen­tiel­le­ment les gar­çons (82,5 % à 80,8 % au fil de la période).

Plus encore, l’analyse des bases de don­nées de san­té pointe une mise à mal sys­té­ma­tique des obli­ga­tions régle­men­taires de pres­crip­tion : les diag­nos­tics asso­ciés à la pres­crip­tion de MPH ne cor­res­pondent pas tou­jours à l’indication thé­ra­peu­tique, ni à l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM). Parmi les enfants rece­vant une pre­mière pres­crip­tion de MPH, 22,8 % se sont vus pres­crire un ou plu­sieurs autres médi­ca­ments psy­cho­tropes dans la même année. Ces co-prescriptions ont été, le plus sou­vent, hors AMM et hors recom­man­da­tion. Un quart des ini­tia­tions et la moi­tié des renou­vel­le­ments ont été réa­li­sés hors de l’hôpital, donc hors de la recom­man­da­tion des auto­ri­tés de san­té. La dis­tri­bu­tion de la consom­ma­tion sug­gère un rôle pré­pon­dé­rant d’une mino­ri­té de pra­ti­ciens et de ser­vices hos­pi­ta­liers dans la pres­crip­tion de MPH. Le sui­vi édu­ca­tif et psy­cho­thé­ra­peu­tique par les CMPP a for­te­ment dimi­nué entre 2010 et 2019 pour les enfants rece­vant du méthyl­phé­ni­date (de 4,1 % à 0,8 %).

Les enfants et les ado­les­cents les plus jeunes de leur classe ont plus de risque de se voir pres­crire du MPH (+54 % en moyenne au fil de la période). Pourtant, il semble nor­mal que les capa­ci­tés d’attention des enfants les plus jeunes de leur classe soient poten­tiel­le­ment moins sou­te­nues que celle de leurs cama­rades plus âgés, sans que cette obser­va­tion n’engage de conclu­sion en termes de patho­lo­gie, de han­di­cap ou de médi­ca­tion. De même, les enfants issus de milieux défa­vo­ri­sés pré­sentent un risque accru de médication.

Selon plu­sieurs études amé­ri­caines ayant sui­vi de très larges cohortes d’enfants pen­dant des années, le trai­te­ment par psy­cho­sti­mu­lants ne pré­sente aucun béné­fice à long terme sur les risques d’échec sco­laire, de délin­quance et de toxi­co­ma­nie asso­ciés au TDAH[8]. A prio­ri, le MPH pré­sente peu d’effets indé­si­rables à court terme, mais ses effets à long terme sont lar­ge­ment mécon­nus. L’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des pro­duits de san­té (ANSM) fait état d’une liste rela­ti­ve­ment impor­tante d’effets indé­si­rables. A titre indi­ca­tif et non exhaus­tif : troubles du som­meil, amai­gris­se­ment, risques d’aggravation de patho­lo­gies psy­chia­triques et de pas­sage à l’acte vio­lents ou sui­ci­daires, risques avé­rés de mala­dies car­dio­vas­cu­laires et céré­bro­vas­cu­laires, mort subite d’origine car­diaque, infarc­tus du myo­carde aigu, et acci­dent vas­cu­laire céré­bral[9].

