Pas de vacances pour la pulsion qui n’attend pas la période estivale pour mettre les cahiers au feu et la maîtresse au milieu. Car la pulsion ne s’accorde pas au calendrier scolaire. Elle fait sa rentrée toujours trop tôt, ou trop tard, sa temporalité échappe aux intentions du rectorat. Elle ne connaît pas les zones A, B, C, ce découpage territorial qui vise à réguler les masses et gérer les flux humains, mais les zones érogènes avec leur topologie singulière. J. Lacan ponctue que « toute pulsion est virtuellement pulsion de mort »[1]Lacan J., « Position de l’inconscient », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 848. et J.-A. Miller met en évidence la pulsion de mort comme « pulsion du surmoi »[2]Miller J.-A., « Biologie Lacanienne et événement de corps ». La Cause freudienne, n° 44, Paris, Seuil, février 2000, p. 30–31..
La pulsion de mort ne pose pas de congés et, de nos jours, elle est renforcée par la rencontre avec l’injonction contemporaine du pousse-au-jouir. L’enfant en vacances « n’est pas là pour rigoler. Le type […] qui ne va pas travailler aux loisirs, il est indigne […] De nos jours, le refus du travail, ça relève d’un défi, ça se pose et ne peut se poser que comme défi »[3]Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, Paris, Seuil, 2006, p. 111.. Dans les valises, une place est réservée aux Passeports vacances. Vendus comme des petits pains pour le « passage en petite section (sic !), pendant le primaire et jusqu’au bac, ces cahiers proposent de tester avec l’enfant son niveau et insister sur ses éventuelles faiblesses. Le tout sans contrainte, l’objectif est de rester ludique »[4]Cf. le descriptif sur le site de la FNAC.. Rattraper ou anticiper, il s’agira pour certains de se mettre à la hauteur du « HP » (haut potentiel) qu’un Autre du social lui aura accolé au cours de l’année.
Des colos scientifiques, des séjours linguistiques, des stages et ateliers de remise à niveau, tout un marché prêt à être consommé s’offre à l’enfant pour qu’il vaque. Vaque !
La pause d’été est aussi, pour les plus jeunes, un rendez-vous obligé avec cet autre grand classique des impératifs estivaux qui empêche de prendre son « otium cum dignitate »[5]Lacan J., ibid. : être propre avant la rentrée ! Moment civilisateur qui n’est pas sans une certaine violence pour l’enfant et les parents et dont les répercussions remplissent nos cabinets d’analystes.
Enfin, en vacances, on s’éclate ! La violence pulsionnelle prend ici une autre forme. « Je suis en vacances, il fallait que j’en profite » sera la seule réponse donnée par une jeune fille au réveil d’un coma éthylique. Le film Spring breaker[6]Film américain écrit et réalisé par H. Korine, 2012. montre ces vacances de l’excès quand l’enjoy ! est aux manettes.
Le corps parlant échappe à tout programme scolaire et à tout planning de vacances, il ne se laisse pas emprisonner, avec ses désirs et ses satisfactions, dans les cahiers d’école, dans les carnets de vacances, dans les revues de mots croisés remplis sur la plage ou dans le produit que l’on consomme.
Dans les meilleurs des cas, les cahiers visiteront le pays, dormiront dans un coin de la valise. À la colo, on fera une rencontre inattendue et, qui sait, inexplicablement, un certain manque s’installera à la place du vide.
Bonnes vacances.
Notes[+]
↑1 | Lacan J., « Position de l’inconscient », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 848. |
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↑2 | Miller J.-A., « Biologie Lacanienne et événement de corps ». La Cause freudienne, n° 44, Paris, Seuil, février 2000, p. 30–31. |
↑3 | Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, Paris, Seuil, 2006, p. 111. |
↑4 | Cf. le descriptif sur le site de la FNAC. |
↑5 | Lacan J., ibid. |
↑6 | Film américain écrit et réalisé par H. Korine, 2012. |