8e Journée d'Étude

Rêves et fantasmes chez l’enfant

samedi 22 mars 2025

En savoir +S'inscrire
Menu

Édito n°1 : PIF ! PAF !

image_pdfimage_print

On enten­dit des triques tom­ber sur des caboches, des lances
et des sabres cra­quer, des coups de poings son­ner sur les poitrines
et des gifles qui cla­quaient, et des gorges qui hurlaient,
pif ! paf ! crac ! zop !
Louis Pergaud, La Guerre des boutons

Il y a main­te­nant plus d’un siècle, en 1912, Louis Pergaud pou­vait sans aucune pru­dence d’écriture mettre en scène une série de bagarres et de batailles plus ou moins ran­gées entre deux bandes d’enfants de deux vil­lages voi­sins. En 1963, le film épo­nyme d’Yves Robert enchan­ta le public des Trente Glorieuses avec ses répliques cultes de Lebrac : « Y’a pas à dis­cu­ter, le chef c’est celui qu’a le plus grand zizi ! » et de P’tit Gibus : « Ah ben, si j’avais su, j’aurais pas v’nu ! » En 2011, une reprise fut ten­tée, en cou­leurs mais avec net­te­ment moins de succès…
Ce n’était cer­tai­ne­ment plus l’heure des échauf­fou­rées rurales en blouse ou « à poil » pour échap­per à l’infamant cou­page des bou­tons, de l’incompréhension crasse des pères et de la soif de liber­té des fils. Plus l’heure des jeux et des ris sous l’égide du phal­lus triom­phant, un peu débon­naire et car­ré­ment ridi­cule – comique garanti !

La langue fran­çaise, comme toutes les autres, a recueilli les si nom­breuses ono­ma­to­pées si bien for­mées pour accom­pa­gner les divers échanges d’horions et autres gnons  : pif, paf, boum, et vlan, aïe !
Si les auteurs du bel ouvrage Dictionnaire des ono­ma­to­pées[1] peuvent écrire très joli­ment que « la fonc­tion de l’onomatopée est essen­tiel­le­ment de faire entrer dans la langue les bruits du monde », nous ajou­te­rions volon­tiers qu’elle consiste éga­le­ment à faire trai­ter par la langue la jouis­sance du corps aux prises avec le monde, les objets et les autres corps qu’il ren­contre. Elles forment dans la langue un cha­pe­let de traces – des « séman­tismes nus » dira Benveniste – indi­quant que la frappe sur le corps sen­sible est tou­jours frappe ins­crite dans la langue. Et toc !

La chose vio­lente a donc à s’inscrire quelque part. Les petits d’homme sont à la tâche, cha­cun mène sa « guerre des bou­tons », avec l’appui de quelques autres. « Moi cas­ser tête Francis »[2], répond la petite fille à l’adulte qui sur­prend son geste vers son petit cama­rade, une pierre à la main, dans une scé­nette iso­lée par Lacan dans le livre I de son Séminaire. Le com­men­taire laisse augu­rer que la réponse sus­pend le geste.
Parions-nous donc sur de belles paroles pour sépa­rer l’enfant de la vio­lence ? Non, mais sur la pré­sence d’un dire, assu­ré­ment. Un dire qui creuse une place pour le corps par­lant dans la com­mu­nau­té des corps par­lants. Si c’est le sujet qui sou­tient ce dire, s’ouvre alors l’espace du récit, de la fic­tion, épique ou comique, selon sa pente. Mais cela n’est pas tou­jours pos­sible, et c’est d’un autre lieu, incar­né, que pour­ra se pro­fé­rer cette énon­cia­tion. Un adulte pré­sent, ou le « chœur social » d’une ins­ti­tu­tion, d’accueil ou de soin, voi­là qui fera l’affaire.
Punition ? Sanction ? Rappel des règles ? Non point, mais plu­tôt appel, invo­ca­tion, signes dis­crets d’une pré­sence. Tenter de faire aus­si bien que cette dis­til­la­tion de la langue que sont les ono­ma­to­pées pour fixer dans la langue com­mune cette jouis­sance vio­lente qui a pris pos­ses­sion des corps.

Sinon ? Sinon, c’est la voix obs­cène et féroce du sur­moi qui se fera entendre et conti­nue­ra à voci­fé­rer ses ordres, tout à la fois impé­ra­tifs pour la jouis­sance et vœux de mort pour les corps par­lants. Nous avons témoi­gnage de ses pou­voirs dans tous les pas­sages à l’acte qui déchirent depuis main­te­nant plu­sieurs années notre tis­su social.

La pro­chaine Journée d’étude de l’Institut psy­cha­na­ly­tique de l’Enfant – UPJL[3] s’appliquera, sous la direc­tion de Caroline Leduc, à explo­rer les nou­veaux nouages qui s’inventent entre les corps par­lants et la chose vio­lente à laquelle ils ont à faire aux temps de l’enfance et de l’adolescence, seule voie de recours face au retour des folies édu­ca­tives et face aux pro­messes d’une neuro-analyse des com­por­te­ments. Pif ! Paf ! Crac ! Zop !

Daniel Roy, Secrétaire géné­ral de l’Institut de l’Enfant.

 

[1] Enckell P., Rézeau P., Dictionnaire des ono­ma­to­pées, Paris, PUF, 2005, p. 16.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les écrits tech­niques de Freud, Paris, Seuil, 1975, p. 194.

[3] UPJL : Université Populaire Jacques Lacan.