8e Journée d'Étude

Rêves et fantasmes chez l’enfant

samedi 22 mars 2025

En savoir +S'inscrire
Menu

Les loyautés de Delphine de Vigan

image_pdfimage_print

Dans ce roman à sus­pens, nous décou­vrons quatre per­son­nages atta­chants : deux ado­les­cents et deux femmes qui, face aux vio­lences qui leur sont faites, vont se défendre, se révol­ter, ou se taire par loyau­té. La loyau­té est une qua­li­té qui peut mener au pire.

Théo subit la situa­tion d’enfant du siècle, en garde alter­née, fils unique d’époux sépa­rés qui se détestent. Ses parents sont dans l’incapacité d’écouter et de com­prendre ce qu’il vit chez l’autre. Sa mère traque sur lui les traces de son pas­sage chez le père. Celui-ci ne le voit pas car il sombre petit à petit dans une mélan­co­lie qui l’entraîne vers la mort. L’adolescent retourne sur lui-même les vio­lences faites à son encontre.

Il ingur­gite de l’alcool de façon de plus en plus impor­tante, pour essayer sciem­ment que le silence se fasse en lui, que cessent les acou­phènes qui l’empêchent de dor­mir. Ils se déclenchent quand il revient chez sa mère : « Il encaisse, corps malingre cri­blé de mots, mais elle ne le voit pas. Les mots l’abîment, c’est un ultra­son insup­por­table, un effet lar­sen que lui seul semble entendre, une fré­quence inau­dible qui déchire son cer­veau. »[1]Le Vigan D., Les loyau­tés, Paris, J.-C. Lattès, jan­vier 2018, p. 26.

Théo est aus­si confron­té à la vio­lence de l’institution qu’est le col­lège. Pour y parer, il s’appuie sur l’amitié avec un double : Mathis, et sur un objet : l’alcool, trait pré­le­vé sur le frère aîné de son ami.

Mathis se sen­tait effroya­ble­ment seul à l’entrée en 6è°. Il a vu Théo arri­ver en retard puis s’asseoir à côté de lui sous les moque­ries des autres. Ils se sont adop­tés, le soli­taire et l’humilié. Depuis, ils se réfu­gient dans la prise d’alcool à l’abri des regards, dans un coin secret du col­lège. Mathis est d’une loyau­té sans faille envers Théo, il boit par ami­tié et va jusqu’à voler de l’argent pour pou­voir offrir à son ami le pré­cieux alcool. Les adultes sont disqualifiés.

Hélène, une pro­fes­seure s’intéresse à Théo. Elle « voit » en lui, et recherche sur lui les marques de la vio­lence paren­tale qu’elle a subie et qu’elle recon­naît. Elle va aller jusqu’à sou­le­ver le tee-shirt de Théo mais ne peut trou­ver ces « marques », invi­sibles, car les vio­lences sont d’un autre ordre.

Il y a aus­si Cécile, la mère de Mathis, qui dia­logue sans arrêt avec sa voix inté­rieure, pour se ras­su­rer. Depuis deux ans, ce qu’elle a vu sur l’ordinateur de son mari l’a « cou­pée en deux ». Face à la vio­lence des mots qu’elle a lus, sa solu­tion a été de ren­con­trer un « psy ».

La pro­fes­seure se révolte contre son ignoble col­lègue qui a humi­lié Théo, en le fai­sant cou­rir en gym­nas­tique dans un sur­vê­te­ment rose (une semaine sur deux, il n’a pas de sur­vê­te­ment étant chez son père). Théo encaisse l’humiliation sans rien dire, mais un irré­pres­sible sai­gne­ment de nez le conduit à l’infirmerie.

Cécile se révolte contre son mari lors d’une soi­rée bien conven­tion­nelle entre amis, où elle fait sau­ter le cadre de la bien­séance, mais cela retombe.

Théo a retour­né toute la vio­lence des adultes contre lui plu­tôt que de choi­sir de les haïr. Il choi­sit la loyau­té envers ses deux parents en rava­lant les mots sous les gor­gées d’alcool. Alors que la haine est du côté de l’Éros et donc un lien social émi­nent, la vio­lence qu’il s’inflige est du côté de Thanatos, « satis­fac­tion de la pul­sion de mort »[2]Cf. Miller J.-A., « Enfants vio­lents », Après l’enfance, Paris, Navarin, coll. La petite Girafe, p. 200..

La loyau­té qui muselle est dans ce roman un autre nom de la pul­sion de mort.

Mais Mathis rompt le ser­ment de loyau­té et choi­sit la vie de Théo plu­tôt que sa mort, en dénon­çant son alcoo­li­sa­tion in extré­mis.

Catherine Kempf

Notes

Notes
1 Le Vigan D., Les loyau­tés, Paris, J.-C. Lattès, jan­vier 2018, p. 26.
2 Cf. Miller J.-A., « Enfants vio­lents », Après l’enfance, Paris, Navarin, coll. La petite Girafe, p. 200.