Dans ce roman à suspens, nous découvrons quatre personnages attachants : deux adolescents et deux femmes qui, face aux violences qui leur sont faites, vont se défendre, se révolter, ou se taire par loyauté. La loyauté est une qualité qui peut mener au pire.
Théo subit la situation d’enfant du siècle, en garde alternée, fils unique d’époux séparés qui se détestent. Ses parents sont dans l’incapacité d’écouter et de comprendre ce qu’il vit chez l’autre. Sa mère traque sur lui les traces de son passage chez le père. Celui-ci ne le voit pas car il sombre petit à petit dans une mélancolie qui l’entraîne vers la mort. L’adolescent retourne sur lui-même les violences faites à son encontre.
Il ingurgite de l’alcool de façon de plus en plus importante, pour essayer sciemment que le silence se fasse en lui, que cessent les acouphènes qui l’empêchent de dormir. Ils se déclenchent quand il revient chez sa mère : « Il encaisse, corps malingre criblé de mots, mais elle ne le voit pas. Les mots l’abîment, c’est un ultrason insupportable, un effet larsen que lui seul semble entendre, une fréquence inaudible qui déchire son cerveau. »[1]Le Vigan D., Les loyautés, Paris, J.-C. Lattès, janvier 2018, p. 26.
Théo est aussi confronté à la violence de l’institution qu’est le collège. Pour y parer, il s’appuie sur l’amitié avec un double : Mathis, et sur un objet : l’alcool, trait prélevé sur le frère aîné de son ami.
Mathis se sentait effroyablement seul à l’entrée en 6è°. Il a vu Théo arriver en retard puis s’asseoir à côté de lui sous les moqueries des autres. Ils se sont adoptés, le solitaire et l’humilié. Depuis, ils se réfugient dans la prise d’alcool à l’abri des regards, dans un coin secret du collège. Mathis est d’une loyauté sans faille envers Théo, il boit par amitié et va jusqu’à voler de l’argent pour pouvoir offrir à son ami le précieux alcool. Les adultes sont disqualifiés.
Hélène, une professeure s’intéresse à Théo. Elle « voit » en lui, et recherche sur lui les marques de la violence parentale qu’elle a subie et qu’elle reconnaît. Elle va aller jusqu’à soulever le tee-shirt de Théo mais ne peut trouver ces « marques », invisibles, car les violences sont d’un autre ordre.
Il y a aussi Cécile, la mère de Mathis, qui dialogue sans arrêt avec sa voix intérieure, pour se rassurer. Depuis deux ans, ce qu’elle a vu sur l’ordinateur de son mari l’a « coupée en deux ». Face à la violence des mots qu’elle a lus, sa solution a été de rencontrer un « psy ».
La professeure se révolte contre son ignoble collègue qui a humilié Théo, en le faisant courir en gymnastique dans un survêtement rose (une semaine sur deux, il n’a pas de survêtement étant chez son père). Théo encaisse l’humiliation sans rien dire, mais un irrépressible saignement de nez le conduit à l’infirmerie.
Cécile se révolte contre son mari lors d’une soirée bien conventionnelle entre amis, où elle fait sauter le cadre de la bienséance, mais cela retombe.
Théo a retourné toute la violence des adultes contre lui plutôt que de choisir de les haïr. Il choisit la loyauté envers ses deux parents en ravalant les mots sous les gorgées d’alcool. Alors que la haine est du côté de l’Éros et donc un lien social éminent, la violence qu’il s’inflige est du côté de Thanatos, « satisfaction de la pulsion de mort »[2]Cf. Miller J.-A., « Enfants violents », Après l’enfance, Paris, Navarin, coll. La petite Girafe, p. 200..
La loyauté qui muselle est dans ce roman un autre nom de la pulsion de mort.
Mais Mathis rompt le serment de loyauté et choisit la vie de Théo plutôt que sa mort, en dénonçant son alcoolisation in extrémis.
Catherine Kempf