8e Journée d'Étude

Rêves et fantasmes chez l’enfant

samedi 22 mars 2025

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Visite aux parents [1]

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Dans le dis­cours cou­rant, le devoir de pro­tec­tion de l’enfant est tra­di­tion­nel­le­ment assu­ré par sa famille. Cependant, dans cer­tains cas, ce n’est pas pos­sible. L’examen juri­dique de la situa­tion de l’enfant et de ses parents est alors requis. Qu’est-ce que la psy­cha­na­lyse d’orientation laca­nienne peut appor­ter dans ces situa­tions ? Pour répondre à cette ques­tion, nous pren­drons appui sur deux pré­sen­ta­tions cli­niques menées par Lacan avec des patientes hospitalisées.

Pas d’articulation possible

Mlle Boyer est hos­pi­ta­li­sée en psy­chia­trie, car elle est « tou­jours éner­vée » avec son fils, mais sur­tout parce qu’elle est tom­bée amou­reuse de la sage-femme lors de son accou­che­ment, aimant moins son enfant que la sage-femme[1]Cf. Lacan J., « Présentation de Mlle Boyer », in Miller J.-A. & Alberti C. (s/dir.), Ornicar ? hors-série. Lacan Redivivus, Paris, Navarin, 2021, p. 109–125. Son fils est né d’une liai­son avec un homme, qui a ensuite été incar­cé­ré. Elle ne l’a pas vrai­ment aimé cet homme. Mlle Boyer a fait des études de sté­no­dac­ty­lo, et tra­vaille auprès d’enfants inadap­tés dans les hôpi­taux psy­chia­triques. Elle se sent mal­me­née dans son tra­vail et per­sé­cu­tée. Elle s’occupe de son fils pen­dant les deux pre­mières années de sa vie. Elle est sou­te­nue par sa sœur et son beau-frère. Son fils est ensuite pla­cé chez une nour­rice. Cette der­nière lui envoie une pho­to de son enfant et pro­pose de l’appeler. « Il lui manque peut-être quelque chose », s’interroge Mlle Boyer. Lacan lui sug­gère : « Peut-être vous. » Elle acquiesce : « Oui, peut-être moi. […] Maintenant, on s’amuse à me faire confiance. Je pense que je pour­rai le reprendre lorsque j’aurai une bonne san­té et que je pour­rai tra­vailler ». De cette pho­to de son enfant, Lacan tente d’en faire un évè­ne­ment « pour [lui] lais­ser une chance » d’en dire quelque chose. Cependant, il n’en a fina­le­ment « vu aucun témoi­gnage, aucune réponse qui [lui] paraisse s’y rat­ta­cher. Ça a été anodin ».

Au fil de cette longue conver­sa­tion cli­nique, Mlle Boyer indique se sen­tir « hyp­no­ti­sée » par les mots, mais aus­si qu’elle « aime­rait vivre comme un habit ». Lors de la dis­cus­sion qui suit la pré­sen­ta­tion cli­nique, un méde­cin remarque qu’elle « met­tait tout l’accent sur ses pos­si­bi­li­tés d’identification variables, aux per­son­nages pas­sant à sa por­tée ». En effet, Mlle Boyer est dans un flot­te­ment per­pé­tuel, comme elle l’énonce dans une for­mule remar­quable : « je suis inté­ri­maire de moi-même »[2]Miller J.-A., « Enseignements de la pré­sen­ta­tion de malades », Ornicar ?, n°10, juillet 1977, p. 22 – autre­ment dit, un miroir qui est cap­té par tout et accro­ché par rien. Lacan pré­cise que Mlle Boyer « n’a pas la moindre idée du corps qu’elle a à mettre dans cette robe. Il n’y a per­sonne pour habi­ter le vête­ment. […] Il y a un vête­ment et per­sonne pour s’y glis­ser. Elle n’a de rap­ports exis­tants qu’avec des vête­ments. […] Tout ce qu’elle a dit était abso­lu­ment sans poids. Il n’y a aucune arti­cu­la­tion dans ce qu’elle dit ». Un méde­cin de l’auditoire sug­gère que « son fils pour­ra la rac­cro­cher ». Lacan, lui, n’en est « pas abso­lu­ment sûr ». Il pré­fè­re­rait même « qu’on ne le lui confie pas. Il ne paraît pas que ce soit la chose à recom­man­der ». Plutôt s’agit-il de l’accueillir à l’hôpital où elle sou­haite être valo­ri­sée.