Biais scien­ti­fiques et média­tiques : Il existe de mul­tiples biais scien­ti­fiques, des biais média­tiques,  des dis­tor­sions et des conflits d’intérêts docu­men­tés dans le cas du TDAH[10]. Le cas le plus fla­grant de fraude scien­ti­fique concer­nant l’hyperactivité est sans doute l’étude de Dougherty et col­lègues, publiée en 1999 dans la pres­ti­gieuse revue The Lancet. Celle-ci concluait que le taux céré­bral du trans­por­teur de la dopa­mine est plus éle­vé de 70 % chez les patients hyper­ac­tifs. Le trans­por­teur de la dopa­mine est une pro­téine mem­bra­naire qui régule la neu­ro­trans­mis­sion met­tant en jeu la dopa­mine. Cet article a été lar­ge­ment cou­vert par la lit­té­ra­ture scien­ti­fique et la presse grand public, car il pré­ten­dait expli­quer la cause du TDAH et le bien-fondé du trai­te­ment puisque les psy­cho­sti­mu­lants inhibent ce trans­por­teur. Or, dans leur article de 1999, les auteurs ont omis de pré­ci­ser que quatre de leurs six patients avaient préa­la­ble­ment reçu un trai­te­ment au long cours par un psy­cho­sti­mu­lant et n’ont publié cette infor­ma­tion qu’en 2005. Les études ulté­rieures ont mon­tré que le taux du trans­por­teur de la dopa­mine est simi­laire chez les témoins et chez les patients non-traités souf­frant du TDAH et qu’un trai­te­ment pro­lon­gé par les psy­cho­sti­mu­lants aug­mente ce taux. Il s’agit ici d’une fraude carac­té­ri­sée qui a eu des consé­quences par­ti­cu­liè­re­ment néfastes sur le plan de la recherche, des pra­tiques pro­fes­sion­nelles et des repré­sen­ta­tions du grand public dans la mesure où elle a gran­de­ment contri­bué à véhi­cu­ler l’idée d’une cau­sa­li­té neu­ro­lo­gique du TDAH, et sou­te­nu l’usage de psy­cho­sti­mu­lants chez les enfants diagnostiqués.

Cette pra­tique s’avère mal­heu­reu­se­ment répan­due dans le champ de la recherche bio­mé­di­cale. Ici, elle nour­rit l’espoir d’une amé­lio­ra­tion du com­por­te­ment et de la réus­site sco­laire par la consom­ma­tion de psy­cho­sti­mu­lants, asser­tion qui ne repose sur aucun fon­de­ment scien­ti­fique. Notons au pas­sage l’aberration de ce type d’hypothèse qui dénie aus­si bien le désir de savoir de l’enfant que son enga­ge­ment dans des pro­ces­sus d’apprentissages com­plexes. Malheureusement, ces dis­tor­sions scien­ti­fiques sont d’autant plus pré­oc­cu­pantes qu’elles sont ampli­fiées par des biais média­tiques qui en décuplent les effets.

Prenons l’exemple du célèbre maga­zine « Allo doc­teur » sur France 5 qui, le 11 mars 2010, consa­crait une émis­sion à l’hyperactivité/TDAH chez l’enfant. Les com­men­taires des pré­sen­ta­teurs sont sans appel : « Le TDAH est une mala­die neu­ro­lo­gique qui touche la trans­mis­sion de l’information au niveau de cer­taines zones du cer­veau ». Les pré­sen­ta­teurs argu­mentent alors un défi­cit de dopa­mine à l’origine du TDAH, indui­sant par consé­quent les béné­fices du trai­te­ment médi­ca­men­teux sur le com­por­te­ment de l’enfant – alors qu’au moment de la dif­fu­sion de l’émission, les hypo­thèses concer­nant un dys­fonc­tion­ne­ment des neu­ro­trans­met­teurs de la dopa­mine à l’origine du TDAH et l’efficacité du trai­te­ment médi­ca­men­teux avaient été réfu­tées dans la lit­té­ra­ture scientifique.

Malheureusement, les approxi­ma­tions ou les exa­gé­ra­tions de ce type sont légion dans les médias, contri­buant à la dif­fu­sion d’informations par­tielles, par­tiales ou erro­nées au béné­fice des approches bio­mé­di­cales et médi­ca­men­teuses de l’hyperactivité. Ces écueils façonnent les per­cep­tions du grand public, mais éga­le­ment des pro­fes­sion­nels du soin, de l’éducation et de l’intervention sociale, de telle sorte qu’elles impactent dura­ble­ment les pra­tiques et les poli­tiques de santé.

