Sur Internet, « c’est toujours à toi de trouver dans le foin des résultats l’aiguille de ce qui fait sens pour toi. »[1]
27 février 2018 : les médias annoncent que l’émission « The Push » animée par l’illusionniste D. Brown – déjà diffusée sur la télévision britannique depuis 2016 – sera disponible sur la plate-forme internet Netflix. « The Push » – en français « Pousse au crime » – met en scène un sujet manipulé par le mentaliste et ses complices pour l’inciter à commettre un meurtre. Beaucoup de jeunes se sont abonnés pour l’occasion… D. Brown[i] n’en est pas à son coup d’essai : il s’est fait un nom dans ce genre d’émission ! « The Push » transforme en télé réalité ce que Milgram[ii], chercheur en psychologie sociale à l’Université de Yale, essayait de comprendre, après-guerre, dans son laboratoire : comment l’humain peut se soumettre à une autorité qui semble légitime au point de tuer ? Les médias s’indignent des dangers de « The Push » auprès d’un jeune public dans un contexte où le pouvoir des fake news fait par ailleurs scandale, propagation de fausses nouvelles qui poussent à des jugements de masse erronés. Dans ce contexte, « The Push » fait consister un maitre mot : manipulation mentale.
Il y a vingt ans, la fusillade meurtrière de Columbine par deux adolescents, dans leur lycée, avait marqué les esprits. Ce drame très médiatisé mettait en cause l’impact des jeux-vidéos de tir, largement commercialisés depuis quelques temps, sur les comportements violents des jeunes. L’époque voyait éclore les théories des addictions et son envers : les conduites à risques. Une question insistait : y a‑t-il des frontières entre le jeu et la réalité ? Lorsque ses parents font la morale à K., 18 ans, adepte des jeux de tir en réseau, il se révolte : « Nous ne sommes pas tous des psychopathes !» La diffusion à échelle mondiale sur Netflix de l’émission « The Push » est un pousse à faire la guerre et à une contamination de chacun à grande échelle par le numérique. Quand leur enfant fait du numérique un usual-partner, les réponses des adultes varient des recommandations aux mises en garde et sanctions : droit de regard qui s’impose sur les activités numériques de l’enfant ou coupure autoritaire d’internet, intrusions ou amputations qui touchent au corps et conduisent à des réactions agressives de leur enfant.
Le thème de la prochaine Journée de l’Institut de l’Enfant « Enfants violents » offre la possibilité de s’enseigner de la vie des enfants et adolescents qui baignent quotidiennement dans le numérique. Aujourd’hui, la psychanalyse « permet de désintoxiquer. […] L’écoute particularisée permet d’entendre de nouveau les signifiants tous seuls qui traversent l’éther du bruit-internet[iii]». Comme Y., 13 ans, qui se met à l’abri des moqueries de ses camarades concernant une acné flamboyante et hameçonne, caché derrière l’écran, des filles avec les mots, caution d’une nouvelle identité de « serial lover ». Il s’agit de s’intéresser, au cas par cas, aux connexions de la pulsion avec ces objets du numérique, aux nouveaux rapports au corps, à la sexualité, au groupe, à la langue et aux disputes des enfants et adolescents sur la toile, pouvant devenir préjudices, ainsi qu’aux « flambées à l’essence[iv] » numériques, parfois violentes.
[i] D. Brown a déjà animé une émission appelée « Héros à bord », qui pousse par exemple un grand phobique de l’avion à se dépasser et faire atterrir un avion en chute libre.
[ii] Dans ce contexte d’après-guerre, S. Milgram – comme Hannah Arendt – cherchait à comprendre les mécanismes psychologiques ayant conduit des milliers d’hommes à torturer et tuer des millions d’autres. Cf Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. La banalité du mal, Gallimard, 1966.
[iii] E. Laurent, Jouir d’Internet, La Cause du désir, Navarin, n° 97, novembre 2017, p. 16.
[iv] J. Lacan, Le Séminaire, Livre xvii, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p.83.