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Argument

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La ques­tion de l’enfant sépa­ré des siens – qu’il soit hos­pi­ta­li­sé, pla­cé, dépla­cé, aban­don­né – se pose depuis le XVIIe siècle. Dès 1925, Freud marque son inté­rêt pour cette cli­nique dans sa pré­face du livre Jeunes en souf­france d’August Aichhorn. En 1950, Lacan, lui, s’enseigne des cures de très jeunes enfants accueillis à Parent-de-Rosan menées par Maud Mannoni, Françoise Dolto ou encore Rosine Lefort. La « Note sur l’enfant » qu’il adresse à Jenny Aubry reste aujourd’hui une bous­sole dans la cli­nique des enfants séparés.

L’enfant sépa­ré : sa famille, sa langue

Si les dis­cours de l’époque pro­posent un tra­vail entre l’enfant et sa famille sous la forme d’une ten­ta­tive d’harmonisation des liens, pour la psy­cha­na­lyse l’orientation est autre. En effet, est pris en compte la femme der­rière la mère, l’homme au-delà du père et la dimen­sion du « couple paren­tal ». Que se passe-t-il pour une mère lorsque la cir­cons­tance de la nais­sance d’un enfant cause un ébran­le­ment impré­vu, inédit en elle ? Comment accom­pa­gner un père – et au-delà l’homme – qui s’absente ou dont l’autorité vacille ?

Lacan éclaire la nature de la trans­mis­sion entre un père, une mère et un enfant : elle « est d’un autre ordre que celle de la vie selon les satis­fac­tions des besoins – mais qui est d’une consti­tu­tion sub­jec­tive impli­quant la rela­tion à un désir qui ne soit pas ano­nyme[1]Cf. Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373.». Dans l’accueil de l’enfant, si les soins vitaux sont néces­saires, ils ne sont pas pour autant suf­fi­sants. Quelles sont alors les condi­tions d’un désir par­ti­cu­la­ri­sé ? À se situer du côté de l’enfant, ce der­nier entend aus­si qu’il pro­vient d’un désir non ano­nyme. Ainsi, des enfants ou des adultes témoignent des nom­breuses recherches quant à leurs ori­gines, au désir qui les fonde.

Nombre de docu­men­taires et de témoi­gnages rendent compte aujourd’hui de par­cours uniques, d’histoires à nulle autre pareilles – au-delà de la ren­contre avec un désir par­ti­cu­la­ri­sé – avec un mot, une phrase qui ont eu toute leur impor­tance. Dans l’enseignement de Lacan, ce qui trou­ma­tise, c’est le lan­gage : « la façon dont lui [l’enfant] a été ins­til­lé un mode de par­ler ne peut que por­ter la marque du mode sous lequel les parents l’ont accep­té[2] Lacan J., « Conférence à Genève sur le symp­tôme », La Cause du désir, n°95, avril 2017, p. 12, dis­po­nible sur Cairn.». Comment prendre en compte la manière sin­gu­lière pour chaque enfant pla­cé de se faire sa famille ? C’est le pari dont relève tout pla­ce­ment, qui porte à consé­quence pour la suite.

L’enfant pla­cé et les pro­fes­sion­nels au XXIe siècle

En France, les droits des parents ont été revus au gré de textes de loi. Aujourd’hui, on n’envisage plus d’éloigner de façon auto­ri­taire ni arbi­traire l’enfant des siens. Des sou­tiens au sein de la famille, sous la forme d’« aides édu­ca­tives en milieu ouvert » ou « à domi­cile », sont pri­vi­lé­giés selon une moda­li­té admi­nis­tra­tive lais­sant pen­ser que c’est à l’initiative des parents. Comment l’enfant, ses parents, les pro­fes­sion­nels – assistant(e) familial(e), édu­ca­teur – font-ils avec ces diverses moda­li­tés de pla­ce­ment dans les­quelles cha­cun ren­contre peu l’enfant, lequel part, revient, etc. ?