Des dis­tor­sions simi­laires ont été consta­tés dans la lit­té­ra­ture spé­cia­li­sée des­ti­née aux ensei­gnants de l’Éducation natio­nale : usages abu­sifs et aléa­toires des caté­go­ries de san­té men­tale, réfé­rences qua­si exclu­sives et sys­té­ma­tiques aux fac­teurs bio­lo­giques pour­tant réfu­tés dans la lit­té­ra­ture inter­na­tio­nale, risques de sur-médication et de nor­ma­li­sa­tion du com­por­te­ment de l’enfant[11]… La ques­tion des adap­ta­tions sco­laires est relé­guée au second plan. La mise au tra­vail de dis­po­si­tifs péda­go­giques qui font le cœur de métier des ensei­gnants sont peu, sinon pas, abor­dés. Les recherches poin­tant le rôle du sys­tème sco­laire dans le diag­nos­tic du TDAH sont pas­sées sous silence. En effet, plu­sieurs études ont démon­tré que le sys­tème édu­ca­tif contri­buait de manière signi­fi­ca­tive à l’augmentation du diag­nos­tic de TDAH.

Système sco­laire : Des études amé­ri­caines montrent que le com­por­te­ment hyper­ac­tif des enfants les plus jeunes d’une classe est plus fré­quem­ment jugé patho­lo­gique par leurs ensei­gnants que par leurs parents – rap­pe­lons que les ensei­gnants par­ti­cipent au signa­le­ment des enfants hyper­ac­tifs en rem­plis­sant les échelles d’évaluation de Conners[12]. Or, les ensei­gnants amé­ri­cains sont pous­sés par leur hié­rar­chie à signa­ler aux parents un pos­sible TDAH. En effet, depuis la loi de 1990, les écoles amé­ri­caines reçoivent une dota­tion sup­plé­men­taire, variable sui­vant les com­tés, pour chaque enfant diag­nos­ti­qué – et l’industrie phar­ma­ceu­tique four­nit aux ensei­gnants la docu­men­ta­tion néces­saire. Enfin, les écoles sont éva­luées sui­vant les per­for­mances de leurs élèves, donc inci­tées à en accroître le niveau. Une étude com­pa­rant les États amé­ri­cains a cor­ré­lé posi­ti­ve­ment le carac­tère contrai­gnant de ces inci­ta­tions à la pré­va­lence du TDAH. Cette déter­mi­na­tion du sys­tème sco­laire sur le diag­nos­tic de TDAH et la médi­ca­tion par MPH a éga­le­ment été obser­vée en France. Ces élé­ments doivent nous per­mettre de construire un regard cri­tique sur les enjeux contem­po­rains de l’hyperactivité, en lien avec les poli­tiques et les pra­tiques d’enseignement et de san­té. En réa­li­té, le niveau de satu­ra­tion du dis­cours bio­mé­di­cal est tel qu’il obère l’accès des pro­fes­sion­nels aux savoirs et aux pra­tiques qui font leur cœur de métier – en l’occurrence les dis­po­si­tifs et les amé­na­ge­ments péda­go­giques. Ces constats sont alar­mants, car ils augurent un risque de médi­ca­li­sa­tion des pra­tiques d’enseignement, et plus lar­ge­ment des pra­tiques psy­cho­thé­ra­peu­tiques ou d’intervention sociale. Les enfants diag­nos­ti­qués « hyper­ac­tifs » et leur famille y trouveront-ils un meilleur sou­tien ? L’expérience amé­ri­caine montre que ce serait plu­tôt le contraire[13].