Une rou­tine nécessaire

Mme Soledo est kiné­si­thé­ra­peute et exerce depuis presque quinze ans[3]Cf. Lacan J., « Présentation de Mme Soledo », in Miller J.-A. & Alberti C. (s/dir.), Ornicar ? hors-série. Lacan Redivivus, op. cit., p. 126–141.. Elle a une fille. Elle a le sen­ti­ment d’avoir échoué en tout, sauf avec son enfant. Elle en a le sou­ci : elle parle de la manière dont elle s’en occupe, ain­si que des moda­li­tés de sa garde pen­dant qu’elle tra­vaille. Elle est hos­pi­ta­li­sée après avoir fait deux ten­ta­tives de sui­cide, qui ont eu lieu après le départ de son mari qui la trom­pait. Elle a alors eu le sen­ti­ment d’une pré­sence inté­rieure et d’avoir enten­du des voix. Lacan lui demande si elle s’est sen­tie, à ce moment-là, « habi­tée » ; elle confirme. Elle sou­haite se réta­blir pour sa fille. Lacan sou­ligne d’abord que la « psy­chose est plus com­mune qu’on ne croit », mais il estime, après s’être lon­gue­ment entre­te­nu avec Mme Soledo, que « la psy­chose n’a pas gagné, qu’elle n’est pas omni­pré­sente » chez la patiente. Elle est sta­bi­li­sée. Lors de la dis­cus­sion, Lacan pré­cise à l’auditoire : « C’est quand même des cas où il faut parier », mais pas sans condi­tion : en l’occurrence, que cette dame conti­nue à être sui­vie en psy­chia­trie. Il ajoute faire « le pari qu’elle va reprendre […] sa rou­tine », c’est-à-dire tra­vailler, prendre soin de sa fille, voir ses amis. Cette rou­tine sou­tient l’existence de cette femme.

Faire preuve de discernement

Lors de chaque pré­sen­ta­tion de malade, Lacan fait res­sor­tir ce qu’elle a d’inclassable, d’unique, sans pour autant mécon­naître la répar­ti­tion et les dis­tinc­tions de la noso­gra­phie psy­chia­trique dont elle s’approche. Lacan fait émer­ger une pra­tique qui prend en compte le par­lêtre. La pré­sen­ta­tion de malade est ain­si la mise en acte de la manière dont la psy­cha­na­lyse opère. L’entretien cli­nique vise à inter­ro­ger et repé­rer le rap­port du sujet au sym­bo­lique, à l’imaginaire et au réel, son rap­port à la jouis­sance et à la vie, dans ce qu’il y a de plus intime. Ces dif­fé­rents points donnent des indi­ca­tions aux pro­fes­sion­nels sur la manière d’orienter et de pour­suivre le tra­vail d’accompagnement.

Dans son échange avec Mlle Boyer, Lacan s’intéresse à des élé­ments de détails, qui mettent notam­ment en lumière son rap­port à son fils, et aux autres plus géné­ra­le­ment. Il recueille un dire d’importance : celui d’une femme qui dit son empê­che­ment à être mère. La parole de cette femme ne marque pas, son corps ne prend pas consis­tance, il n’est pas habi­té. Pour qui vou­drait s’empresser de réta­blir Mlle Boyer dans son rôle de mère, Lacan com­plexi­fie la ques­tion. Il met en valeur la manière dont ses paroles et ses actes sont aus­si impré­vi­sibles qu’instables du fait de son hyp­no­tisme, cet effet de sug­ges­tion inhé­rent à la parole, certes, mais sin­gu­liè­re­ment pré­gnant pour elle.

Avec Mme Soledo, Lacan démontre com­ment l’acte ana­ly­tique implique la dimen­sion de la mise et du pari, sans mécon­naître les points d’appui et de sta­bi­li­sa­tion du sujet – ici, la rou­tine qui devra inclure celle des rendez-vous en psychiatrie.

Pour conclure, la méthode ana­ly­tique s’appuie sur la construc­tion du cas orien­té par le réel et la logique. Elle pro­pose aux pro­fes­sion­nels non pas d’évaluer les risques, mais de faire preuve d’un dis­cer­ne­ment éclai­ré dans l’examen de la pos­si­bi­li­té de liens entre un enfant et sa mère, dès lors que « ses soins portent la marque d’un inté­rêt par­ti­cu­la­ri­sé, le fût-il par la voie de ses propres manques »[4]Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373., comme Lacan le sou­ligne dans la « Note sur l’enfant ». Les pré­sen­ta­tions cli­niques de ces deux femmes en grande souf­france psy­chique per­mettent de situer com­ment cha­cune peut, sur fond de non-rapport, com­po­ser avec le signi­fiant mère.

[1] Texte paru dans Le Zappeur vers la 7e jour­née de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’Enfant du Champ freu­dien, n°18, revu pour la pré­sente publication.

Notes

Notes
1 Cf. Lacan J., « Présentation de Mlle Boyer », in Miller J.-A. & Alberti C. (s/dir.), Ornicar ? hors-série. Lacan Redivivus, Paris, Navarin, 2021, p. 109–125
2 Miller J.-A., « Enseignements de la pré­sen­ta­tion de malades », Ornicar ?, n°10, juillet 1977, p. 22
3 Cf. Lacan J., « Présentation de Mme Soledo », in Miller J.-A. & Alberti C. (s/dir.), Ornicar ? hors-série. Lacan Redivivus, op. cit., p. 126–141.
4 Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373.

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