L’enfant sépa­ré a pu avoir pré­co­ce­ment affaire à une ren­contre impos­sible ou rava­geuse avec le désir de l’Autre, une « mal­en­contre[3]Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fon­da­men­taux de la psy­cha­na­lyse, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 105.» comme le sou­ligne Lacan. Pendant le temps du pla­ce­ment, voire des mul­tiples sépa­ra­tions qui s’imposent à lui, com­ment l’enfant consent-il à s’installer dans ces nou­veaux lieux, ces nou­veaux liens ; y a‑t-il des condi­tions à cela ?

Comment appré­hen­der les diver­gences entre les pro­fes­sion­nels sou­cieux des droits liés à l’autorité paren­tale et ceux qui s’orientent de « l’intérêt supé­rieur de l’enfant » ? Quels sont éga­le­ment les consé­quences de l’injonction à l’autonomie pour les jeunes majeurs ? La psy­cha­na­lyse se pro­pose d’avoir une « fonc­tion d’interprète dans la dis­corde des lan­gages[4]Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du lan­gage en psy­cha­na­lyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 321.» en repé­rant les modes de jouis­sance de cha­cun et en pre­nant acte d’un ratage fon­da­men­tal. Il n’existe, en effet, ni parent idéal, ni famille d’accueil idéale, ni ins­ti­tu­tion idéale. Cet ate­lier, com­po­sé de pro­fes­sion­nels de dif­fé­rentes dis­ci­plines concer­nés par cette ques­tion, tente d’en pro­po­ser une lec­ture. La méthode ana­ly­tique pro­pose aux grandes per­sonnes, non pas d’évaluer les risques, mais de faire preuve d’un dis­cer­ne­ment éclai­ré.

Depuis une ving­taine d’années, des mou­ve­ments migra­toires sur le ter­ri­toire euro­péen pro­duisent des « mises à l’abri » d’enfants sans famille sur le ter­ri­toire fran­çais et l’accueil de mineurs non accom­pa­gnés. Comment l’enfant sou­tien de famille, l’enfant man­da­té, l’enfant malade ou aban­don­né dans son pays peut-il alors être accueilli loin des siens ?

L’enfant sépa­ré dans le dis­po­si­tif de la cure analytique

Si le pla­ce­ment d’un enfant s’avère néces­saire, il ne lui épargne pas un tra­vail via la ren­contre avec un ana­lyste. L’enfant pla­cé peut-il éla­bo­rer la sépa­ra­tion autre­ment qu’en se fai­sant objet de rejet, de décep­tion, etc. ? Cet ate­lier vise à en déga­ger les res­sorts à la lueur des tra­vaux de Lacan sur l’aliénation et la séparation.

La psy­cha­na­lyse est une pra­tique de l’offre de parole qui exige du tact avec l’enfant sépa­ré sub­ver­tis­sant les sché­mas expli­ca­tifs psy­cho­lo­gi­sants sur son his­toire, le fixant à un des­tin tout tracé.

Ce qui prime n’est pas tant l’histoire que la réponse du sujet face à un réel. L’interprétation ana­ly­tique est le res­sort de l’opération. Comment per­mettre ain­si à l’enfant pla­cé ou sépa­ré de s’extraire de la répé­ti­tion du trau­ma, de se déga­ger des iden­ti­fi­ca­tions qui le déter­minent, des signi­fiants de l’Autre qui l’épinglent, d’extraire le S1 de son symp­tôme ? Et ain­si de se parer, via l’objet, d’une forme de digni­té avec la part de cet héri­tage, ou encore de trou­ver sa manière sin­gu­lière de se pro­té­ger, de faire lien avec la jouis­sance, d’en faire appa­raître les créations.

Notes

Notes
1 Cf. Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373.
2  Lacan J., « Conférence à Genève sur le symp­tôme », La Cause du désir, n°95, avril 2017, p. 12, dis­po­nible sur Cairn.
3 Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fon­da­men­taux de la psy­cha­na­lyse, texte éta­bli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 105.
4 Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du lan­gage en psy­cha­na­lyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 321.

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