Toutes ces dis­tor­sions peuvent notam­ment s’expliquer par des conflits d’intérêts récur­rents dans le champ de la recherche, mais éga­le­ment auprès de ser­vices hos­pi­ta­liers ou d’associations. Nous avons dit tout à l’heure que l’industrie phar­ma­ceu­tique avait finan­cé la seule étude de pré­va­lence du TDAH actuel­le­ment dis­po­nible en France. Un autre type de conflit d’intérêts concerne le spon­so­ring des ser­vices hos­pi­ta­liers publics par l’industrie du médi­ca­ment, par exemple à tra­vers la dif­fu­sion de livrets/flyers pro­mo­tion­nels[14]. Enfin, l’association HyperSuper – TDAH France, qui milite pour une approche bio­mé­di­cale de l’hyperactivité, a éga­le­ment reçu plu­sieurs prix et finan­ce­ments de la part de l’industrie phar­ma­ceu­tique. La pré­si­dente et les membres du comi­té scien­ti­fique de l’association inter­viennent régu­liè­re­ment dans les médias, dans la lit­té­ra­ture pro­fes­sion­nelle et auprès des pou­voirs publics. TDAH France est à l’origine de plu­sieurs sai­sines ayant abou­ti à la sup­pres­sion de l’o­bli­ga­tion de pre­mière pres­crip­tion du MPH en milieu hos­pi­ta­lier. On voit dès lors com­ment ces conflits d’intérêts façonnent les dis­cours, les demandes de soin, les pra­tiques pro­fes­sion­nelles et jusqu’aux poli­tiques de san­té. D’ailleurs, cette ques­tion des liens d’intérêts ne concerne pas que le TDAH, puisque la pré­si­dente de l’association HyperSuper a été nom­mée au Conseil natio­nal des troubles du spectre autis­tique (TSA) et des troubles du neuro-développement (TND) qui assure le sui­vi par­ta­gé du déploie­ment de la stra­té­gie natio­nale pour l’autisme 2018–2022. Il existe ain­si des réseaux et des méca­nismes d’influence qui, en dépit de toute consi­dé­ra­tion scien­ti­fique, voire en dépit de l’intérêt des enfants et de leur famille, grèvent la recherche dédiée au TDAH en France et au niveau inter­na­tio­nal. Ces réseaux d’intérêts repré­sentent un sérieux frein au déploie­ment de pra­tiques alter­na­tives qui, à l’instar de la psy­cha­na­lyse ou des approches psy­cho­so­ciales, font leurs preuves dans la cli­nique et consti­tuent une spé­ci­fi­ci­té de la psy­chia­trie et de la psy­cho­pa­tho­lo­gie française.

*Texte paru dans @-trait du CIEN, Bulletin électronique des labo­ra­toires du CIEN no 25 Mars 2022, Le Mythe neuro

[1] Gonon F. The dopa­mi­ner­gic hypo­the­sis of attention-deficit/hyperactivity dis- order needs re-examining. Trends Neurosci. 2009 ; 32 : 2–8. Gonon F, Konsman JP, Cohen D, Boraud T. Why most bio­me­di­cal fin­dings echoed by news­pa­pers turn out to be false : the case of atten­tion defi­cit hyper­ac­ti­vi­ty disor­der. PloS One. 2012 ; 7 : e44275. Li Z, Chang SH, Zhang LY, et al. Molecular gene­tic stu­dies of ADHD and its can­di­date genes : a review. Psychiatry Res. 2014 ; 219:10–24. Weyandt L, Swentosky A, Gudmundsdottir BG. Neuroimaging and ADHD : MRI, PET, DTI fin­dings, and metho­do­lo­gi­cal limi­ta­tions. Dev Neuropsychol. 2013 ; 38 :211–25.

[2] Frances, A. J., & Widiger, T. Psychiatric diag­no­sis : Lessons from the DSM-IV past and cau­tions for the DSM‑5 future. Annual review of cli­ni­cal psy­cho­lo­gy. 2012 ; 8, 109–130.

[3] Canguilhem, G. Le nor­mal et le patho­lo­gique. Paris : Presses Universitaires de France, 1966. Foucault, M ; Naissance de la cli­nique. Paris : Presses Universitaires de France, 1963.

