On entendit des triques tomber sur des caboches, des lances
et des sabres craquer, des coups de poings sonner sur les poitrines
et des gifles qui claquaient, et des gorges qui hurlaient,
pif ! paf ! crac ! zop !
Louis Pergaud, La Guerre des boutons
Il y a maintenant plus d’un siècle, en 1912, Louis Pergaud pouvait sans aucune prudence d’écriture mettre en scène une série de bagarres et de batailles plus ou moins rangées entre deux bandes d’enfants de deux villages voisins. En 1963, le film éponyme d’Yves Robert enchanta le public des Trente Glorieuses avec ses répliques cultes de Lebrac : « Y’a pas à discuter, le chef c’est celui qu’a le plus grand zizi ! » et de P’tit Gibus : « Ah ben, si j’avais su, j’aurais pas v’nu ! » En 2011, une reprise fut tentée, en couleurs mais avec nettement moins de succès…
Ce n’était certainement plus l’heure des échauffourées rurales en blouse ou « à poil » pour échapper à l’infamant coupage des boutons, de l’incompréhension crasse des pères et de la soif de liberté des fils. Plus l’heure des jeux et des ris sous l’égide du phallus triomphant, un peu débonnaire et carrément ridicule – comique garanti !
La langue française, comme toutes les autres, a recueilli les si nombreuses onomatopées si bien formées pour accompagner les divers échanges d’horions et autres gnons : pif, paf, boum, et vlan, aïe !
Si les auteurs du bel ouvrage Dictionnaire des onomatopées[1] peuvent écrire très joliment que « la fonction de l’onomatopée est essentiellement de faire entrer dans la langue les bruits du monde », nous ajouterions volontiers qu’elle consiste également à faire traiter par la langue la jouissance du corps aux prises avec le monde, les objets et les autres corps qu’il rencontre. Elles forment dans la langue un chapelet de traces – des « sémantismes nus » dira Benveniste – indiquant que la frappe sur le corps sensible est toujours frappe inscrite dans la langue. Et toc !
La chose violente a donc à s’inscrire quelque part. Les petits d’homme sont à la tâche, chacun mène sa « guerre des boutons », avec l’appui de quelques autres. « Moi casser tête Francis »[2], répond la petite fille à l’adulte qui surprend son geste vers son petit camarade, une pierre à la main, dans une scénette isolée par Lacan dans le livre I de son Séminaire. Le commentaire laisse augurer que la réponse suspend le geste.
Parions-nous donc sur de belles paroles pour séparer l’enfant de la violence ? Non, mais sur la présence d’un dire, assurément. Un dire qui creuse une place pour le corps parlant dans la communauté des corps parlants. Si c’est le sujet qui soutient ce dire, s’ouvre alors l’espace du récit, de la fiction, épique ou comique, selon sa pente. Mais cela n’est pas toujours possible, et c’est d’un autre lieu, incarné, que pourra se proférer cette énonciation. Un adulte présent, ou le « chœur social » d’une institution, d’accueil ou de soin, voilà qui fera l’affaire.
Punition ? Sanction ? Rappel des règles ? Non point, mais plutôt appel, invocation, signes discrets d’une présence. Tenter de faire aussi bien que cette distillation de la langue que sont les onomatopées pour fixer dans la langue commune cette jouissance violente qui a pris possession des corps.
Sinon ? Sinon, c’est la voix obscène et féroce du surmoi qui se fera entendre et continuera à vociférer ses ordres, tout à la fois impératifs pour la jouissance et vœux de mort pour les corps parlants. Nous avons témoignage de ses pouvoirs dans tous les passages à l’acte qui déchirent depuis maintenant plusieurs années notre tissu social.
La prochaine Journée d’étude de l’Institut psychanalytique de l’Enfant – UPJL[3] s’appliquera, sous la direction de Caroline Leduc, à explorer les nouveaux nouages qui s’inventent entre les corps parlants et la chose violente à laquelle ils ont à faire aux temps de l’enfance et de l’adolescence, seule voie de recours face au retour des folies éducatives et face aux promesses d’une neuro-analyse des comportements. Pif ! Paf ! Crac ! Zop !
Daniel Roy, Secrétaire général de l’Institut de l’Enfant.
[1] Enckell P., Rézeau P., Dictionnaire des onomatopées, Paris, PUF, 2005, p. 16.
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les écrits techniques de Freud, Paris, Seuil, 1975, p. 194.
[3] UPJL : Université Populaire Jacques Lacan.