[4] Ponnou, S. Prévalence, diag­nos­tic et médi­ca­tion de l’hyperactivité/TDAH en France. In Annales Médico-psychologiques, revue psy­chia­trique 2020 Elsevier Masson. Ponnou S, Haliday H. ADHD Diagnosis and Drug Use Estimates in France : A Case for Using Health Care Insurance Data. Journal of Attention Disorders. 2021 ; 25(10) :1347–1350. doi:10.1177/1087054720905664

[5] Ponnou, S., Haliday, H., Thomé, B., & Gonon, F. La pres­crip­tion de méthyl­phé­ni­date chez l’enfant et l’adolescent en France : carac­té­ris­tiques et évo­lu­tion entre 2010 et 2019. Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence. 2022.

[6] ANSM. Méthylphénidate : don­nées d’utilisation et de sécu­ri­té d’emploi en France. 2017 [upda­ted 07/04/2021. Available from : https://​ansm​.sante​.fr/​a​c​t​u​a​l​i​t​e​s​/​m​e​t​h​y​l​p​h​e​n​i​d​a​t​e​-​d​o​n​n​e​e​s​-​d​u​t​i​l​i​s​a​t​i​o​n​-​e​t​-​d​e​-​s​e​c​u​r​i​t​e​-​d​e​m​p​l​o​i​-​e​n​-​f​r​a​nce.

[7] Ibid.

[8] Gonon, F., Guilé, J. M., & Cohen, D. Le trouble défi­ci­taire de l’attention avec hyper­ac­ti­vi­té : don­nées récentes des neu­ros­ciences et de l’expérience nord-américaine. Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence. 2010, 58, 273–281. Loe, I. M., & Feldman, H. M. Academic and edu­ca­tio­nal out­comes of chil­dren with ADHD. J Pediatr Psychol,. 2007, 32(6), 643–654. The MTA Cooperative Group. A 14-month ran­do­mi­zed cli­ni­cal trial of treat­ment stra­te­gies for attention-deficit/hyperactivity disor­der. Arch Gen Psychiatry. 1999, 56(12), 1073–1086.

[9] ANSM. Méthylphénidate : don­nées d’utilisation et de sécu­ri­té d’emploi en France. 2017 [upda­ted 07/04/2021. Available from : https://​ansm​.sante​.fr/​a​c​t​u​a​l​i​t​e​s​/​m​e​t​h​y​l​p​h​e​n​i​d​a​t​e​-​d​o​n​n​e​e​s​-​d​u​t​i​l​i​s​a​t​i​o​n​-​e​t​-​d​e​-​s​e​c​u​r​i​t​e​-​d​e​m​p​l​o​i​-​e​n​-​f​r​a​nce, pp.18–22

[10] Gonon, F., Dumas-Mallet, E., & Ponnou, S. La cou­ver­ture média­tique des obser­va­tions scien­ti­fiques concer­nant les troubles men­taux. Les cahiers du jour­na­lisme. 2019

[11] Kohout-Diaz, M. Usages des caté­go­ries de san­té men­tale par l’école. Que dif­fusent les Inspections Académiques sur le T.D.A./H. ? Congrès de l’AREF, 2013.

[12]  Les échelles d’évaluation de Conners sont des tests stan­dar­di­sés d’évaluation du com­por­te­ment de l’enfant. Renseignées par les ensei­gnants et les parents de l’enfant, elles per­mettent d’orienter le diag­nos­tic du méde­cin. L’utilisation de ces échelles implique donc une forme de res­pon­sa­bi­li­té des ensei­gnants et des parents dans le diag­nos­tic du TDAH, tan­dis qu’ils ne dis­posent ni de la for­ma­tion ni de l’information rela­tive à ces enjeux.

[13] Gonon F. La psy­chia­trie bio­lo­gique : une bulle spé­cu­la­tive ? Esprit. 2011 ; Novembre : 54–73.

[14] Voir à titre d’exemple : www​.u2pea​nantes​.files​.word​press​.com/​2​0​1​8​/​0​5​/​v5- maquette-tdah-3-nantes.pdf).

 

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